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Propos dérangeants, mais non discriminatoires ou racistes

Bien qu'ils puissent être dérangeants, les propos reprochés à un analyste de crédit quant à l'existence d'une pratique de financement ayant cours chez les Haïtiens et les Juifs ne satisfont pas aux critères permettant de conclure à de la discrimination ni, incidemment, à du racisme.
1 octobre 2025

Intitulé

Fédération des caisses Desjardins et Association des techniques professionnel-les (CSD) (Bilal Kechekoul), 2025 QCTA 223

Juridiction

Tribunal d'arbitrage (T.A.)

Type d'action

Grief contestant une suspension (1 jour). Accueilli.

Décision de

Me Éric Lévesque, arbitre

Date

27 mai 2025


Le plaignant, un analyste de crédit au sein de la Fédération des caisses Desjardins du Québec, conteste la suspension sans solde de 1 journée qui lui a été imposée pour avoir tenu des propos à caractère raciste lors d'une conversation avec un collègue. Cette mesure disciplinaire fait suite à une demande de crédit qui a été l'objet d'un refus de la part du plaignant. Suivant la réception de ce refus, le collègue en question, qui avait fait la demande au nom de clients, a joint le plaignant pour s'enquérir de ses motifs. Au cours de la discussion, le plaignant a notamment demandé l'origine ethnique des clients, puis a laissé entendre que les Haïtiens, tout comme les Juifs, avaient des méthodes de financement particulières. Quoiqu'il reconnaisse la substance des propos tenus, le plaignant explique que la discussion l'avait amené à aborder, outre le motif de refus lié au ratio d'endettement, le fait que le compte où se trouvait la mise de fonds avait fait l'objet de nombreux dépôts et retraits effectués par plusieurs personnes. C'est cette particularité qui l'a amené à suspecter un financement pyramidal, au sens de la directive de Desjardins sur ce type de financement. Ainsi, le plaignant estime qu'il était fondé à s'enquérir de la nationalité des clients puisque le financement pyramidal aurait été un second motif de refus du prêt demandé. Selon lui, il ne s'agit pas de propos racistes, mais d'une simple discussion entre collègues au cours de laquelle il s'exprimait à partir de son expérience, sans aucune pensée négative, disant savoir que les Haïtiens, les Juifs, les Arabes et les Chinois ont ce genre de pratique.

Décision

Des propos portant sur une culture différente ne sont pas nécessairement des propos racistes. En l'espèce, les propos reprochés au plaignant ont été tenus lors d'une conversation avec un collègue et faisaient référence à une pratique de financement ayant cours dans certains milieux ethniques. Bien qu'ils puissent être dérangeants, ces propos ne satisfont pas aux critères permettant de conclure à de la discrimination ni, incidemment, à du racisme, vu le contexte dans lequel ils ont été tenus. Il ressort en effet de la preuve que le plaignant a refusé le prêt strictement en raison du ratio d'endettement des emprunteurs. Ce n'est qu'accessoirement qu'il a abordé avec son collègue la question de l'origine ethnique de l'une des clientes et la pratique ayant cours dans certaines communautés, dont la communauté haïtienne. La preuve ne permet aucunement de retenir que de tels propos étaient de nature à inciter à la haine envers les clients ou la communauté haïtienne en général. Les emprunteurs n'ont subi aucune distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'un des motifs de discrimination prohibés par l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, ce qui aurait compromis l'exercice ou la reconnaissance en pleine égalité de leurs droits garantis par la charte. Par ailleurs, les propos du plaignant ne semblent pas avoir été tenus de façon malicieuse ou méprisante, alors qu'il a même offert de regarder le dossier avec d'autres codemandeurs pour permettre le financement. Une telle ouverture de sa part est à l'opposé d'une attitude raciste. Le plaignant cherchait une façon de permettre aux clients d'obtenir le prêt recherché. Pour ces motifs, la matérialité du geste reproché au plaignant n'a pas été démontrée. Dès lors, la suspension de 1 journée sans salaire qui lui a été imposée était injustifiée.