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Les droits de direction

Chapitre III
  1. Qu’est-ce que le droit de direction ?
  2. Concrètement, quels sont les exemples de droit de direction ?
  3. Est-ce que la notion de harcèlement psychologique vise toutes les interventions faites par un représentant de l’employeur auprès d’un salarié ?
  4. Quelle est la distinction entre l’exercice du pouvoir de direction et le harcèlement psychologique ?
  5. Qu’est-ce qui a changé pour l’employeur avec l’adoption des dispositions concernant le harcèlement psychologique ?
  6. Quels sont les éléments dont il faut tenir compte dans le cadre de l’application des droits de direction ?
  7. Quels sont les critères applicables pour que l’exercice du pouvoir de direction ne soit pas du harcèlement psychologique ?
  8. Est-ce que l’exercice normal du pouvoir de direction peut constituer du harcèlement psychologique ?
  9. Est-ce que l’exercice discrétionnaire du droit de direction de l’employeur peut constituer un abus ?
  10. Lorsqu’il s’agit de vérifier l’attitude et le comportement d’un supérieur, quels sont les éléments dont on doit tenir compte concrètement ?
  11. Le salarié peut-il refuser d’exécuter sa prestation de travail s’il se croit victime de harcèlement psychologique ?
  12. Les gestes de l’employeur doivent-ils être illégaux pour constituer du harcèlement psychologique ?

3.1 Qu’est-ce que le droit de direction?

Il est établi que le droit de direction, ou communément appelé le droit de gestion ou droit de gérance, c’est le droit pour l’employeur de diriger ses salariés et de prendre des décisions liées à la saine gestion de l’entreprise, dans l’intérêt et la bonne marche des affaires de celle-ci, et non dans le but de nuire à ceux-ci.

Le droit de direction s’applique, par exemple, à l’établissement des conditions de travail, de même qu’à la fixation des horaires de travail des salariés, à l’évaluation du rendement et de la performance, ou encore à déterminer la période et la date de prise des vacances, à fixer les salaires et les augmentations, de même qu’à procéder à la détermination des tâches et du travail à exécuter.

Ce droit permet aussi à l’employeur d’effectuer la définition et l’attribution des tâches, la surveillance, la supervision et le contrôle des salariés, la gestion de l’assiduité et de l’absentéisme, la fixation des objectifs de rendement et de performance, l’imposition de mesures disciplinaires ou non disciplinaires, le licenciement, la mise à pied et le congédiement.

Il est aussi reconnu que les gestes ou actes posés par l’employeur doivent être appliqués de bonne foi, mais qu’ils doivent aussi être justes, équitables, compte tenu de toutes les circonstances, et en lien avec la bonne administration et le bon fonctionnement de l’entreprise.

Il est aussi de notoriété publique que le critère d’évaluation du droit de direction est celui du caractère juste et raisonnable des mesures prises, soit autrement dit, celui de l’employeur raisonnable et compétent, qui dirige son entreprise avec bon sens et dans le respect de l’équité des salariés dans le but de faire fructifier le développement de celle-ci.

Il est aussi connu que l’employeur peut exercer son droit de direction avec fermeté et qu’il peut même commettre des erreurs dans la mesure où cet exercice n’est ni abusif, ni injuste, ni déraisonnable, ni discriminatoire. Ce droit est encadré par les lois générales applicables au Québec, par celles applicables dans le domaine du droit de l’emploi, par les Chartes des droits et libertés, ainsi que par la convention collective ou par le contrat de travail qui lie l’employeur au salarié.

3.2 Concrètement, quels sont les exemples de droit de direction?

Il est reconnu et établi que les droits de direction, ou droit de gérance, sont les droits résiduels de l’employeur qui n’ont pas été cédés par convention collective au syndicat ou par contrat individuel à un salarié. C’est globalement le droit qui lui appartient de contrôler et de surveiller les salariés qu’il dirige en fonction de la question de la subordination de l’un envers l’autre. C’est le droit de l’employeur de diriger son entreprise, et son personnel, et de prendre des décisions pour le bien collectif, la rentabilité de celle-ci en fonction de la bonne marche de ses affaires. À titre d’exemples, les droits suivants lui appartiennent en propre:

  • Le droit de définir les tâches et responsabilités;
  • Le droit d’attribuer et de modifier les tâches et responsabilités;
  • Le droit d’établir et de modifier les horaires de travail;
  • Le droit d’effectuer la gestion courante et quotidienne des opérations;
  • Le droit d’établir et d’imposer des normes relatives à la performance et au rendement du travail;
  • Le droit d’établir et d’imposer des normes relatives à la présence et à l’assiduité au travail;
  • Le droit d’établir et d’imposer des normes relatives à la gestion de la discipline au travail;
  • Le droit d’établir et d’imposer des normes relatives à la gestion des mesures administratives;
  • Le droit d’établir et d’imposer des normes relatives à la gestion des mesures disciplinaires;
  • Le droit d’établir et d’imposer des règles relatives à la modification de la structure juridique en fonction de décisions d’affaires ou en fonction des questions d’ordre économique.

3.3 Est-ce que la notion de harcèlement psychologique vise toutes les interventions faites par un représentant de l’employeur auprès d’un salarié?

La notion de harcèlement psychologique ne vise pas toutes les interventions faites par un représentant de l’employeur auprès d’un salarié. Un représentant de l’employeur est en droit d’exercer son rôle qui est de s’assurer que les salariés respectent les règles et usages en vigueur dans le milieu de travail et qu’ils fournissent une prestation de travail acceptable.

Ainsi, le fait de signaler au salarié, pendant de nombreux mois, les erreurs et omissions qu’il a commises et de lui indiquer les directives à suivre afin de se corriger ne constitue pas du harcèlement psychologique.

La notion de harcèlement psychologique ne doit pas être étendue à toute situation dans laquelle un employeur peut légitimement intervenir, conformément à ses droits de direction, dans la mesure où cette intervention vise le bien-être de l’organisation ou amène un salarié à agir correctement.

L’exercice discrétionnaire du droit de direction de l’employeur ne peut constituer un abus que s’il est exercé de manière déraisonnable et cet abus ne peut constituer du harcèlement psychologique que s’il satisfait à tous les éléments essentiels de la définition prévue à la loi.

Le pouvoir de direction de tout employeur ne s’est pas estompé par l’adoption des dispositions concernant le harcèlement psychologique. Ainsi, lorsque ce pouvoir s’exerce correctement selon des règles bien définies, on ne peut le qualifier de harcèlement psychologique.

L’employeur possède un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’il est question d’établir et de faire respecter toutes les procédures de travail, les règles et les usages du milieu de travail ainsi que d’évaluer le rendement des salariés. Il en va de même pour la vérification de la qualité du travail qui est effectué.

La loi n’a pas été adoptée pour empêcher un employeur de contrôler un employé ayant un mauvais rendement au travail, un taux d’absentéisme élevé ou, encore, qui fait fi des règles de l’entreprise. La loi sanctionne des comportements qui vont au-delà de ce contrôle, qui sont arbitraires, abusifs et discriminatoires.

3.4 Quelle est la distinction entre l’exercice du pouvoir de direction et le harcèlement psychologique?

Les dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives au harcèlement psychologique ont modifié la façon de vérifier si l’employeur exerce son pouvoir de direction conformément aux règles du droit du travail disciplinaire collectif. Avant la mise en vigueur des dispositions, le contenu de l’obligation de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique variait selon les circonstances. En règle générale, une plainte de harcèlement psychologique était rejetée si l’employeur démontrait qu’il exerçait son pouvoir de gérance uniformément à l’égard de l’ensemble des salariés sans faire aucune distinction entre eux.

Les dispositions relatives au harcèlement psychologique modifient ce point de vue. La plainte de harcèlement psychologique s’examine en fonction de celui qui se plaint et non pas en fonction de l’exercice du droit de gérance sur les salariés. Le droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique a changé de base. Ce droit, qui était plus collectif au début, s’est individualisé.

Par voie de conséquence, l’arbitre saisi d’un grief basé sur le droit du salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique ne doit pas se limiter à vérifier si l’employeur a exercé son pouvoir de gérance de façon raisonnable par rapport aux gestes qu’il pose à l’égard de l’ensemble des salariés, mais il doit plutôt vérifier si ce pouvoir est exercé sans harcèlement psychologique, et ce, au regard du salarié concerné.

3.5 Qu’est-ce qui a changé pour l’employeur avec l’adoption des dispositions concernant le harcèlement psychologique?

L’inclusion d’une protection contre le harcèlement psychologique dans la Loi sur les normes du travail n’est pas venue bouleverser les règles qui gouvernent les relations de travail et la relation contractuelle qui unit le salarié à son employeur, dont la principale caractéristique demeure le lien de subordination du salarié à l’employeur. Ce dernier conserve le droit de déterminer de quelle façon le travail doit être exécuté et de sanctionner le non-respect de ses directives. En somme, l’exercice des droits de direction de façon non abusive, déraisonnable ou discriminatoire ne constitue pas du harcèlement.

3.6 Quels sont les éléments dont il faut tenir compte dans le cadre de l’application des droits de direction?

Ce ne sont pas toutes les conduites d’un employeur qui correspondent à du harcèlement psychologique au sens des dispositions de la Loi sur les normes du travail. Il faut tenir compte, dans tous les cas, du fait que l’employeur a une entreprise à opérer. Il a des expectatives de rendement et de production. Des règles, certaines implicites, découlant du contrat de travail sont mises de l’avant afin d’assurer la pérennité de l’organisation, l’employeur possédant un pouvoir de direction pour que ces règles soient suivies. Dans la mesure où les lois sont respectées, cela lui donne le droit de faire exécuter et d’évaluer le travail selon les directives qu’il émet. En somme, c’est l’employeur qui décide. Ce que vise plutôt la Loi sur les normes du travail, c’est la sanction des comportements qui vont au-delà des simples problèmes de relations de travail.

3.7 Quels sont les critères applicables pour que l’exercice du pouvoir de direction ne soit pas du harcèlement psychologique?

Il est reconnu que la protection dont bénéficie le salarié en vertu de la loi ne prive pas l’employeur de l’exercice de son droit de direction, notamment celui de congédier, d’imposer une mesure disciplinaire, etc., pourvu qu’il n’agisse pas de façon abusive, déraisonnable ou discriminatoire. Par exemple, le tribunal qui n’est pas saisi d’une plainte de congédiement sans cause juste et suffisante doit limiter son analyse au comportement des représentants de l’employeur lors du congédiement et déterminer si ce comportement constitue du harcèlement psychologique.

3.8 Est-ce que l’exercice normal du pouvoir de direction peut constituer du harcèlement psychologique?

Il faut bien comprendre que l’exercice normal des droits de la direction ne constitue pas du harcèlement psychologique. Ce principe est bien reconnu en relations de travail. À titre d’exemples, la gestion courante de la discipline, la gestion du rendement au travail ou de l’absentéisme, l’attribution ainsi que la répartition des tâches, de même que la mutation ou encore le licenciement, ou le fait de procéder à des modifications de la structure de l’entreprise, constituent l’exercice légitime des droits de la direction. Enfin, la méconnaissance ou l’ignorance d’une situation de harcèlement psychologique ne saurait en soi dégager l’employeur de ses responsabilités.

3.9   Est-ce que l’exercice discrétionnaire du droit de direction de l’employeur peut constituer un abus?

Il est également bien reconnu et bien établi que l’exercice discrétionnaire du droit de direction de l’employeur ne peut constituer un abus que s’il est exercé de manière déraisonnable, injuste et de façon discriminatoire, et que cet abus ne peut constituer du harcèlement psychologique que s’il satisfait à tous les éléments essentiels prévus à la définition de la loi.

3.10 Lorsqu’il s’agit de vérifier l’attitude et le comportement d’un supérieur, quels sont les éléments dont on doit tenir compte concrètement?

Dans le cas où un salarié se dit victime de l’attitude de son supérieur, il faut se demander si la conduite reprochée ne relève pas plutôt:

  • De l’exercice des droits de direction. Dans ce cas, pour constituer une conduite vexatoire, les droits de direction doivent être exercés de manière abusive, soit de façon arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire, et ce, de manière répétée et hostile ou non désirée;
  • D’une situation normale dans un contexte de relations du travail;
  • De rapports sociaux difficiles;
  • D’une situation conflictuelle;
  • De la conduite de la victime elle-même par, notamment, un comportement de victimisation ou paranoïde.

3.11 Le salarié peut-il refuser d’exécuter sa prestation de travail s’il se croit victime de harcèlement psychologique?

Il est bien établi que le salarié doit fournir la prestation de travail convenue dans son contrat de travail et en assurer une régularité dans le cadre du pouvoir de direction de l’employeur. Ce dernier doit permettre l’exécution de la prestation de travail et payer la rémunération contractuelle. En cas de divergence entre l’employeur et le salarié sur l’application des conditions de travail, le principe de la relation d’emploi du contrat de travail fait en sorte que le salarié doit obéir d’abord et porter plainte ensuite.

À ce principe, il y a une exception: le salarié peut refuser d’exécuter la prestation de travail si l’exécution de celle-ci l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique. Toute allégation d’infraction au droit prévu par la loi ne confère pas au salarié le droit de refuser d’exécuter la prestation de travail convenue ni de différer la régularité de son exécution, même si l’employeur commet les actes et gestes caractéristiques du harcèlement psychologique.

3.12 Les gestes de l’employeur doivent-ils être illégaux pour constituer du harcèlement psychologique?

Dans le cas de l’évaluation d’une plainte pour harcèlement psychologique déposée dans le contexte de l’exercice des droits de la direction, il y a deux tendances distinctes qui se dégagent de la jurisprudence arbitrale. Pour certains décideurs, le salarié plaignant doit tout d’abord prouver l’abus de droit de direction par l’employeur en plus des autres conditions prévues par les dispositions de la Loi sur les normes du travail. Pour d’autres décideurs, qui fondent leur analyse en se collant de plus près au texte de la Loi sur les normes du travail, les gestes, actes ou paroles de l’employeur qui exerce son droit de direction, n’ont pas à être illégaux ou prohibés pour constituer du harcèlement psychologique. Le décideur se demande alors plutôt si les droits exercés par la direction l’ont été dans un esprit de loyauté, à la manière prudente et diligente d’une personne raisonnable.

À savoir !
Il faut faire une distinction entre l’exercice du pouvoir de direction et le harcèlement psychologique. En effet, ce ne sont pas toutes les interventions de l’employeur qui constituent du harcèlement psychologique.
À retenir !
La protection contre le harcèlement psychologique au travail n’a pas changé le rôle et le droit de direction des employeurs. C’est plutôt un nouvel environnement légal qui est venu encadrer la façon d’intervenir de l’employeur auprès des salariés.
Attention
Le salarié qui se dit victime de harcèlement psychologique ne peut décider unilatéralement de cesser de travailler à cause de cette situation. De par son contrat de travail, il doit fournir sa prestation de travail. Toutefois, il peut exercer un droit de refus si l’exécution de son travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique.