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Des événements isolés ne constituent pas du harcèlement

Un coordonnateur au service des loisirs de la Ville de Côte-Saint-Luc a fait l'objet de conduites vexatoires lorsque sa supérieure a déplacé un subalterne sans l'en informer et que la directrice des ressources humaines lui a fait des reproches en présence de salariés; sa plainte pour harcèlement psychologique est toutefois rejetée puisqu'il s'agissait d'événements isolés.
13 octobre 2025

Intitulé

Valiquette c. Ville de Côte-Saint-Luc, 2025 QCTAT 2726

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement psychologique — rejetée.

Décision de

Johanne Despatis, juge administrative

Date

4 juillet 2025


Décision

Le plaignant était le coordonnateur des installations, du service à la clientèle et de l'entretien au service des loisirs de la Ville de Côte-Saint-Luc — il reproche à la directrice du service d'avoir abusé de son autorité et à la directrice des ressources humaines (DRH) d'avoir laissé la situation se dégrader en omettant d'intervenir — quant aux faits qu'il reproche à la Ville, ils sont survenus après le dépôt de la plainte et ne sont pas intimement liés aux faits à l'origine de celle-ci — ces allégations sont irrecevables — le plaignant affirme avoir été mis à l'écart lorsque des salariés dont il était responsable ont été déplacés temporairement en raison de la fermeture d'un aréna — son insistance afin que le lieu du déplacement soit réévalué remettait en question une entente intervenue avec le syndicat — la réaction ferme de la DRH, qui s'attendait à ce que le plaignant assure le suivi des décisions de la direction, était justifiée — l'exclusion de ce dernier d'une rencontre stratégique relevait de l'exercice du droit de direction — le retrait de certains salariés de sa supervision découlait d'une réorganisation administrative temporaire — le plaignant reproche également à sa directrice d'avoir convoqué une rencontre avec la DRH dans l'objectif de le discipliner et de l'humilier — cette rencontre visait plutôt à rétablir un cadre professionnel structuré à la suite d'une détérioration manifeste de la relation entre le plaignant et la directrice — même si cette dernière s'est montrée ferme, le tout s'est déroulé dans le respect et relevait des droits de la direction — le plaignant reproche à la directrice d'avoir effectué plusieurs gestes afin de miner son autorité et de créer de la division au sein de son équipe — or, le Tribunal voit dans les interventions de la directrice des préoccupations administratives liées à la saine gestion de son service — le refus d'accorder une compensation pour la surcharge de travail du plaignant relevait du droit de direction — ce dernier soutient que la directrice a également commis plusieurs gestes afin de le tenir à l'écart d'activités concernant son équipe — ces événements relèvent toutefois de la perception du plaignant et ne trouvent pas appui dans les faits — le désaccord du plaignant avec son évaluation annuelle ou sa déception à cet égard ne permet pas de conclure à un abus d'autorité de la directrice — le plaignant affirme avoir été humilié d'apprendre par un subordonné qu'il ne relevait plus de lui à la suite de la mise en place anticipée d'un nouvel organigramme — la mise en oeuvre de ce changement sans préavis ni discussion avec le plaignant, alors qu'il était en déplacement, constituait un manque de considération à son égard — le Tribunal conclut qu'il s'agit d'une conduite vexatoire.

Le plaignant reproche à la DRH de l'avoir incité à acheter un cadeau à la directrice alors qu'il cherchait une solution aux difficultés vécues avec elle — ce geste maladroit, voire mal avisé, ne constitue pas une conduite vexatoire — le plaignant soutient que, lors d'une réunion, la DRH l'a humilié en mentionnant avoir appris que certains salariés écoutaient Netflix lorsqu'ils travaillaient le soir et que cela témoignait d'un manque de supervision de sa part — cette intervention, en raison du ton employé et du fait qu'elle soit survenue devant d'autres personnes, revêtait un caractère humiliant et blessant — il s'agissait d'une conduite vexatoire — le plaignant reproche à la DRH d'avoir refusé son droit à un congé de maladie, de l'avoir menacé de représailles et d'avoir refusé de reconnaître son invalidité psychologique — le plaignant, qui s'était vu prescrire un arrêt de travail, a été informé qu'il était suspendu à des fins d'enquête en lien avec plusieurs plaintes pour harcèlement psychologique déposées contre lui — le Tribunal considère qu'il n'était pas en soi abusif de maintenir la tenue d'une rencontre en personne alors que la DRH s'apprêtait à remettre une lettre de suspension au plaignant — l'exigence de fournir un certificat médical délivré par un professionnel reconnu et contenant des informations cliniques suffisantes relevait de l'exercice légitime du droit de direction — même si elles étaient fermes, les communications de la DRH sont demeurées polies, respectueuses et exemptes de propos dénigrants — le Tribunal ne voit pas un abus du droit de direction dans le refus de l'employeur de reconnaître que le plaignant faisait l'objet d'un arrêt de travail plutôt que d'une suspension à des fins d'enquête — en somme, les 2 conduites vexatoires retenues par le Tribunal étaient des événements isolés, ponctuels et dépourvus du caractère de répétitivité ou de gravité requis pour conclure à l'existence de harcèlement psychologique — les autres gestes invoqués par le plaignant relevaient d'une gestion courante qui n'avait rien d'abusive.

Plainte en vertu de l'article 72 de la Loi sur les cités et villes à l'encontre d'une destitution — accueillie — le plaignant a été destitué après qu'une firme externe eut conclu qu'il avait fait preuve d'un comportement s'apparentant à du harcèlement psychologique à l'endroit de subalternes et d'une gestionnaire — les salariés, qui sont pourtant syndiqués, tenaient le plaignant ouvertement responsable de leurs conditions de travail jugées problématiques — cette hostilité envers le plaignant n'est pas sans incidence sur l'appréciation de l'objectivité de la démarche des salariés et de leur crédibilité — sur le fond, l'employeur reproche au plaignant d'avoir ouvert un film pornographique sur son ordinateur professionnel en présence d'une gestionnaire — cette dernière a toutefois reconnu que la scène aperçue durant quelques secondes pourrait avoir été tirée d'un film diffusé sur une plateforme comme Netflix — aucune vérification n'a été faite de l'historique de navigation, du réseau ou du journal d'activités informatique — les 10 mois qui se sont écoulés entre l'événement et la dénonciation ajoute un doute supplémentaire — ce reproche n'a pas été démontré — l'employeur reproche au plaignant d'avoir crié ou élevé la voix ainsi que d'avoir proféré des injures à l'endroit de salariés à plusieurs reprises entre 2014 et 2019 — le plaignant a reconnu avoir élevé la voix et s'être adressé à un salarié de façon abrupte, mais il soutient qu'il s'est ensuite excusé — il a également admis avoir été fâché et contrarié lors d'un incident relatif à une «réquisition d'achat» — bien que cela soit non souhaité, l'emploi de jurons ne peut automatiquement être assimilé hors contexte à une conduite vexatoire ou malveillante — la preuve ne permet pas de conclure que le ton et les propos du plaignant ont dégénéré en abus d'autorité — un salarié prétend que le plaignant aurait fait une remarque irrespectueuse à propos de l'utilisation des téléphones cellulaires par le personnel — en l'absence de corroboration indépendante, la version vulgaire de ce commentaire ne peut être retenue — en outre, un tel rappel par le plaignant relevait de l'exercice normal du droit de direction — le Tribunal ne peut retenir la perception d'une gestionnaire selon laquelle il y avait une crainte généralisée des salariés à l'égard du plaignant sur la foi de 1 seul événement — l'employeur reproche au plaignant d'avoir tenu des propos dénigrants, irrespectueux, sarcastiques et parfois à caractère sexiste à l'égard de collègues ou de subalternes — le plaignant a reconnu avoir confié certaines de ses frustrations à un coordonnateur, mais nie toute forme de dénigrement — en l'absence d'exemples circonstanciés, il est impossible d'y voir une conduite fautive — le coordonnateur reproche au plaignant de lui avoir confié diverses responsabilités qui allaient au-delà de son poste, et ce, sans lui offrir de soutien — il prétend également que le plaignant lui aurait défendu de communiquer avec d'autres services, même pour des questions opérationnelles — il appert que certaines consignes ont été mal interprétées ou ont été vécues comme excessives, mais rien ne permet d'y voir des gestes ayant eu pour effet d'isoler l'employé, de le surcharger de travail ou de lui nuire — un salarié prétend que le plaignant aurait demandé à des subalternes de lui signaler toute erreur commise par d'autres gestionnaires — cette allégation repose sur des perceptions subjectives vécues dans un climat tendu où le recours à des outils administratifs validés et autorisés par la direction a été interprété à tort comme insidieux et malveillant — l'employeur reproche au plaignant d'avoir surveillé excessivement certains salariés, notamment avec les caméras de sécurité — cette allégation ne repose sur aucun fait avéré et n'est pas retenue.

Les maladresses ponctuelles et même les erreurs du plaignant ne suffisent pas à conclure à du harcèlement psychologique à l'endroit de 9 personnes — celui-ci présentait un dossier disciplinaire vierge et recevait des évaluations positives depuis plusieurs années — il a exprimé des regrets dignes de foi et a fourni des explications crédibles pour certains gestes reprochés — la destitution ne respectait pas le principe de la progression des sanctions — elle était injustifiée, précipitée et déraisonnable — elle est donc annulée — il appert que la collaboration nécessaire au bon fonctionnement de la Ville ne pourrait être rétablie en raison de la détérioration durable des rapports entre le plaignant, les salariés, la directrice et la DRH — au cours des 6 années ayant suivi le dernier jour de travail du plaignant, la Ville s'est réorganisée et a pu rétablir un climat de travail correct — dès lors, la réintégration est irréaliste et non souhaitable.