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Diagnostic psychologique et lésion professionnelle

Constatant une évolution des connaissances et du contexte juridique applicable, le Tribunal conclut qu'un diagnostic de nature psychologique constitue un diagnostic mixte qui peut donner ouverture à l'application de la présomption de lésion professionnelle.
28 août 2025

Intitulé

André et Société de transport de Montréal - Réseau des autobus - Opération, 2025 QCTAT 2160

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Contestation par le travailleur d'une décision ayant déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie.

Décision de

Danielle Tremblay, juge administrative

Date

26 mai 2025


Le travailleur occupe un poste de chauffeur d'autobus. Alors qu'il préparait sa journée de travail et qu'il se trouvait dans son autobus, celui-ci a été percuté par un autre autobus qui faisait marche arrière. Le travailleur a produit une réclamation pour un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique (SSPT). La CNESST a accepté sa réclamation. L'instance de révision a infirmé cette décision.

Décision

Le Tribunal s'est penché sur le respect de l'ensemble des critères énoncés à l'article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et sur l'application de la présomption en tenant compte des faits particuliers du dossier. Les 2 derniers critères sont établis de manière prépondérante. Le travailleur était sur les lieux du travail et venait de commencer son quart de travail lorsque l'événement est survenu.

Quant au critère de l'existence d'une blessure, il est également démontré. La jurisprudence quasi unanime confirme l'inapplicabilité de la présomption figurant à l'article 28 LATMP aux lésions psychologiques, et ce, en s'appuyant principalement sur les 2 motifs suivants: 1) la notion de «blessure» serait, à sa face même, de nature exclusivement physique; et 2) l'absence d'adéquation entre la définition de «blessure» que l'on trouve dans les dictionnaires usuels et les circonstances provoquant l'apparition de lésions psychologiques, compte tenu de l'absence de participation évidente, par exemple, d'un agent vulnérant extérieur.

Le Tribunal note une évolution des connaissances ainsi que du contexte juridique applicable. En effet, la confirmation que le concept de «blessure» se décline désormais sous forme physique tout autant que psychologique repose dorénavant sur plusieurs assises. On le constate notamment dans certains dictionnaires usuels, dans des lexiques ou des glossaires spécialisés et même dans la législation. En énumérant ces différentes assises, l'intention du Tribunal n'est pas d'interpréter le critère de la «blessure» en tenant compte de l'éclairage de celles-ci puisque ces sources sont étrangères à la loi ainsi qu'à son contexte d'application. Il s'agit plutôt pour le Tribunal, soit une instance hautement spécialisée à laquelle on confie le devoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu ainsi que des pouvoirs d'enquête à cette fin, d'étayer le changement de paradigme qu'il remarque.

La loi ne fait pas de distinction entre les lésions physiques et psychologiques. Dans Boies et CSSS Québec-Nord (C.L.P., 2011-04-14), 2011 QCCLP 2775, SOQUIJ AZ-50744164, 2011EXPT-905, [2011] C.L.P. 42, le Tribunal n'indique pas non plus d'en faire une. Au contraire, appliquer tous les principes énoncés dans cette décision aux lésions psychologiques empêche de léser les travailleurs qui sont victimes de lésions psychologiques en les privant de l'effet de la présomption alors qu'ils pourraient y avoir droit. Comme on l'indique dans Boies, il faut donner à l'article 28 LATMP et, incidemment, au critère de «blessure», quel que soit le type de lésion ou le diagnostic posé, une interprétation large et libérale afin de favoriser son application. La mise en garde que l'on fait dans cette affaire au sujet des limites des indices provenant des dictionnaires en raison de leur contenu non exhaustif s'applique tout aussi parfaitement aux lésions psychologiques qu'aux autres types de lésions. Le Tribunal considère qu'il est important de s'en préoccuper puisque certaines blessures peuvent se produire sans la participation d'un agent vulnérant extérieur sur les tissus vivants.

Considérant que les lésions psychologiques sont de nature mixte, c'est-à-dire qu'elles sont susceptibles de se manifester sous la forme d'une blessure comme d'une maladie, le Tribunal doit se pencher sur la manifestation de la symptomatologie ainsi que les signes cliniques plutôt que sur les définitions non exhaustives des dictionnaires, lesquelles requièrent une lésion à des tissus vivants ou encore l'action d'un agent vulnérant extérieur.

Les symptômes du travailleur se sont manifestés comme le ferait une blessure. Ils se sont présentés sans période de latence, soit le jour de l'événement, au point où le travailleur a été incapable de poursuivre sa journée de travail, même s'il venait de la commencer. Quatre jours plus tard, le professionnel de la santé qui a charge a confirmé lui aussi l'apparition subite des symptômes du travailleur dans l'attestation médicale. Le contenu du formulaire d'enquête paritaire déposé par l'employeur corrobore également cette information. Le travailleur bénéficie donc de la présomption de lésion professionnelle. L'employeur n'a déposé aucune preuve de nature à repousser la présomption.

Le Tribunal aurait également conclu à la survenance d'un accident du travail. L'événement accidentel est de nature unique et bien définie. Un autobus, qui se trouvait devant celui du travailleur, a fait marche arrière sans avertissement et l'a percuté. Non seulement le travailleur circulait dans cet espace réduit quelques secondes auparavant, mais il était également prévu qu'il y retourne quelques secondes plus tard afin d'y effectuer des travaux. Il s'agit de circonstances factuelles objectivables, qui ne découlent pas de la seule perception du travailleur, et ce, même si l'événement n'a pas entraîné de blessure physique. Le fait d'avoir été exposé à une menace de blessure grave, voire à la mort, se qualifie d'événement imprévu et soudain. En raison de la nature de l'emploi, l'employeur affirme que les accrochages et les accidents routiers sont des choses courantes pour les chauffeurs d'autobus et que de telles circonstances ne devraient pas, selon lui, entraîner un SSPT. Il ne dépose toutefois pas d'avis médical permettant de soutenir cette inférence. Le Tribunal ne trouve pas non plus, dans le dossier administratif ou dans la preuve présentée à l'audience, d'autres circonstances que l'événement qui seraient susceptibles d'expliquer l'apparition de la lésion. Par conséquent, le travailleur a subi une lésion professionnelle.