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Suspension sans solde d’une durée indéterminée : congédiement déguisé

Un conseiller technique chez un concessionnaire d'automobiles a fait l'objet d'un congédiement déguisé lorsque l'employeur lui a imposé une suspension sans solde d'une durée indéterminée et a modifié de façon unilatérale son plan de rémunération; la plainte (art. 124 L.N.T.) est accueillie.
20 août 2025

Intitulé

Clemente c. Méridien automobile inc., 2025 QCTAT 1879

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — accueillies.

Décision de

Christian Reid, juge administratif

Date

8 mai 2025


Décision

Le plaignant occupait un poste de conseiller technique chez l'employeur, un concessionnaire d'automobiles — il allègue avoir été l'objet d'un congédiement déguisé à la suite de la décision de l'employeur de le suspendre sans solde à des fins d'enquête ainsi que de la modification unilatérale de son plan de rémunération et de son horaire de travail — il prétend également que son congédiement officiel survenu après le dépôt de sa première plainte est illégal parce qu'il fait suite à l'exercice de différents droits prévus à la Loi sur les normes du travail et qu'il a été effectué sans cause juste et suffisante — l'employeur soutient que le plaignant a été suspendu au motif qu'il avait modifié la lecture de l'odomètre du véhicule d'un client — il prétend avoir subséquemment congédié le plaignant en raison de l'attitude néfaste de ce dernier au travail et de son rendement insatisfaisant.

Dans l'arrêt Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie (C.S. Can., 2004-07- 29), 2004 CSC 55, SOQUIJ AZ-50264378, J.E. 2004-1543, D.T.E. 2004T-775, [2004] 3 R.C.S. 195, la Cour suprême du Canada a reconnu, dans le contexte du droit civil québécois, le pouvoir d'un employeur de suspendre un salarié pour des raisons administratives — elle a précisé que ce «pouvoir résiduel de suspendre pour des motifs administratifs en raison d'actes reprochés à l'employé» était limité et devait être exercé selon certaines conditions — l'employeur n'a respecté aucune de ces conditions — en ce qui concerne la protection de ses intérêts légitimes, la suspension du plaignant était certes une option qu'il se devait d'envisager — l'omission de l'employeur de démontrer qu'il ne pouvait contrer la situation par d'autres mesures permet de conclure qu'il n'a pas respecté cette première condition — l'employeur n'a pas agi de bonne foi et équitablement à l'égard du plaignant — même si la lettre de suspension qu'il lui a remise annonçait qu'une enquête serait effectuée, cela n'a pas été le cas — au moment où il a décidé de la suspension du plaignant, l'employeur n'a pas fait la démonstration que celle-ci allait être d'une durée relativement courte, déterminée ou déterminable — l'employeur ne se trouvait pas dans un cas exceptionnel pouvant justifier de déroger au principe qu'une suspension est imposée avec solde — l'employeur ayant outrepassé les limites du pouvoir qu'il détenait de suspendre le plaignant, il y a eu violation du contrat de travail de ce dernier — en retenant notamment que cette suspension a été d'une durée de 6 semaines, pendant lesquelles le plaignant n'a pas été rémunéré, et que, au surplus, aucune mesure ou sanction ne lui a été imposée, une personne raisonnable placée dans la même situation aurait constaté le caractère substantiel de cette violation — le plaignant a été victime d'un congédiement déguisé en raison de la suspension sans solde qui lui a été imposée — quant à la modification de l'horaire de travail du plaignant, elle ne peut constituer une violation de son contrat de travail — l'employeur a exercé son droit de direction — les modalités du contrat de travail unissant le plaignant à l'employeur ne permettaient cependant pas à ce dernier de décider unilatéralement d'une diminution de ses conditions globales de rémunération — cette modification unilatérale des conditions de rémunération du plaignant constitue une violation du contrat de travail — le plaignant a aussi été victime d'un congédiement déguisé en raison de la modification de son plan de rémunération décidée unilatéralement par l'employeur.

Le plaignant a exercé le droit de réclamer des sommes dues — il y a une concomitance entre un dernier courriel envoyé par le plaignant à ce sujet, le 4 septembre 2020, et le congédiement, survenu le 10 septembre suivant — le plaignant a également exercé un droit en déposant sa première plainte en vertu de l'article 124 L.N.T. le 2 juin 2020 — il y a une concomitance suffisante entre le dépôt de sa plainte et le congédiement survenu 3 mois plus tard — même si l'employeur affirme qu'il n'a pas eu connaissance du contenu du certificat médical envoyé par le plaignant avant d'annoncer à ce dernier qu'il était congédié, le plaignant a bel et bien exercé un droit en avisant le matin même un supérieur en situation d'autorité qu'il allait s'absenter de même qu'en faisant suivre en fin d'après-midi une copie du son certificat médical à une autre personne en situation d'autorité — il y a lieu de conclure à une concomitance suffisante puisqu'il y a eu exercice du droit le jour même où le plaignant a été congédié — le plaignant ayant été congédié de manière concomitante de l'exercice de 3 droits prévus à la Loi sur les normes du travail, il existe une présomption simple que le congédiement est illégal — l'employeur n'a pas réussi à repousser cette présomption — il n'a pas démontré que le plaignant avait terni ou discrédité sa réputation, qu'il avait eu un comportement non professionnel à l'égard d'un client ou qu'il avait créé un climat de travail toxique — il n'a pas démontré que la décision qu'il a prise de congédier le plaignant reposait sur une autre cause juste et suffisante — 2 avertissements avant que ne survienne un congédiement ne peuvent constituer une progression des sanctions suffisante pour mettre fin à l'emploi d'un salarié — en omettant de sanctionner le plaignant dès son retour au travail, l'employeur a traité la modification du kilométrage comme un incident banal ne nécessitant pas de sanction — il ne peut prétendre aujourd'hui que cet événement était à lui seul suffisamment grave pour justifier une fin d'emploi — si l'employeur considérait que cet événement avait rompu le lien de confiance, il devait le sanctionner sans délai — il ne pouvait pas attendre 3 mois avant de congédier le plaignant — l'employeur n'a pas fait la démonstration d'un motif disciplinaire justifiant sa décision de mettre fin à l'emploi du plaignant — quant au deuxième avis remis au plaignant concernant sa sous-performance, il est insuffisant pour justifier son congédiement — l'employeur n'a pas continué à signaler au plaignant ses lacunes et ce dernier n'a obtenu aucun soutien concret pour s'amender — à aucun moment le plaignant n'a été prévenu d'un risque de congédiement à défaut d'amélioration — l'employeur n'a pas respecté les obligations qui lui incombaient afin de justifier un congédiement du plaignant pour incompétence — le congédiement est annulé — le Tribunal réserve ses pouvoirs en ce qui a trait à la détermination des mesures de réparation appropriées.