Intitulé
Centre de services scolaire des Découvreurs et Dallaire, 2025 QCTAT 2035
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Chaudière-Appalaches
Type d'action
Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que le travailleur avait subi une lésion professionnelle. Contestation accueillie. Contestations par l'employeur de décisions relatives à la suspension de l'indemnité de remplacement du revenu (IRR), à la capacité du travailleur à exercer son emploi et à des questions d'ordre médical. Contestations sans objet.
Décision de
Julie Samson, juge administrative
Date
13 mai 2025
Le travailleur enseigne la musique dans une école primaire. Le 17 février 2022, l'employeur l'a avisé que 2 élèves avaient formulé des allégations sérieuses à son endroit. Le travailleur a été suspendu pendant l'enquête. Douze jours plus tard, l'employeur l'a rencontré pour l'informer des résultats de l'enquête et lui adresser d'autres reproches. Le travailleur a été suspendu sans solde pendant 15 jours. Il a produit une réclamation pour un diagnostic de trouble anxiodépressif. La CNESST a accepté sa réclamation. Par la suite, elle a rendu d'autres décisions relatives à la suspension de l'IRR, à la capacité du travailleur à exercer son emploi et à des questions d'ordre médical.
Décision
Le Tribunal analyse l'admissibilité de la réclamation du travailleur en tenant compte du diagnostic de trouble de l'adaptation mixte avec anxiété et humeur dépressive qui a été retenu par le BEM. Le travailleur prétend qu'il a subi un accident du travail. Or, la preuve ne démontre pas que c'est le cas. La notion d'«événement imprévu et soudain», selon la jurisprudence qui l'a interprétée en matière de lésion psychologique, correspond à un événement particulier circonscrit dans le temps ou encore à une succession ou à un cumul d'événements, qui, pris isolément, peuvent sembler bénins, mais qui deviennent importants lorsqu'ils sont considérés dans leur ensemble. Qu'il s'agisse d'un événement unique ou du cumul de plusieurs événements, ceux-ci doivent présenter un caractère «objectivement traumatisant» pour s'écarter de ce qui est normalement observé dans un milieu de travail. Le Tribunal adhère à l'approche voulant qu'un événement «traumatisant» soit compris au sens de «choquant, bouleversant ou perturbant», selon la définition contenue au dictionnaire, plutôt que dans le sens d'un «traumatisme psychique», ce qui pourrait avoir pour effet d'alourdir le fardeau de la preuve. L'analyse du caractère «objectivement traumatisant» doit s'apprécier selon le critère de la personne raisonnable et ne peut relever uniquement de la perception du travailleur.
Le travailleur prétend que l'événement imprévu et soudain découle du fait qu'il a été visé, à tort, par des allégations à connotations sexuelles lors de la rencontre avec son employeur le 17 février 2022. Il a le sentiment qu'il n'a pas reçu le soutien de son employeur pendant cette période difficile, étant d'avis que ce dernier a plutôt profité de la situation pour lui adresser d'autres reproches et lui imposer une mesure disciplinaire exagérément sévère. Or, à la lumière des affirmations des témoins de l'employeur, qui sont corroborés sous plusieurs aspects par la preuve documentaire, il est peu probable que l'expression «allégations sexuelles» ait été utilisée lors de la rencontre du 17 février 2022. À aucun moment le terme «sexuel» n'est utilisé dans le courriel de dénonciation de la travailleuse sociale et de la directrice ou encore dans les notes manuscrites consignées par cette dernière lors de ses rencontres avec les élèves visées. Il est plutôt question de malaises en présence de l'enseignant lorsque celui-ci a touché les élèves ou qu'il a fait une blague au sujet de sa fermeture éclair, laquelle aurait été répétée plusieurs fois. Le Tribunal retient notamment du libellé de la lettre du 17 février 2022, remise au travailleur, et de celui de l'avis disciplinaire du 4 mars 2022 qu'il est seulement fait mention de comportements jugés «inappropriés». Dans cet avis disciplinaire, l'employeur prend soin de préciser que l'enquête a révélé qu'il ne s'agissait pas de «gestes à connotation sexuelle», mais bien de «blagues de mauvais goût sans malice, mais néanmoins totalement inappropriées dans le contexte». La situation actuelle se distingue de celle où un travailleur fait l'objet de fausses allégations ou d'accusations qui portent atteinte à son intégrité. L'employeur a reçu une dénonciation d'élèves visant des paroles et des gestes du travailleur. Il a été prudent et avisé de suspendre le travailleur pendant l'enquête, qui a été conduite rapidement, de façon à préserver l'intégrité personnelle et professionnelle de ce dernier. Le Tribunal comprend que le comportement du travailleur, même s'il n'était manifestement pas mal intentionné, puisse avoir été jugé inapproprié en contexte d'enseignement. Le nouveau directeur a également témoigné qu'il était «totalement inapproprié» de toucher des élèves, peu importe les circonstances, et que cela était régulièrement rappelé aux enseignants, précisément pour éviter tout malaise ou toute mauvaise interprétation. Sans se prononcer sur la justesse de la mesure de suspension imposée au travailleur, le Tribunal conclut que l'employeur a exercé ses droits de direction de façon raisonnable, non abusive et non discriminatoire.
Il semble que ce soit surtout la crainte du regard des autres, le sentiment que tout le monde était au courant de la situation et la peur d'être jugé qui ont incité le travailleur à consulter un professionnel, plutôt que le fait d'avoir été rencontré par l'employeur dans le cadre d'un processus disciplinaire. Le présent dossier se distingue des affaires soumises par le travailleur. Dans l'une de celles-ci, le travailleur avait été victime d'accusations criminelles qui étaient sans fondement. Dans une autre affaire, une travailleuse avait fait l'objet d'une enquête du directeur de la protection de la jeunesse à la suite du signalement d'un collègue, lequel s'était révélé non fondé. Les faits de la présente affaire sont semblables à ceux exposés dans Centre de services scolaire de Montréal et Chamberland (T.A.T., 2021-10-19), 2021 QCTAT 4999, SOQUIJ AZ51802969, 2021EXPT-2052, où le Tribunal a conclu à l'absence d'événement imprévu et soudain. Par conséquent, le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle. Étant donné cette conclusion, les contestations dans les autres dossiers sont devenues sans objet.