Intitulé
Preston et ArcelorMittal (Mont-Wright), 2025 QCTAT 1977
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Mauricie-Centre-du-Québec
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision ayant déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation rejetée.
Décision de
Isabelle Arseneault, juge administrative, et Dr Michel R. Fortin, assesseur
Date
9 mai 2025
Le travailleur a occupé des emplois de mécanicien dans des garages ainsi que celui d'opérateur-réparateur d'équipements. Il a produit une réclamation pour un diagnostic de maladie de Raynaud qu'il attribuait à son exposition aux vibrations et au travail au froid. La CNESST a refusé sa réclamation.
Décision
Le «phénomène de Raynaud» est utilisé «pour désigner l'épisode de doigts blancs, déclenché par une exposition au froid, au vent, à l'humidité ou au contact avec un objet froid» (Georges Adib et Alice Turcot, Vers une définition des lésions professionnelles attribuables à une exposition aux vibrations à des fins de surveillance, Montréal, Institut national de santé publique du Québec, 2023 [en ligne]), sans préjuger de la cause. La «maladie de Raynaud» qui «se manifeste par des doigts blancs est désignée sous le terme de Raynaud primaire. C'est une maladie pour laquelle les causes ne sont pas encore connues et qui a une tendance familiale (Herrick, 2012)» (Vers une définition, précité). Dans «Le syndrome vibratoire, une maladie sournoise» ((2005) 40 Le Médecin du Québec 95-99 [en ligne]), il est indiqué que: «L'âge médian pour présenter la maladie de Raynaud est de 14 ans, et seulement 27 % des patients atteints de cette maladie le sont à partir de 40 ans.» Quant au «syndrome de Raynaud», il fait souvent référence au Raynaud secondaire, qui désigne «toutes les autres causes de maladie qui se manifestent par des doigts blancs comme les maladies du tissu conjonctif telles que la sclérodermie» (Vers une définition, précité). Parmi les autres causes, on trouve notamment, selon la littérature médicale, les causes médicamenteuses et l'atteinte vasculaire du syndrome vibratoire, dont celle découlant d'une exposition main-bras, qui est alléguée en l'espèce, désignée par le terme «syndrome vibratoire main-bras». À la lumière de la littérature médicale et du complément d'information fourni par le professionnel de la santé qui a charge, le diagnostic de syndrome de Raynaud est retenu aux fins de l'analyse du dossier.
Le travailleur bénéficie de la présomption de maladie professionnelle. Le Raynaud secondaire étant reconnu comme une maladie pouvant être causée par les vibrations, la première condition d'application de la présomption est remplie. Il en est de même de la deuxième condition, soit avoir effectué un emploi impliquant des vibrations. Le travailleur a exercé le métier de mécanicien dans différents garages de 1999 à 2012. Ce travail impliquait des vibrations, en raison de l'outillage utilisé, notamment la clé à cliquet et à percussion, le marteau pneumatique, la scie alternative à air et la sableuse à air rotative. Le même constat s'applique pour ce qui est de l'emploi d'opérateur-réparateur d'équipements que le travailleur a occupé à compter de 2012. Ce dernier a été exposé à des vibrations en raison de l'utilisation d'outils vibrants comme une clé à choc, une perceuse, une meuleuse, une scie, une boulonneuse, un marteau à crampons, un arrache-crampons, un marteau-piqueur ou «tie tamper», etc. L'application de la présomption dans le cas d'une maladie causée par les vibrations n'est pas assujettie à quelque durée ou à quelque niveau d'exposition que ce soit. Le seul fait d'exercer un travail impliquant des vibrations est suffisant pour entraîner l'application de la présomption.
Selon la jurisprudence, l'insuffisance de la durée d'exposition ou de l'intensité des vibrations peut être invoquée à titre de moyen pour repousser la présomption, tout comme l'existence d'une condition personnelle comme cause de la maladie. En somme, l'employeur peut administrer toute preuve tendant à démontrer, de manière prépondérante, que la maladie n'a pas été contractée par le fait ou à l'occasion du travail. L'exposition personnelle du travailleur à des outils vibrants dans le cadre de ses tâches d'opérateur-réparateur d'équipements se compte en quelques minutes par semaine. Pour ce qui est du travail de mécanicien, dans un document de l'IRSST, les niveaux de vibrations de 5 outils portatifs pneumatiques utilisés dans les ateliers de réparation de véhicules automobiles ont été mesurés et illustrés par une figure. En l'absence de réglementation québécoise, ce sont les niveaux limites d'exposition aux vibrations fixés par les normes européennes qui sont considérés. Il appert de la figure et des taux de vibration indiqués dans le tableau de l'historique professionnel déposé par le travailleur que, pour 2 heures de travail impliquant l'utilisation d'outils vibrants, ce qui représente le pourcentage maximal allégué de 25 % du temps travaillé dans une journée de 8 heures, les outils suivants sont dans le niveau limite acceptable d'exposition aux vibrations selon les normes européennes: les ponceuses, les meuleuses, les clés à cliquet 3/8 de pouce et les clés à choc 1/2 pouce. Il s'agit là des principaux outils utilisés par le travailleur dans les garages de mécanique automobile. Pour ce qui est de la clé à choc 3/4 de pouce ou 1 pouce, de même que les marteaux pneumatiques, cette limite est d'environ 1 heure pour une durée de travail de 8 heures, selon la figure. Ces outils étaient principalement utilisés dans les garages où le travailleur effectuait du travail de carrosserie avec des automobiles ou lors des changements de pneus sur les camions. Pour 3 employeurs, ces tâches représentaient respectivement 30 %, 20 % et 50 % du temps travaillé. De ces pourcentages, si l'on retient que le travailleur a une tendance à l'amplification, alléguant qu'il utilisait un outil vibrant la moitié du temps, de manière non continue, et considérant que d'autres outils vibrants étaient également utilisés, l'exposition reste, de manière probable, dans la norme acceptable.
Au sujet de l'exposition des mécaniciens de garage à des outils vibrants, certains articles de littérature médicale, de même que des décisions du Tribunal, reconnaissent un lien avec le développement d'un Raynaud secondaire aux vibrations. Cependant, certains éléments propres au présent dossier, qui vont au-delà de l'analyse de l'exposition du travailleur à des vibrations au travail, différencient le cas de ce dernier de ceux que l'on trouve dans ces décisions ou cette littérature médicale. En effet, il est bien établi dans la littérature médicale que, «dans le cas de maladie des vibrations [...], le phénomène est habituellement asymétrique et touche d'abord la main dominante» (Shixin (Cindy) Shen et Ronald A. House, «Maladie des vibrations», (2017) 63 Canadian Family Physician. Le médecin de famille canadien 160-165 [en ligne]) et que «le phénomène de Raynaud peut être unilatéral ou bilatéral au niveau des mains, avec une prédominance du côté de la main tenant l'outil. Cette asymétrie se distingue de la maladie de Raynaud qui est bilatérale» («Le syndrome vibratoire», précité). Or, les symptômes du travailleur sont d'abord apparus au majeur de sa main gauche, soit sa main non dominante. Par ailleurs, selon la littérature médicale, «la période de latence entre le début de l'exposition aux outils vibrants et l'apparition des doigts blancs varie entre quelque mois et quelques années» («Le syndrome vibratoire, une maladie sournoise», précité). En l'espèce, les premiers symptômes du travailleur sont apparus 17 années après qu'il eut commencé à travailler avec des outils vibrants. De l'aveu même de celui-ci, il était plus fréquemment exposé à des vibrations au cours des 12 premières années de travail, à titre de mécanicien de garage, que dans les 5 dernières années où il a travaillé comme opérateur-réparateur d'équipements. Selon la littérature médicale, «la période de latence [...] serait directement reliée à l'intensité de l'exposition aux vibrations» (Yves Bergeron, Luc Fortin et Richard Leclaire, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., St-Hyacinthe, Edisem, 2008). Par ailleurs, la pathologie du travailleur a débuté par la main gauche, non dominante, pour se propager très rapidement à la main droite, dominante, ainsi qu'aux pieds. Le tout s'est déroulé dans un laps de temps de 9 mois seulement. Pour le professionnel de la santé de l'employeur, cette progression est inhabituelle et trop rapide pour une présentation clinique d'un Raynaud secondaire aux vibrations main-bras. Au sujet de l'atteinte aux pieds reliée à un Raynaud secondaire aux vibrations main-bras, la littérature médicale est divisée. Le Tribunal ne tranchera pas ce débat, mais souligne que la preuve médicale ne démontre pas que le travailleur présente une atteinte sévère de son état vasculaire. Le professionnel de la santé de l'employeur est d'avis que ce type de présentation rapide touchant les 4 extrémités est plus typique d'une cause endogène ou systémique médicamenteuse du Raynaud. Selon un article de littérature médicale, parmi les causes médicamenteuses du Raynaud secondaire se trouvent les amphétamines. Or, le travailleur présente un trouble déficitaire de l'attention pour lequel une médication, laquelle fait partie des amphétamines, a été commencée de manière concomitante de l'apparition des premiers symptômes. La présomption de maladie professionnelle a donc été repoussée.
La preuve ne permet pas de conclure que la maladie est caractéristique des emplois occupés par le travailleur au sens de l'article 30 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ni qu'elle est reliée aux risques particuliers du travail. Par conséquent, le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle.