- Quels sont les problèmes généralement rencontrés en mode télétravail ?
- Quelles sont les implications juridiques générales du télétravail ?
- Quels sont les enjeux juridiques généraux du télétravail ?
- Quelles sont les obligations de l’employeur en lien avec le télétravail ?
- Quelles sont les obligations du salarié en lien avec le télétravail ?
- Est-ce que le télétravail deviendra une nouvelle condition d’emploi ?
2.1 Quels sont les problèmes généralement rencontrés en mode télétravail ?
Nous avons énuméré dans la section précédente certains inconvénients et certains risques potentiels liés à l’implantation du télétravail. Il s’agit d’une liste identifiant seulement certains éléments potentiels et il en existe bien d’autres selon les situations, l’entreprise, le type de poste, etc. Les problèmes les plus fréquents liés au télétravail que rencontrent les employeurs et les employés sont, par exemple, des questions d’application de l’horaire et la répartition du travail, la conception et l’aménagement du poste de travail, l’indemnisation des accidents du travail et l’application des lois en matière de santé et sécurité au travail, le fait pour le salarié de travailler de façon isolée. Nous recommandons que l’employeur et l’employé considèrent ces éléments dans le cadre de l’acceptation d’un régime de télétravail en indiquant clairement leur position et ce qu’ils feront dans une entente ou une politique.
2.2 Quelles sont les implications juridiques générales du télétravail ?
Il faut être conscient qu’il y a plusieurs incidences particulières en termes juridiques en matière de télétravail. Il y a plusieurs lois qui peuvent s’appliquer et il faut dans tous les cas tenir compte des spécificités propres à chaque entreprise, de même que de la jurisprudence et des modifications aux lois et règlements. L’employeur doit s’assurer évidemment de toutes les respecter.
Par exemple, il faut tenir compte de la réglementation municipale puisque certaines municipalités réglementent l’utilisation du domicile à des fins autres que résidentielles. Il peut y avoir de la réglementation concernant la superficie ou l’emplacement de l’espace de travail, ou encore concernant la question de la possibilité ou non de recevoir des clients à domicile ainsi que leur nombre.
D’un point de vue fiscal, la question n’a aucune incidence pour l’employeur, mais elle peut être intéressante pour l’employé. En effet, les dépenses liées à l’exercice de son emploi en télétravail, si elles ne sont pas remboursées par l’employeur, peuvent être déduites du revenu imposable. Il s’agit, par exemple, des dépenses liées aux fournitures utilisées et aussi aux dépenses liées à l’entretien du bureau à domicile.
Il y a aussi l’aspect de l’application de la Charte des droits et libertés. L’employeur qui a recours au télétravail doit s’assurer de respecter les droits fondamentaux de ses employés, soit plus précisément le droit à la vie privée et le droit à l’inviolabilité de la demeure. Dans ce cas, la Charte peut soulever certaines questions en lien avec les droits fondamentaux du salarié, principalement dans le cas où l’accomplissement du télétravail se fait dans la résidence même de celui-ci.
Par exemple, le fait d’obliger un employé à faire du télétravail peut poser de sérieux problèmes. En effet, les tribunaux ont déjà statué que l’employeur ne pouvait imposer un tel mode d’exécution du travail à ses employés sans porter atteinte à leur vie privée. On a aussi conclu que le mode d’organisation du travail nécessitant la mise en place d’un aménagement particulier dans la maison du salarié constituait en soi une intrusion illégitime dans la résidence de celui-ci. Toutefois, la question peut être différente si, dès le départ, l’employeur prévoit au contrat de travail que le télétravail fait partie des conditions liées à l’emploi. Cependant, l’employeur ne pourrait, en cours d’emploi, faire une modification des conditions de travail en imposant le télétravail. Dans ce cas, l’employeur doit obtenir le consentement du salarié, sinon il pourrait s’agir d’un congédiement déguisé. Nous pouvons donc affirmer que l’expectative légitime du droit à la vie privée est modulée par le télétravail à domicile et que le salarié peut renoncer à cette expectative.
La Charte soulève aussi la question des visites au domicile du salarié par l’employeur. Pour ce faire, l’employeur doit obtenir obligatoirement le consentement du salarié puisque la demeure d’une personne est inviolable et constitue le lieu privilégié de sa vie privée. Le télétravail soulève aussi la question du contrôle et de la surveillance du travail exécuté par le salarié. Il est établi que l’employeur a le droit de surveiller et de contrôler le travail de ses salariés, mais il doit s’assurer de le faire dans le respect de la vie privée, en respectant le droit à l’intimité et le droit à l’autonomie dans l’aménagement de la vie personnelle et familiale du salarié.
Pour l’utilisation des biens de l’employeur à la résidence du salarié, bien que le droit de ce dernier à la vie privée et le droit de l’employeur d’examiner l’ordinateur doivent coexister, les limites de chacun de ces droits ne sont pas clairement définies. L’employeur doit donc être prudent lorsqu’il désire, par exemple, instaurer des pratiques liées à la surveillance des courriels ou des conversations électroniques/téléphoniques, ou liées à la nécessité pour le salarié d’être disponible à des périodes qui pourraient empiéter sur sa vie privée. Dans ces cas, il est clairement préférable d’instaurer une politique claire qui est distribuée et portée à la connaissance de tous les salariés. Nous en fournissons un exemple dans la section 6 du présent ouvrage.
Même si la Loi sur les normes du travail n’y fait pas référence directement, certaines dispositions de celle-ci s’appliquent de façon particulière en cas de télétravail. Ainsi, le salarié dont on ne peut contrôler les heures de travail ne peut réclamer des heures supplémentaires. Deux conditions sont nécessaires à la mise en œuvre de cette exception, soit d’une part, le salarié doit travailler à l’extérieur de l’établissement et, d’autre part, ses heures de travail doivent être incontrôlables.
Il est aussi prévu que l’employeur ne peut exiger une somme d’argent d’un salarié pour l’achat, l’usage ou l’entretien de matériel, d’équipement, de matières premières ou de marchandises qui aurait pour effet que le salarié reçoive moins que le salaire minimum. Toutefois, l’employeur n’aurait pas à rembourser le salarié lorsque celui-ci possède déjà l’équipement nécessaire à l’exécution du travail lors de l’embauche.
Il faut aussi considérer qu’en cas de bris d’équipement, par exemple dans le cas du réseau informatique qui ne fonctionne pas, le salaire du salarié qui est disponible et qui attend qu’on lui fournisse du travail doit être maintenu.
Par ailleurs, il faut être conscient que les obligations légales relatives à la santé et la sécurité des parties s’appliquent tout aussi bien lorsque le salarié travaille dans l’entreprise ou à l’établissement de l’employeur que lorsqu’il est en télétravail. Dans ce cas, il faut prévoir la possibilité, voire l’obligation, par entente d’une visite des lieux pour s’assurer de leur conformité. Il faut prévoir également un protocole de sécurité relatif au poste de travail, que ce soit pour un travail de bureau ou pour un travail manuel. Nous vous référons à la section 4 du présent ouvrage pour une proposition du contenu de ces documents. Le salarié, quant à lui, doit prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique. Il doit, de plus, participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sur les lieux de l’exécution de sa prestation de travail. Il doit aussi collaborer avec le comité de santé et de sécurité, et avec toute personne chargée de l’application de la loi et de ses règlements.
En ce qui concerne un accident de travail qui se produit au domicile du salarié pendant le télétravail, est-ce que le salarié peut faire une réclamation qui rencontrerait les critères de la loi? Sans entrer dans tous les détails et les méandres complexes, l’on peut indiquer que lorsqu’un accident se produit au domicile du salarié alors qu’il effectue du télétravail, ce lieu peut être reconnu comme le lieu de travail. De façon générale, l’on peut mentionner également qu’à moins de faute lourde, de négligence grossière et volontaire de la part du salarié, l’employeur ne pourrait invoquer la faute de celui-ci pour contester l’admissibilité d’une réclamation.
2.3 Quels sont les enjeux juridiques généraux du télétravail ?
Outre ce que nous avons déjà mentionné, les enjeux juridiques du télétravail sont principalement de deux autres ordres. Le premier étant en lien avec la question de la confidentialité et de la sécurité des données, il revient, selon nous, aux deux parties de s’assurer du maintien de la confidentialité et de la sécurité de celle-ci. En vertu des dispositions relatives au contrat de travail prévu dans le Code civil du Québec, le salarié est tenu d’exécuter sa prestation de travail avec prudence et diligence, d’agir avec loyauté et de ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il peut obtenir dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. Dans ce cas, le salarié doit éviter que d’autres personnes que lui aient accès au dossier ou à l’information informatique de nature confidentielle. Nous suggérons alors fortement qu’une politique de confidentialité soit mise en place. Nous référons le lecteur à la section 4 du présent ouvrage à propos des obligations des parties découlant du Code civil du Québec, et nous le référons aussi à notre ouvrage intitulé Le contrat individuel de travail: tout ce qu’il faut savoir.
L’autre aspect important est celui de l’assurance de l’équipement informatique contre les dommages pouvant survenir à la suite d’un sinistre par le feu, le vol, le vandalisme, ou par accident, et ce, peu importe que ce soit l’employeur ou l’employé qui soit responsable d’assurer les biens. Il est aussi important de prévoir une assurance responsabilité si des clients ou d’autres personnes doivent se rendre au domicile du salarié. Dans ce cas, nous recommandons de faire affaire avec un spécialiste du droit des assurances.
2.4 Quelles sont les obligations de l’employeur en lien avec le télétravail ?
Pour ce qui est des obligations substantielles de l’employeur, il lui incombe celles de fournir le travail convenu, de payer la rémunération et de prendre les mesures appropriées pour protéger l’intégrité, la santé et la sécurité du salarié. Il a évidemment aussi l’obligation de respecter toutes les lois applicables en matière de droit de l’emploi et du droit du travail, que ce soit la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail, le Code civil du Québec, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, etc.
L’employeur a de plus l’obligation de fournir et de payer pour les outils de travail qu’utilise le télétravailleur. Ainsi, lorsque l’utilisation de matériel, d’équipements, de matières premières, ou de marchandises pour l’exécution de la prestation de travail est obligatoire, il est prévu que l’employeur doit les fournir gratuitement au salarié payé au salaire minimum. De plus, il ne peut exiger une somme d’argent pour l’achat, l’usage ou l’entretien du matériel, de l’équipement, de matières premières ou de marchandises, ce qui ferait en sorte que le salarié recevrait moins que le salaire minimum. Donc, un salarié qui reçoit un salaire plus élevé que le salaire minimum peut être tenu de payer l’équipement, soit l’ordinateur, le téléphone, le télécopieur, etc.
Pour ce qui est des dispositions concernant la santé et la sécurité au travail et les accidents du travail, l’employeur a les mêmes s’obligations vis-à-vis le télétravailleur que si ce dernier travaillait en entreprise. Pour déterminer si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail, il faut évaluer, entre autres, les éléments suivants: le lieu de l’événement; le moment de l’événement; la rémunération de l’activité qui est exercée par le travailleur au moment de l’événement; l’existence et le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’événement ne survient ni sur les lieux du travail ni sur les heures de travail; la finalité de l’activité qui est exercée au moment de l’événement, qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail du travailleur; la connexité ou l’utilité relative de l’activité qui est exercée par le travailleur en regard de l’accomplissement de son travail. D’autres éléments peuvent s’ajouter selon les faits et les circonstances de chaque affaire.
Compte tenu de l’importance des questions liées à la santé et la sécurité dans un environnement de télétravail, l’employeur a l’obligation de s’informer sur les conditions d’exécution du travail du télétravailleur. C’est pourquoi il doit prévoir dans sa politique toutes les modalités relatives à la transmission de l’information par le salarié à l’employeur, que ce soit en lien avec l’équipement utilisé à domicile ou encore, la fourniture et l’entretien du matériel l’identification des parties du domicile qui constituent réellement le lieu de travail, la visite des lieux, etc.
2.5 Quelles sont les obligations du salarié en lien avec le télétravail ?
Il incombe un certain nombre d’obligations au salarié dans le cadre de l’exécution de sa prestation de travail en télétravail. Celui-ci doit protéger expressément la confidentialité des renseignements appartenant à l’employeur; il doit prendre tous les moyens raisonnables pour assurer la confidentialité des renseignements. Il doit donc aussi prendre les moyens pour ne pas rendre accessibles à quiconque son ordinateur, son téléphone cellulaire, les documents physiques, les données informatiques, les clés USB, etc. Il a également l’obligation de respecter toutes les autres lois applicables que ce soit en termes de conservation et de protection contre les risques de divulgation de renseignements confidentiels appartenant à l’employeur.
Dans un autre ordre d’idées, il incombe au salarié de prendre soin du matériel, de l’équipement, des matières premières, et des marchandises qui sont prêtés par l’employeur pour l’exécution de la prestation de travail en télétravail. Ici encore, celui-ci doit prendre les moyens raisonnables pour ne pas qu’il y ait de bris ou d’utilisation inadéquate des biens appartenant à l’employeur.
Le télétravailleur a aussi, en matière de santé et sécurité au travail, l’obligation de prendre les moyens nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Il doit participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sur les lieux du travail. Il doit notamment:
- prendre connaissance du programme de prévention qui lui est applicable;
- prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique;
- veiller à ne pas mettre en danger la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité des lieux de travail;
- se soumettre aux examens de santé exigés pour l’application de la présente loi et des règlements;
- participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sur le lieu de travail;
- collaborer avec le comité de santé et de sécurité et, le cas échéant, avec le comité de chantier ainsi qu’avec toute personne chargée de l’application de la présente loi et des règlements.
De plus, à titre d’obligation, il doit donner le droit d’accès à l’employeur à son lieu de travail en télétravail. En effet, compte tenu des obligations de l’employeur en matière de protection de la santé et sécurité au travail, la réciprocité est que l’employé doit donner accès à l’employeur à son lieu de travail pour fins de vérification. Il doit aussi transmettre à l’employeur l’information concernant l’espace du domicile qui constitue le lieu de travail, la liste des outils et des équipements utilisés par le télétravailleur à son domicile, ainsi que les autres informations dont nous avons fait mention dans le présent ouvrage.
2.6 Est-ce que le télétravail deviendra une nouvelle condition d’emploi ?
Autrement dit, est-ce qu’à compter de maintenant l’on pourra conclure que la question du télétravail sera incluse comme nouvelle condition d’emploi dans le contrat travail du salarié? Qu’en est-il de la question des salariés sous convention collective? Actuellement, les salariés se sont vu imposer cette forme de travail par la modification unilatérale des conditions de travail, soit les lieux de l’exécution de la prestation de travail. Il s’agit évidemment d’une situation exceptionnelle qui, manifestement, ne durera pas dans le temps. Toutefois, cette forme de travail laissera des marques chez les entreprises et chez les salariés. Pour la suite, plusieurs questions se posent: les salariés pourront-ils exiger le maintien du travail à domicile ou pourront-ils revenir en entreprise? Pourront-ils refuser de faire du télétravail? Les employeurs pourront-ils forcer le maintien du travail à domicile et pourront-ils forcer le retour des salariés en entreprise? Dans tous les cas, il semble que le consentement du salarié doit être obtenu. Les parties doivent négocier cet aspect soit à l’embauche pour le nouveau salarié, ou soit en cours d’emploi pour le salarié qui ne bénéficie pas de ce droit. Il en est de même pour la question de l’application de la convention collective. Le lecteur trouvera des réponses à ces questions dans le présent ouvrage.
À savoir ! |
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Il y a plusieurs implications juridiques concernant le télétravail. Il faut tenir compte de plusieurs législations qui ont une importance déterminante relativement à ce mode de travail. |
À retenir ! |
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Il y a plusieurs enjeux juridiques en lien avec le télétravail. En premier lieu, la question de la confidentialité et de la sécurité des données, et en second lieu celui de l’assurance de l’équipement informatique contre les dommages. |
Attention ! |
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Il revient à l’employeur de vérifier une série d’éléments avant d’autoriser le télétravail. À défaut, il risque de rencontrer des problèmes, des différends et des litiges. Ces vérifications permettent d’augmenter les chances de la réussite de cette forme de travail. |