Intitulé
Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l'Île-de-Montréal (FIQ) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l'Île-de-Montréal (grief syndical), 2024 QCTA 522
Juridiction
Tribunal d'arbitrage (T.A.)
Type d'action
Grief contestant l'installation d'une caméra. Rejeté.
Décision de
Me Fany O'Bomsawin, arbitre
Date
5 novembre 2024
Le conjoint d'une patiente a installé une caméra dans la chambre de cette dernière afin de s'assurer de son bien-être et de la qualité des soins fournis, de veiller sur elle et de permettre à leurs jeunes enfants de la voir et de lui parler. La patiente est dans un état neurovégétatif et est incapable de communiquer. Placée de manière à la voir dans son lit, la caméra enregistrait les images en continu et permettait une communication bidirectionnelle. Informé de la situation, l'employeur en a vérifié la légalité et a conclu que le conjoint était en droit d'installer une caméra. Le syndicat soutient qu'il s'agissait d'une condition de travail déraisonnable qui contrevenait à l'article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne et qui portait atteinte à la santé physique et psychologique des salariés.
Décision
Dans la décision Vigi Santé ltée c. Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ), (C.A., 2017-06-14), 2017 QCCA 959, SOQUIJ AZ51401066, 2017EXP-1901, 2017EXPT-1055, la Cour d'appel a conclu que le cadre d'analyse énoncé à l'article 46 de la charte, lequel a été utilisé dans Unifor, section locale 1209 (FTQCTC) et Delastek inc. (grief syndical), (T.A., 2021-08-16), 2021 QCTA 442, SOQUIJ AZ51789706, 2021EXP-2260, 2021EXPT-1477, ne trouvait pas application puisque la surveillance n'était pas effectuée par l'employeur, mais bien par la famille d'une résidente. Le Tribunal estime que ce raisonnement peut être appliqué en l'espèce. Le droit du conjoint d'installer une caméra dans la chambre de la patiente n'est pas remis en question. Même s'il est vrai que la caméra captait ou était susceptible de capter des images en continu, le fait demeure qu'elle visait la patiente et que son installation avait pour objectif principal de s'assurer de son bien-être. Dans les circonstances, le fait pour le personnel d'être filmé au moment de donner des soins n'était pas déraisonnable. Il ne s'agissait pas non plus d'une surveillance en continu puisque aucun salarié n'était affecté de manière permanente et continue aux soins de la patiente. Le Tribunal estime que l'utilisation de la caméra faite par le conjoint, dans son rôle de représentant de la patiente, n'était pas déraisonnable. L'employeur n'avait aucun contrôle sur les images et n'a aucunement été impliqué dans l'installation, la surveillance, le visionnement ou l'activation de la caméra. Il est clair que l'employeur n'a effectué aucune surveillance, ce qui est déterminant. Les enseignements énoncés dans l'arrêt Vigi Santé ltée doivent trouver application en l'espèce. Puisqu'il n'y a pas eu de surveillance de la part de l'employeur, l'article 46 de la charte ne s'applique pas à l'installation de la caméra par le conjoint de la patiente.
L'employeur ne peut être totalement dédouané de tous les effets que la caméra ou son utilisation ont eus sur les salariés, qui ont eu l'impression d'être épiés. Considérant cette situation exceptionnelle, il a requis sans délai une opinion juridique concernant le droit du conjoint de la patiente d'installer une caméra. Il a ensuite informé sans tarder les salariés de l'état de la situation, en plus de s'assurer que le conjoint de la patiente comprenne les limites qu'il devait respecter dans l'utilisation de la caméra et des images captées et enregistrées. L'employeur a également demandé l'intervention de l'éthicienne de l'établissement après avoir été informé que le conjoint s'était adressé directement au personnel au moyen de la caméra. En outre, il a été démontré que la relation entre le personnel et le conjoint de la patiente était déjà tendue avant l'installation de celle-ci. Même si les interventions du conjoint étaient justifiées, les salariés se sentaient surveillés par ce dernier. En somme, même si la gestion de la situation par l'employeur n'a pas été parfaite, le Tribunal conclut qu'il a agi raisonnablement dans les circonstances.