Parties
Landry et Centre de services scolaire de Montréal
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Laval
Type d'action
Objection à une demande d'accès à des dossiers médicaux. Objection accueillie en partie.
Décision de
Philippe Bouvier, juge administratif
Date
13 juillet 2022
La CNESST a refusé les réclamations produites par la travailleuse pour 2 lésions professionnelles de nature psychique qui seraient survenues en mars et en août 2020. Dans le cadre de ce litige, l'employeur demande l'accès à plusieurs dossiers médicaux de la travailleuse détenus par des tiers. Il souhaite également obtenir l'autorisation de déposer en preuve le contenu du dossier médico-administratif qu'il détient à l'égard de la travailleuse. L'employeur prétend que l'accès à ces dossiers lui est essentiel afin d'exercer pleinement son droit d'être entendu. La travailleuse s'oppose à la demande d'accès de l'employeur.
Décision
L'accès de l'employeur aux relevés de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) est refusé. Dans un premier temps, la demande de l'employeur pour obtenir ces relevés est beaucoup trop large quant à son étendue temporelle. Elle représente une recherche à l'aveuglette, l'employeur ne précisant aucune période au cours de laquelle les relevés de la RAMQ seraient pertinents. Aucune indication dans le dossier, notamment à la lumière de l'expertise réalisée à la demande de l'employeur par un psychiatre, ne justifie cette demande d'accès sans limite temporelle. Dans un second temps, de façon générale, les relevés de la RAMQ ne peuvent être considérés comme pertinents à l'égard d'un litige relevant de l'indemnisation des lésions professionnelles. D'une part, à leur face même, ces relevés représentent un outil pour assurer la rémunération des médecins. La finalité de ces relevés n'est pas de tenir un registre de tous les diagnostics retenus par les médecins ou encore un outil de validation du contenu du dossier médical que détient un médecin à l'égard de ces patients. D'autre part, ces relevés contiennent des renseignements parcellaires et généraux.
Le litige dont est saisi le Tribunal réside dans l'existence d'un événement imprévu et soudain ainsi que d'un lien causal entre des faits survenus en mars 2020 et un diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse. Le Tribunal devra également se prononcer sur l'existence d'un lien causal entre des faits survenus en août 2020 et ce même diagnostic. L'employeur n'a pas remis en question le diagnostic retenu par le professionnel de la santé qui a charge. Dans cette perspective, les médicaments pris entre le 14 septembre 2020 et le 7 février 2022 ne sont pas pertinents relativement au litige. D'une part, la liste des médicaments déposée n'apporte aucune précision sur les raisons pour lesquels ces médicaments sont prescrits. D'autre part, dans l'existence d'un événement imprévu et soudain et dans l'appréciation de la causalité, la prise de médicaments n'est pas un élément contributif au dénouement du litige. En conséquence, l'employeur n'a pas un droit d'accès au dossier déposé par la compagnie d'assurance qui se résume à une liste de médicaments.
Une personne qui dépose une réclamation en vertu d'un régime d'indemnisation, qu'il soit privé ou public, en invoquant sa condition de santé pour obtenir les bénéfices de ce régime, renonce en partie à la confidentialité de son dossier médical. Cette renonciation à la confidentialité vaut à l'égard des documents qui concernent la condition pour laquelle la personne veut être indemnisée. En l'espèce, le dossier médical du professionnel de la santé qui a charge porte presque entièrement sur la condition psychique de la travailleuse. Il s'agit principalement des notes cliniques qui ont servi à la rédaction de rapports médicaux qui ont été déposés à la CNESST. Dans l'histoire de la maladie actuelle, le professionnel de la santé qui a charge évoque les circonstances survenues au travail en mars et en août 2020. Cependant, il fait également allusion à d'autres événements qu'il a retenus pour établir son impression diagnostique. Dans ce contexte, l'ensemble du dossier médical est pertinent relativement au litige et le Tribunal autorise l'employeur à y avoir accès. Au stade préliminaire, il importe pour le Tribunal et les parties de connaître l'ensemble des éléments pris en considération par le professionnel de la santé qui a charge pour retenir un diagnostic et conclure à sa relation avec le travail. Les diagnostics et informations concernant d'autres conditions sans lien avec la lésion psychique de la travailleuse seront caviardés.
En ce qui concerne la citation à comparaître envoyée par l'employeur à un hôpital, elle ne comporte aucune limite temporelle. Cette omission de l'employeur de circonscrire dans le temps sa demande fait en sorte que celle-ci devient une recherche à l'aveuglette et, d'emblée, le Tribunal devrait refuser l'accès à ce dossier médical. Toutefois, dans son expertise, le professionnel de la santé désigné de l'employeur a rapporté que la travailleuse lui avait mentionné avoir consulté en psychiatrie en 2009. Or, les documents déposés sous pli confidentiel par l'hôpital, soit des notes de consultation auprès d'une psychologue, correspondent à ce qu'a rapporté la travailleuse au professionnel de la santé désigné par l'employeur. Certes, l'objet des réclamations de la travailleuse vise 2 périodes précises en 2020. Il est également vrai que la travailleuse, entre 2009 et 2020, a occupé des emplois et que la condition mise en lumière en 2009 ne l'a pas empêchée d'être fonctionnelle et active. Cependant, comme le diagnostic qui lie le Tribunal dans le cadre du présent litige est celui de trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse et dépressive et que les notes cliniques de 2009 font état d'un trouble anxieux généralisé, il y a lieu de donner accès à l'employeur aux notes cliniques de l'hôpital.
Quant au dossier de la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC), celui-ci contient des informations administratives générales et des renseignements médicaux de nature psychique qui concernent la travailleuse. Or, dans ses notes cliniques concernant les lésions professionnelles alléguées de mars et d'août 2020, le professionnel de la santé qui a charge a fait allusion à quelques reprises au dossier de la travailleuse auprès de l'IVAC. Dans la décision du 16 février 2022 de cet organisme, le Tribunal constate également qu'il y a chevauchement entre les lésions professionnelles alléguées et les conséquences de l'acte criminel vécu par la travailleuse. Dans ce contexte, le Tribunal donne accès au dossier de l'IVAC. Toutefois, il retirera du dossier tout document non pertinent relativement à la condition psychique de la travailleuse.
Étant donné que l'employeur était également l'employeur de la travailleuse dans le cadre de sa réclamation pour une lésion professionnelle en 2017, il a donc un droit d'accès au dossier de la CNESST en vertu du premier alinéa de l'article 38 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il est pertinent de déposer ce dossier en preuve. D'une part, les diagnostics retenus dans le cadre de cette lésion professionnelle sont les mêmes que ceux retenus par le professionnel de la santé qui a charge en 2020. D'autre part, ce dernier, dans ses notes cliniques de 2020 et 2021, fait parfois référence aux circonstances de la lésion professionnelle de 2017.
Quant au dossier que détient l'employeur sur la travailleuse depuis son embauche, en 2014, il s'agit d'un amalgame de documents constitués de notes administratives ainsi que de documents médicaux de différentes provenances et portant sur différentes pathologies. Les documents qui ne relèvent pas de la condition psychique de la travailleuse ne peuvent être déposés en preuve parce qu'ils ne sont pas pertinents. Les documents administratifs antérieurs à l'année 2020 ne peuvent non plus être déposés en preuve pour la même raison. De plus, certains documents médicaux sont exclus puisqu'ils sont déjà au dossier ou encore parce qu'ils se trouvent dans d'autres dossiers auxquels le Tribunal a donné accès à l'employeur. Ainsi, le dépôt en preuve de certaines notes cliniques faisant partie du dossier médico-administratif est permis.