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Le principe de la progression des sanctions : toujours d’actualité

Le congédiement imposé à une cuisinière dans une garderie est annulé; l'employeur n'a pas respecté ses obligations en matière de congédiement disciplinaire et n'a pas démontré non plus que la plaignante avait commis une faute grave permettant de passer outre au principe de la progression des sanctions.
17 septembre 2025

Intitulé

Séguin c. Garderie Les petits navigateurs inc., 2025 QCTAT 2201

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Lanaudière

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail à l'encontre d'un congédiement — accueillie.

Décision de

Benoit Roy-Déry, juge administratif

Date

29 mai 2025


Décision

La plaignante occupait un poste de cuisinière chez l'employeur, une garderie exploitée par sa fille et par son gendre — elle allègue avoir été congédiée sans cause juste et suffisante — l'employeur prétend que le congédiement était justifié en raison de la gravité des agissements de la plaignante — il soutient qu'elle aurait fait preuve d'incivilité ainsi que d'insubordination et qu'elle n'aurait pas respecté les règles et les consignes dans la préparation des repas — les affirmations de la directrice adjointe à propos des récriminations des éducatrices envers la plaignante sont vagues et constituent du ouï-dire — bien que la directrice adjointe mentionne avoir demandé à la plaignante d'être plus respectueuse dans le cadre de ses interrelations avec les éducatrices, elle n'a cependant pas considéré comme opportun de la sanctionner pour l'inciter à changer son comportement — quant à l'utilisation du téléphone cellulaire par la plaignante durant ses heures de travail, la directrice adjointe a toléré cette pratique et n'est jamais intervenue pour la faire cesser — en ce qui a trait à la préparation des purées pour les bébés, il semble y avoir un imbroglio concernant une nouvelle consigne donnée par l'employeur à ce sujet — si tant est que la plaignante ait refusé catégoriquement de suivre cette nouvelle directive, l'employeur n'a pris aucune mesure durant plus de 7 mois afin que la plaignante cuisine les purées — une si longue période de tolérance milite en faveur de l'inexistence d'une consigne claire — le dossier disciplinaire de la plaignante est resté vierge entre son embauche, en mars 2019, et l'avis disciplinaire qui lui a été remis en septembre 2023 — même si l'on tient pour avérés l'ensemble des reproches, l'employeur devait imposer des mesures disciplinaires au moment où les événements se sont déroulés — il ne peut invoquer aujourd'hui la somme des agissements reprochés pour justifier le congédiement, alors que, à l'époque pertinente, il a décidé que ces actes ne méritaient aucune sanction — la plaignante n'a jamais été avisée qu'elle risquait de perdre son emploi, que ce soit par l'un des propriétaires ou encore par la directrice adjointe — l'employeur soutient que les comportements de la plaignante ont été tolérés plus qu'ils auraient dû l'être étant donné que celle-ci est la mère de la propriétaire — cela ne le dispensait toutefois pas de l'informer que son emploi était en jeu et d'appliquer une certaine progression des sanctions avant de lui imposer un congédiement — l'existence de liens familiaux n'exonérait pas l'employeur de respecter ces règles.

La preuve ne révèle aucune faute grave de la plaignante — même s'il était impoli de raccrocher le combiné du téléphone brusquement durant une conversation avec le propriétaire, ce geste n'a pas la gravité requise pour briser irrémédiablement le lien de confiance entre l'employeur et la plaignante — l'addition des reproches adressés en matière d'insubordination ou de manque de respect ou encore qui concernent sa prestation de travail ne constitue pas non plus une faute grave — si des problématiques existaient, l'employeur devait intervenir au moment opportun en appliquant une progression dans les sanctions, ce qu'il n'a pas fait — sans avis clair à propos de ce qui lui était reproché, la plaignante n'a pu bénéficier d'un délai raisonnable pour apporter des correctifs — elle a agi comme le requérait l'employeur à certaines occasions, ce qui prouve qu'elle n'était pas réfractaire à l'ensemble des directives — l'employeur n'ayant pas suivi un «processus disciplinaire, long, méticuleux et rigoureux», contrairement à ce qu'exige St-Martin et 2425-2264 Québec inc. (Garderie Rêve d'enfance), (T.A.T., 2020-12-17), 2020 QCTAT 4797, SOQUIJ AZ-51731567, 2021EXPT-185, l'argument portant sur la théorie de l'incident culminant est écarté — l'employeur n'a pas démontré l'existence d'une cause juste et suffisante de congédiement, lequel est annulé — comme l'entreprise compte un nombre restreint d'employés, que la plaignante y travaillait comme unique cuisinière et que l'existence du conflit familial nuisait au climat de travail, la réintégration est inappropriée.