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Gestes de violence à caractère sexuel

La plaignante a été victime de harcèlement psychologique, plus précisément de gestes de violence à caractère sexuel sous la menace de son supérieur, et ce, de façon répétée pendant plusieurs mois; étant donné que l'employeur a négligé d'intervenir adéquatement lorsqu'il a été alerté d'une potentielle situation de harcèlement, la plainte (art. 123.6 L.N.T.) est accueillie.
18 septembre 2025

Intitulé

Kouyate c. Prana Biovégétaliens inc., 2025 QCTAT 2186

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail et Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement psychologique — accueillie.

Décision de

Véronique Emond, juge administrative

Date

30 mai 2025


Décision

La demanderesse a occupé des postes de journalière et de préposée à la «sanitation» chez l'employeur, une entreprise alimentaire qui se spécialise dans la production et l'emballage de produits prêts à manger — elle allègue avoir été victime de violence à caractère sexuel de la part de son superviseur dès son entrée en fonction — elle soutient également avoir fait l'objet de harcèlement psychologique de la part de certains membres de la direction entre la date de son accident du travail et son congédiement — selon l'employeur, les allégations de nature sexuelle visent des événements qui ne se sont pas déroulés dans la période de 2 ans ayant précédé le dépôt de la plainte, contrairement à ce que prévoit la loi — or, celle-ci exige seulement que la dernière manifestation de la conduite alléguée se soit produite dans ce délai et, selon la demanderesse, cela a été le cas — le fait que celle-ci ait refusé les avances du superviseur à ce moment-là n'y change rien; il s'agit d'une allégation de même nature — selon l'employeur, la crédibilité de la demanderesse est entachée par des écarts dans ses versions lors de son témoignage — la demanderesse s'est représentée seule et n'a pu bénéficier de l'accompagnement d'un procureur dans le contexte d'un témoignage douloureux et difficile à rendre — comme elle l'a souligné, il est difficile, plus de 4 ans après les événements, de se souvenir de détails temporels — les écarts entre ses versions sont mineurs en ce que la demanderesse a affirmé avec assurance que tout cela s'était produit dans les tout premiers jours de son embauche — quant à la séquence exacte des événements, elle a raconté ceux-ci en détail de façon constante et cohérente à plusieurs reprises — considérant le nombre et la fréquence des événements traumatiques vécus, soit 2 ou 3 fois par semaine pendant quelques mois, on ne saurait discréditer son témoignage pour des détails de cette nature — le témoignage de la demanderesse n'a d'ailleurs pas été contredit par la preuve qu'a présentée l'employeur — en outre, en plus de la rendre responsable des gestes commis par son agresseur, qui était en situation d'autorité par rapport à elle, l'employeur reproche notamment à la demanderesse de ne pas avoir cherché un nouvel emploi — cet argument relève de mythes et de stéréotypes que la jurisprudence en matière de violence sexuelle commande d'éviter — par ailleurs, le lien d'emploi de la demanderesse était fragile et le superviseur a profité de la situation en la menaçant de lui faire perdre son unique ressource financière, soit son premier emploi au Canada — une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l'était la demanderesse aurait pu agir de la même façon — quant à la nature non désirée des gestes, cette dernière a refusé de façon claire et explicite, dès la première occasion, tout rapprochement avec le superviseur et toute avance de sa part — or, même si cela n'avait pas été le cas, son consentement aurait été vicié par le lien d'autorité et les menaces proférées par le superviseur — les violences à caractère sexuel vécues par la demanderesse sous la menace de son supérieur immédiat constituent une conduite vexatoire — vu la gravité intrinsèque de ce qu'elle a vécu dans son milieu de travail, il s'agit d'une atteinte grave à son intégrité physique et psychologique ainsi qu'à sa dignité — bien que la demanderesse n'ait jamais consulté de professionnels de la santé pour l'accompagner, que ce soit de façon concomitante des événements ou par la suite, une telle preuve n'est pas nécessaire pour démontrer cette atteinte — la honte qu'elle dit ressentir est suffisante sur ce plan — cette situation a également entraîné un milieu de travail néfaste — la demanderesse a donc démontré avoir été victime de harcèlement psychologique.

En ce qui concerne les mesures disciplinaires qui ont été imposées à la demanderesse lors de son assignation temporaire, la preuve testimoniale et documentaire établit que cette dernière a eu des enjeux d'assiduité — après quelques avis verbaux, l'employeur lui a remis un premier avis écrit, lequel a été suivi d'une suspension — quant aux changements de quart de travail pendant l'assignation, les décisions de l'employeur étaient fondées sur des besoins organisationnels — l'employeur ayant agi dans le cadre de ses droits de gestion — de plus, la mesure disciplinaire reliée au fait que la demanderesse ait dormi pendant ses heures de travail et qu'elle avait son téléphone cellulaire dans les mains était justifiée — rien dans la preuve n'indique que l'employeur a fait preuve d'acharnement concernant les suivis quant à son dossier médical en lien avec la lésion professionnelle — toutefois, les propos du directeur de production tenus à 1 occasion à l'endroit de la demanderesse relativement à ses problèmes de santé s'avèrent abusifs et injustifiés, particulièrement en présence de collègues — il s'agit donc d'une conduite hostile et non désirée — enfin, à propos du congédiement, l'employeur explique que la demanderesse n'a pas respecté des règles de conformité sanitaire applicables dans le domaine agroalimentaire — l'employeur et ses représentants n'ont commis aucun geste ou comportement pouvant être considéré comme hostile dans ce cas — n'étant pas saisi d'une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, la sévérité de la sanction n'a pas à être appréciée — l'analyse globale des allégations de nature non sexuelle ne permet pas de conclure à une conduite suffisamment et objectivement grave pour constituer une conduite de nature vexatoire.

En ce qui a trait au harcèlement psychologique dont la demanderesse a été victime, l'employeur n'a pas pris les moyens raisonnables pour prévenir celui-ci et le faire cesser — bien qu'une politique existe à cet égard, le directeur des ressources humaines et la conseillère «ont fermé les yeux» sur les allégations et ont négligé d'intervenir adéquatement, se contentant de la version du superviseur selon laquelle il ne savait pas de quoi il s'agissait lorsque la demanderesse a invoqué une situation hors du commun impliquant ce dernier — en outre, la conduite vexatoire était le fait d'une personne ayant un lien d'autorité par rapport à la demanderesse — cet élément, combiné aux menaces dont celle-ci a fait l'objet, suffisent pour conclure que l'on ne peut lui reprocher d'avoir dénoncé les gestes dont elle était victime sans préciser qu'il s'agissait de harcèlement psychologique.

Contestation par la demanderesse d'une décision relative à sa plainte en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles — rejetée — la demanderesse soutient avoir été congédiée en raison de sa lésion professionnelle — selon l'employeur, la plainte devrait être rejetée puisqu'elle est devenue théorique — le seul remède permis par ce recours est la réintégration assortie du remboursement des sommes perdues — or, la demanderesse a toujours reçu une indemnité de remplacement du revenu depuis son congédiement — la lésion professionnelle a également été consolidée avec des limitations fonctionnelles, qui ont rendu la demanderesse incapable d'exercer son emploi prélésionnel — considérant qu'une décision à cet égard n'aura aucun effet pratique sur les droits des parties, le Tribunal refuse d'analyser le bien-fondé de la plainte.

Réf. ant

(C.N.E.S.S.T., 2023-01-31), 2023 QCCNESST 55, SOQUIJ AZ-51912842