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Enregistrement clandestin

La conversation enregistrée par la travailleuse à l'insu des représentants de l'employeur alors qu'elle avait quitté la pièce où se déroulait la rencontre pour prendre une pause est recevable en preuve; la travailleuse ayant des motifs rationnels d'enregistrer la discussion et celle-ci ayant été captée de la manière la moins intrusive possible, l'atteinte à la vie privée est justifiée.
11 mai 2023

Parties

Charron et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal - Centre hospitalier de Verdun

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Contestation par la travailleuse d'une décision ayant déclaré qu'elle n'avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation accueillie. Objection de l'employeur à la recevabilité en preuve d'un enregistrement. Objection rejetée. Preuve recevable.

Décision de

Danielle Tremblay, juge administrative

Date

14 octobre 2022


La travailleuse, une conseillère en soins infirmiers, a déposé une réclamation pour un trouble de l'adaptation qu'elle alléguait être en lien avec le processus administratif et disciplinaire mis en oeuvre par l'employeur à son égard. La CNESST a refusé sa réclamation. L'instance de révision a confirmé cette décision. Dans le cadre de sa contestation devant le TAT, la travailleuse souhaite déposer en preuve l'intégralité d'un enregistrement clandestin qu'elle a capté avec son téléphone cellulaire, le 29 août 2018, lors d'une rencontre à laquelle participait sa gestionnaire, une conseillère en relations du travail et une déléguée syndicale. L'employeur s'oppose à la recevabilité de la partie de l'enregistrement qui a été effectuée alors que la travailleuse n'était plus une partie à la conversation. Décision

Décision

L'enregistrement capté en présence de la travailleuse, lorsqu'elle participait à la discussion, est recevable en preuve, même si les autres participants à cette conversation n'étaient pas au courant de cette initiative. La travailleuse a alors capté, de manière licite et sans porter atteinte aux droits fondamentaux des participants, des informations qu'on lui communiquait ouvertement. Cette preuve est pertinente. Elle constitue la meilleure preuve disponible puisqu'elle permet au Tribunal de constater les faits matériels, comme le ton employé par les parties lors de la rencontre ainsi que leurs propos exacts, plutôt que d'inférer à partir de leurs seuls témoignages ce qui s'est réellement passé lors de la discussion.

En ce qui concerne la partie de l'enregistrement recueillie par la travailleuse alors qu'elle avait quitté la pièce, celle-ci allègue qu'il n'y a pas d'atteinte à la vie privée étant donné que la discussion a été captée sur les lieux du travail. Or, comme il a été rappelé dans Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau (C.A., 1999-08-30), SOQUIJ AZ-50067177, J.E. 99-1786, D.T.E. 99T-846, [1999] R.J.Q. 2229, [1999] R.J.D.T. 1075, toute personne conserve une expectative de vie privée, même en dehors des murs de son foyer. Il est vrai que l'expectative de vie privée d'un individu est considérablement réduite sur les lieux du travail. Toutefois, des nuances importantes s'appliquent lorsqu'il s'agit d'évaluer si la captation clandestine d'une conversation porte atteinte au droit à la vie privée d'une personne. La Cour a précisé à cet égard, dans Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Quebec) Inc. (C.A., 2001-04-30), SOQUIJ AZ-50085995, J.E. 2001-1055, D.T.E. 2001T-545, [2001] R.J.Q. 1111, [2001] R.R.A. 336 (rés.), que l'étendue de la garantie au droit à la vie privée s'évaluait en tenant compte de la nature de l'information que l'on intercepte ainsi que du contexte.

Dans le présent dossier, vers la fin de la rencontre, en raison des tensions ressenties, la déléguée syndicale a suggéré de prendre une pause et de reprendre la discussion quelques instants plus tard. Afin de s'assurer que leurs conversations demeurent confidentielles, la travailleuse et la déléguée syndicale ont quitté la salle. La gestionnaire et la conseillère en relations du travail sont demeurées sur place et ont fermé la porte. Il va de soi que les discussions au cours desquelles une spécialiste, comme la conseillère en relations du travail, prodigue des conseils à son client, ou encore lorsqu'elle donne son avis sur une situation donnée, sont de nature confidentielle. Une telle conversation fait aussi partie du domaine privé en dépit du lieu de captation ou du contexte professionnel. Le fait qu'on indique, dans l'introduction d'un article de doctrine, qu'il soit plus prévisible de nos jours d'être enregistré en raison des nouvelles technologies ne modifie pas la conclusion du Tribunal. Les chuchotements de la gestionnaire montrent bien qu'elle ne souhaitait pas qu'on l'entende. Ainsi, à tout le moins en apparence, l'enregistrement clandestin de la travailleuse porte atteinte au droit à la vie privée des représentants de l'employeur.

Certaines situations peuvent justifier que l'on porte atteinte à un droit fondamental. À cet égard, la Cour a énoncé, dans Centre de services scolaire de Montréal (Commission scolaire de Montréal) c. Alliance des professeures et professeurs de Montréal (FAE), (C.A., 2021-07-06), 2021 QCCA 1095, SOQUIJ AZ-51778102, 2021EXP-1907, 2021EXPT-1164, que l'atteinte est justifiée lorsque des motifs rationnels devancent l'initiative et que les moyens choisis sont raisonnables. Ces critères ont surtout été établis dans des contextes de filature. Plusieurs de ces principes doivent être adaptés aux circonstances particulières du présent dossier. Le but que poursuivait la travailleuse était légitime. Au moment de la rencontre, son syndicat avait déposé plusieurs griefs qui contestaient notamment les décisions de l'employeur de lui remettre un avis administratif ou de la suspendre. La travailleuse souhaitait recueillir une preuve lui permettant de démontrer l'attitude et les propos de l'employeur, qu'elle considérait comme hostiles. Cette rencontre était la troisième à laquelle elle était convoquée, et ce, sans qu'on l'informe de sa teneur. Elle était persuadée que l'intervention de l'employeur était arbitraire et injustifiée. Elle croyait également que son lien d'emploi était en péril. La travailleuse éprouvait de la crainte envers l'employeur ainsi qu'à l'égard de la qualité de la représentation de son syndicat. Elle ne faisait confiance à aucun d'eux et anticipait l'imposition de mesures disciplinaires additionnelles. Le choix d'enregistrer la rencontre était rationnel puisqu'il permettait à la travailleuse d'atteindre son objectif. Le moyen choisi était le moins intrusif possible puisque l'enregistrement a été capté à l'aide du téléphone de la travailleuse, et ce, lors d'une rencontre officielle qui s'est déroulée sur les lieux du travail. La séquence captée durant la pause dure moins de 15 minutes. On n'y entend que les propos tenus. L'atteinte à la vie privée est justifiée au sens de l'article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne. Dans un tel cas, il n'est pas nécessaire d'aborder le deuxième volet de l'analyse portant sur la déconsidération de la justice. La preuve découlant de l'enregistrement est recevable dans son intégralité.

L'accident du travail est un événement imprévu et soudain qui survient par le fait du travail ou encore à l'occasion de celui-ci et qui entraîne chez une personne une lésion professionnelle. Le Tribunal adapte le critère de l'«événement imprévu et soudain» lorsque les lésions sont de nature psychique afin de tenir compte de l'apparition ou de l'installation progressive de la majorité des maladies à caractère psychologique. L'événement imprévu et soudain se constitue d'un événement unique ou d'un cumul d'événements possédant objectivement un caractère singulier ou particulier et qui débordent le cadre normal et habituel du travail. Le présent tribunal choisit d'utiliser les expressions «caractère singulier» et «caractère particulier» plutôt que «caractère traumatisant», auquel il est souvent fait référence dans la jurisprudence, afin de ne pas imposer aux travailleurs souffrant d'une lésion psychologique un fardeau de preuve plus lourd que celui incombant aux travailleurs souffrant d'une lésion physique. En effet, la jurisprudence énonce que l'événement imprévu et soudain n'est pas nécessairement extraordinaire ou exceptionnel. Exiger l'intervention d'une action «violente», comme le requiert la définition de «traumatisme», paraît aller à l'encontre de ce principe.

Le 4 juin 2018, l'employeur a imposé à la travailleuse une suspension de 1 journée puisqu'on lui reprochait notamment d'avoir retourné, entre 2016 et 2018, plusieurs dossiers d'enquête aux archives en raison de délais d'intervention dépassés. L'action de l'employeur était liée au bon fonctionnement de la direction. Cependant, bien que la travailleuse ne soit pas la seule responsable des 20 cas qui n'ont pas fait l'objet d'une enquête en 2017, la gestionnaire n'a pas rencontré les autres employés visés. Le Tribunal se demande de quelle manière cette mesure aurait pu convaincre le reste de l'équipe de cesser cette pratique et d'effectuer les enquêtes avec plus de diligence. Ce choix n'était logique que si l'on désirait faire de la travailleuse un exemple. Une telle orientation va à l'encontre du devoir de l'employeur d'agir équitablement envers l'ensemble de ses employés. Ce dernier n'a pas usé de son droit de gestion de manière raisonnable lorsqu'il est intervenu uniquement auprès de la travailleuse en juin 2018. En raison de la suite des événements, le Tribunal ne peut assimiler les gestes de l'employeur à une erreur isolée qui aurait été commise de bonne foi.

Lors de la rencontre du 29 août 2018, l'employeur a informé la travailleuse des manquements qu'il avait constatés au sujet de son attitude et de sa performance au travail. Il l'a mise en garde et lui a expliqué ses attentes pour l'avenir. Il lui a annoncé une surveillance accrue de sa prestation de travail en raison de ses résultats. L'intervention de l'employeur et la démarche qu'il a choisie étaient adaptées aux circonstances que celui-ci avait exposées en détail lors de la rencontre. Toutefois, au lieu d'imposer une mesure administrative, l'employeur a plutôt remis à la travailleuse, le 7 septembre 2018, une mesure de suspension de 7 jours ouvrables. L'employeur n'a pas expliqué cette volte-face. Compte tenu de ce qui avait été dit à la travailleuse lors de la rencontre du 29 août 2018, on ne peut s'étonner que celle-ci ait été déstabilisée par la tournure des événements. Lors de la rencontre du 7 septembre 2018, l'employeur a tenté d'intimider la travailleuse en lui faisant comprendre que la mesure dépendait de son bon vouloir. Une telle approche constitue un comportement arbitraire. Ce sont les faits qui devraient plutôt déterminer l'intensité de la mesure ou sa nature.

Le 11 septembre 2018, alors que la travailleuse était suspendue, l'employeur a informé celle-ci dans une lettre qu'un audit était en cours et qu'il allait vérifier le contenu de l'ensemble des dossiers des enquêtes épidémiologiques qu'elle avait effectuées de mars à août 2018. Dans l'intervalle, il lui a annoncé qu'elle bénéficierait d'un plan de redressement qui lui serait présenté le 19 septembre 2018. Cependant, le 17 septembre suivant, l'employeur a plutôt décidé de relever la travailleuse de ses fonctions, sans solde, pour une durée indéterminée, le temps d'une enquête. L'employeur a utilisé son droit de gestion sans mesurer l'incidence de son action sur la dignité et l'intégrité psychologique de la travailleuse ni tenir compte de celle-ci. L'employeur avait le droit de changer d'idée. Il devait toutefois le faire de manière juste, équitable et appropriée, en laissant à la travailleuse une réelle chance de s'amender, ce qu'il n'a pas fait. Une telle situation dépasse le cadre normal, prévisible et habituel du travail et constitue un événement imprévu et soudain au sens de la loi.

Cet événement imprévu et soudain, survenu par le fait ou à l'occasion du travail, est la cause du trouble de l'adaptation de la travailleuse, lequel a été diagnostiqué le 25 septembre 2018. L'apparition des symptômes est concomitante des événements décrits et ceux-ci se sont progressivement intensifiés avant de culminer le 17 septembre. La preuve médicale corrobore les affirmations de la travailleuse et elle établit l'existence d'un lien entre l'événement imprévu et soudain et la lésion. Par conséquent, la travailleuse a subi une lésion professionnelle.