Un cas de discrimination dans l’embauche
Éliane face aux exigences de ses clients en matière de recrutement. Membre de l’Ordre, elle travaille dans une firme de placement de personnel. Les principales clientes de la firme sont des entreprises canadiennes qui fabriquent des pièces d’équipement destinées à des firmes situées en sol américain. Pour ces dernières, l’origine nationale des travailleurs est un critère très important depuis les attentats du 11 septembre 2001. Certaines d’entres elles exigent même de leurs fournisseurs canadiens qu’aucun travailleur citoyen d’un pays arabo-musulman n’ait travaillé à la confection d’une pièce d’équipement destinée au marché américain.
L’employeur d’Éliane reçoit donc des commandes claires et explicites de ses clientes canadiennes : s’assurer que les candidats recrutés ne sont pas citoyens ou originaires de ces pays. Sachant qu’elle ne peut, en vertu des lois québécoises, exercer de discrimination dans l’embauche ni poser des questions relatives à la vie privée, Éliane est très embêtée...
À la lumière du Code de déontologie1
Quelques règles de son Code de déontologie peuvent s’avérer fort utiles à Éliane pour résoudre son dilemme.
Tout d’abord, selon l’article 10 du Code de déontologie, le CRHA ou CRIA doit avoir une conduite irréprochable. L’article 12 spécifie en outre que le membre de l’Ordre doit éviter toute attitude ou méthode susceptibles de nuire à la réputation de la profession et à son aptitude à servir l’intérêt public. Il doit aussi éviter d’avoir recours à des pratiques discriminatoires, frauduleuses ou illégales et refuser de participer à de telles pratiques. Le paragraphe 5 de l’article 47 prévoit d’ailleurs que l’incitation, de la part du client, à l’accomplissement d’un acte discriminatoire, frauduleux ou illégal constitue un motif juste et raisonnable pour un membre de l’Ordre de mettre fin unilatéralement au mandat qui lui a été confié.
Par ailleurs, le fait pour un CRHA ou un CRIA de conseiller ou d’encourager quelqu’un à poser un acte discriminatoire, frauduleux ou illégal est considéré par le Code de déontologie, au paragraphe 2 de l’article 50, comme un acte dérogatoire à la dignité de la profession. Il en va de même, suivant le paragraphe 5 du même article, pour la production, sans indiquer de réserve appropriée, d’une déclaration ou d’un rapport que le membre de l’Ordre sait être incomplet ou faux.
En plus d’aviser le client, si un tiers tente d’influencer son travail, il est sage pour le professionnel d’avertir ce tiers que ses agissements et ses exigences sont contraires aux obligations déontologiques d’un membre de l’Ordre des CRHA et CRIA du Québec.
Alors, que doit faire Éliane?
Dans la situation d’Éliane, c’est l’article 12 du Code de déontologie qui est principalement en cause. Très explicite, il lui interdit d’avoir recours à des pratiques discriminatoires, frauduleuses ou illégales. C’est clair! Et selon l’article 47, elle peut aussi mettre fin au mandat qui lui a été confié.
Pour se conforter dans sa décision, Éliane peut également invoquer l’article 19, qui spécifie au paragraphe 2 qu’elle doit en tout temps sauvegarder son indépendance professionnelle et notamment éviter d’accomplir une tâche contraire à sa conscience professionnelle.
Élément très important à souligner : qu’Éliane soit consultante et rende des services à un client ou qu’elle soit employée de l’organisation qui pose l’exigence discriminatoire ne change rien à la règle. Elle ne peut cautionner une telle pratique.
Précisons que d’un point de vue déontologique, Éliane ne doit pas simplement refuser d’exécuter le mandat, sans autre explication. Elle doit plutôt exercer pleinement son rôle-conseil auprès de son employeur, comme l’indiquent d’autres règles de son code de déontologie.
En effet, l’article 39 du Code lui demande d’informer son employeur des risques inhérents et prévisibles associés au fait de procéder à de la discrimination dans l’embauche, tels les risques de poursuites et les pénalités qui peuvent être imposées, sans oublier les retombées négatives pour l’entreprise d’une mauvaise couverture médiatique si la pratique discriminatoire et illégale était rendue publique.
Éliane doit donc mettre en œuvre son jugement professionnel et user de son pouvoir de persuasion pour amener sa firme à revoir sa position. En faisant valoir les risques d’une telle approche et les conséquences négatives possibles, il y a fort à parier qu’on suivra ses bons conseils!
À la lumière des règles de droit générales
Employeur ou employé, chacun est responsable…
L’employé engage-t-il sa responsabilité lorsqu’il a recours à des pratiques illégales, frauduleuses ou discriminatoires ou lorsque son employeur l’incite à le faire? Deux décisions récentes rendues par les tribunaux sont éloquentes à cet égard.
Une affaire de références d’emploi diffamatoires
Dans l’affaire St-Amant c. Meubles Morigeau ltée2, la Cour supérieure du Québec a jugé qu’un employeur et son employé devaient être tenus solidairement responsables pour avoir tenu des propos mensongers et diffamatoires à l’égard d’un ancien employé, en contravention aux articles 4 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Les faits sont les suivants. Le plaignant a été à l’emploi de Meubles Morigeau pendant de nombreuses années. Quand il a commencé à éprouver un problème de santé, l’entreprise lui a assigné des travaux légers. Malgré cela, il a dû par la suite cesser tout travail et a commencé à bénéficier du régime d’assurance salaire de l’entreprise, pour la durée maximale de celui-ci. À l’expiration de cette période, Meubles Morigeau se trouvant dans l’impossibilité de l’affecter à des tâches ne nécessitant aucun effort physique, le plaignant a démissionné. Il s’est alors activement mis à la recherche d’un emploi et a donné comme référence Meubles Morigeau, le seul employeur pour qui il a travaillé pendant onze ans.
Le plaignant soutient que son ancien employeur et son représentant, le responsable des ressources humaines, ont porté atteinte à son droit fondamental à la vie privée en fournissant sur son état de santé des renseignements qui ne pouvaient pas être divulgués sans son consentement. Il plaide également que le représentant de l’employeur, en le discréditant faussement, a aussi porté atteinte à sa dignité, à son honneur et à sa réputation3.
Le Tribunal lui donne raison. Il en vient à la conclusion que le représentant de l’employeur a commis une faute et que l’employeur doit également être tenu responsable à titre de commettant pour le préjudice moral causé au plaignant (art. 1463 du Code civil du Québec).
Et quelles sont les conséquences possibles pour l’employé?
Elles ne sont pas à prendre à la légère! En effet, il peut être condamné à verser des dommages intérêts matériels, moraux et exemplaires. Par exemple, dans le cas qui nous intéresse ici, le Tribunal a condamné conjointement et solidairement l’employeur et l’employé à payer au plaignant la somme de 5000 $ à titre de dommages moraux.
En ce qui a trait aux dommages exemplaires, le Tribunal a exonéré l’employeur puisque la preuve à l’égard de l’exigence du caractère intentionnel de la violation d’un droit protégé par la Charte est inexistante. Il en va autrement pour son représentant : le Tribunal n’a pu se convaincre qu’il ignorait les conséquences extrêmement probables et nuisibles que sa conduite engendrerait. Le Tribunal l’a donc condamné à payer personnellement au plaignant la somme de 2000 $ à titre de dommages exemplaires.
Une affaire de discrimination
Dans la cause opposant la Commission des droits de la personne au resto-bar Le Surf 4, le Tribunal des droits de la personne du Québec a conclu que le resto-bar, son propriétaire et son personnel ont contrevenu à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Ils ont fait preuve de discrimination à l’égard de deux personnes en les empêchant d’avoir accès aux services offerts dans cet établissement en raison de leur race, de leur couleur et de leur origine ethnique.
Le défendeur, gérant et copropriétaire de l’établissement, a plaidé en faveur de « l’absolution totale » des employés qui, selon lui, ne doivent pas être tenus responsables de dommages réclamés puisqu’ils n’ont fait qu’exécuter ses directives. À l’appui de sa position, le défendeur a notamment fait valoir :
- que ses employés étaient dans l’obligation d’appliquer la politique d’exclusion des clients de race noire puisqu’il s’agissait d’une directive du patron et qu’ils n’avaient aucune possibilité de s’objecter à ladite politique;
- qu’à titre de préposés du restaurant, les employés agissaient à l’intérieur du mandat qu’il leur avait confié.
Le Tribunal a toutefois rejeté cet argument. D’une part, la violation d’un droit protégé par la Charte constitue, en règle générale, une faute civile puisqu’il y a contravention aux moyens de conduite édictés par cette dernière et au devoir général de bonne conduite d’une personne raisonnablement prudente et diligente (article 1457 du Code civil du Québec). Cette disposition prévoit en effet que toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent à elle, suivant les circonstances, les usages ou la loi, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Or, selon le Tribunal, la désobéissance à une directive ou à une politique illégale doit être considérée comme la conduite normale d’une personne prudente et diligente et non l’inverse. En d’autres mots, dans de telles circonstances, la conduite à adopter est de refuser d’appliquer une telle directive ou politique.
Rappelant les règles applicables, le Tribunal spécifie que suivant l’article 1463 du Code civil du Québec, l’employé qui commet une faute personnelle, laquelle cause un préjudice à une tierce personne, se rend responsable envers cette dernière, sans pour autant libérer son employeur. Ce dernier est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions, mais il conserve ses recours contre eux.
Selon l’article 1413 du Code civil du Québec, le pouvoir de direction de l’employeur ne saurait s’étendre jusqu’à lui permettre d’exiger de l’employé qu’il agisse à l’encontre de la loi ou de l’ordre public.
Dans un tel contexte, l’employé se doit de refuser de poser un geste illégal, sinon il engage sa propre responsabilité à l’égard de la tierce personne, victime du préjudice alors subi.
Appliquant ces principes aux faits de cette affaire, le Tribunal conclut qu’en refusant de façon délibérée aux plaignants l’accès à l’établissement, les défendeurs, c’est-à-dire le gérant et copropriétaire de l’établissement et les employés, ne pouvaient que connaître les conséquences plus que probables des actes discriminatoires posés.
Le Tribunal les a donc condamnés solidairement à verser à chacun des plaignants une somme de 5000 $ à titre de dommages-intérêts moraux et une somme de 3000 $ à titre de dommages exemplaires.
Revenons aux exigences américaines…
Il sera intéressant de suivre les développements relativement aux exigences des entreprises américaines, à la suite du dépôt à la Commission des droits de la personne de plaintes pour discrimination raciale contre Bell Helicopter. Les plaignants, se disant victimes d’une réglementation américaine dite ITAR (International Traffic in Arms Regulations), réclament des dommages matériels et moraux.
Rappelons qu’en vertu de ce règlement, des sociétés québécoises ayant un lien contractuel avec les États-Unis touchant des produits à composante militaire, sont tenues, sous peine de rupture de contrat ou d’importantes amendes, d’exclure de certains emplois les personnes nées dans une douzaine de pays, même si ces personnes ont acquis la nationalité canadienne.
Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, la situation actuelle est inacceptable : « Aucun motif légal ne pourrait être invoqué dans une tentative de rendre conforme ce qui ne peut l’être eu égard à la Charte québécoise », rappelle notamment Me Pierre Marois, président de la Commission. Un examen juridique très rigoureux a amené la Commission à conclure que le Québec, dans le cadre de ses compétences, n’est pas tenu de reconnaître ni d’appliquer une législation étrangère surtout lorsqu’elle viole ses propres normes5.
C’est donc un dossier à suivre… et qui pourrait apporter un nouvel éclairage au cas d’Éliane!
Notes
1 Code de déontologie des CRHA et CRIA.
2 St-Amant c. Meubles Morigeau ltée, 2006 QCCS 2482.
3 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12, articles 4 et 5. Code civil du Québec, L.R.Q. 1991, c. 64, articles 35 à 41. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, articles 13 et 14.
4 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 2314-4207 Québec inc. (Resto-bar Le Surf), 2007 QCTDP 9.
5 Communiqué de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 6 juillet 2007 (PDF).