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Emploi convenable et retraite

Vu la retraite du travailleur, la CNESST était fondée à ne pas déterminer d'emploi convenable chez l'employeur; les dispositions relatives à l'emploi convenable doivent être interprétées de façon concrète en tenant compte des caractéristiques du travailleur, y compris son lien d'emploi, et de la possibilité réelle d'occuper l'emploi.
9 octobre 2025

Intitulé

Soleno inc. et Guinard, 2025 QCTAT 2194

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Richelieu-Salaberry

Type d'action

Contestation par l'employeur d'une décision relative à la capacité du travailleur à exercer son emploi, à l'emploi convenable et au droit à l'indemnité de remplacement du revenu (IRR). Contestation rejetée.

Décision de

Renaud Gauthier, juge administratif

Date

28 mai 2025


En mai 2022, le travailleur, qui était alors âgé de plus de 60 ans, a subi une lésion professionnelle ayant entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. En juillet 2023, sa retraite a été officialisée. La CNESST a déclaré que le travailleur n'était pas capable d'exercer son emploi prélésionnel, qu'il lui était impossible de déterminer un emploi convenable, compte tenu de sa retraite, et qu'il avait droit à l'IRR jusqu'à l'âge de 68 ans.

Décision

Il s'agit de déterminer si la CNESST avait l'obligation de considérer la possibilité d'un emploi convenable disponible chez l'employeur, et ce, malgré la retraite du travailleur. Plusieurs décideurs répondent par la négative à cette question en s'appuyant sur l'absence de lien d'emploi, un tel lien étant une condition préalable à la mise en place d'un emploi convenable chez un employeur. Un deuxième courant, que l'employeur demande au Tribunal de privilégier, considère que les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) applicables en matière de réadaptation professionnelle et d'emploi convenable forcent la CNESST à retenir un tel emploi, s'il est disponible chez l'employeur, sans égard à l'existence ou non d'un lien d'emploi. Au surplus, le travailleur perdrait son droit à l'IRR dans l'éventualité d'un refus à occuper l'emploi convenable en question, conformément à l'article 53 LATMP.

Le présent tribunal se rallie au premier courant et considère que la CNESST était bien fondée à ne pas déterminer d'emploi convenable chez l'employeur et à prolonger le droit du travailleur à l'IRR jusqu'à son 68e anniversaire, compte tenu de la retraite du travailleur. En effet, ce dernier a droit à la réadaptation professionnelle en raison de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle. Ce droit est consacré à l'article 166 LATMP, qui prévoit que l'objectif de la réadaptation professionnelle est de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou encore, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable. Ce principe fait en sorte que les dispositions de la loi relatives à l'emploi convenable, y compris l'article 170 LATMP, doivent être interprétées de façon concrète en tenant compte des caractéristiques du travailleur en cause, ce qui inclut son lien d'emploi, et de la possibilité réelle d'occuper l'emploi en question. Une telle interprétation est par ailleurs compatible avec l'article 1 de la loi, qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les travailleurs. Une interprétation différente de l'article 170 LATMP, qui permettrait la détermination d'un emploi convenable chez l'employeur malgré la retraite du travailleur, s'éloignerait de ce principe général.

L'application de l'article 53 LATMP aux faits pertinents ne permet pas d'arriver à une conclusion différente. Cette disposition se trouve dans la section de la loi relative à l'IRR et fait directement référence à la capacité du travailleur âgé de plus de 60 ans de reprendre son emploi ou d'occuper un emploi convenable disponible chez l'employeur. Avec égards pour l'opinion contraire, le présent tribunal considère que la fin de l'IRR prévue à cette disposition, en raison du refus d'exercer l'emploi convenable, ne peut s'appliquer à la suite de la retraite du travailleur puisque la fin du lien d'emploi rend impossible l'exercice de l'emploi offert par l'employeur. L'article 53 LATMP s'applique en gardant à l'esprit l'objectif de la réadaptation professionnelle, soit favoriser une réintégration professionnelle dans la mesure du possible. Il ne s'agit pas d'une disposition visant à réduire le fardeau financier de l'employeur à la suite du libre choix d'un travailleur de mettre fin au lien d'emploi en prenant sa retraite.

Quant aux dispositions relatives au droit de retour au travail, le Tribunal voit mal comment elles pourraient être invoquées pour forcer le retour au travail d'un travailleur retraité qui ne revendique pas ce droit. Un raisonnement similaire s'impose quant à l'application des principes associés à Québec (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron (C.S. Can., 2018-02-01), 2018 CSC 3, SOQUIJ AZ-51463650, 2018EXP-396, 2018EXPT-232, [2018] 1 R.C.S. 35, rendu par la Cour suprême du Canada, et aux nouvelles dispositions qui en découlent, comme l'article 170.1 LATMP. Ces principes prévoient l'obligation pour l'employeur de réintégrer un travailleur victime d'une lésion professionnelle même si le droit de retour est expiré en s'appuyant sur son obligation d'accommodement, sous réserve d'une contrainte excessive. Cette obligation vise à protéger les droits du travailleur et à prévenir la discrimination qu'il pourrait subir en raison d'un handicap. Une telle obligation de l'employeur ne saurait être invoquée afin d'imposer un emploi convenable à un travailleur qui a librement mis fin au lien d'emploi en prenant sa retraite.