Chapitre X
  1. Quels sont les pouvoirs de réparation du tribunal ?
  2. Quel est le remède qui s’impose en premier lieu ?
  3. Quel est le remède qui s’impose en deuxième lieu ?
  4. Quel est ce troisième remède qui est d’ordonner de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement psychologique ?
  5. Quel est l’objectif de verser des dommages et intérêts punitifs ?
  6. Quels sont les critères pour ordonner de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux ?
  7. Pour quels motifs est-il permis d’indemniser le salarié ?
  8. Sur la base de quels éléments factuels ces dommages sont-ils généralement octroyés ?
  9. Qu’est-ce que l’indemnité pour perte d’emploi ?
  10. Est-il possible d’indemniser le salarié pour du soutien psychologique ?
  11. Si le salarié peut cumuler plusieurs recours, peut-il cumuler plusieurs indemnités ?

10.1 Quels sont les pouvoirs de réparation du tribunal?

L’utilisation des mots dans la loi «il peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire» est sans équivoque. La mesure des remèdes mis à sa disposition démontre toute l’importance du mandat exclusif accordé au tribunal, dont la non-limitation de ses moyens d’agir. Par l’adoption de tels mots, le législateur a voulu confier au décideur un mandat large et souple puisqu’il «peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire». Le texte prévoit aussi qu’il peut «notamment» rendre une ou plusieurs des sept ordonnances qui sont expressément énumérées à la loi. L’utilisation par le législateur du mot «notamment» permet d’entrevoir la souplesse que le décideur se doit d’utiliser dans l’exercice de sa compétence. En premier lieu, il faut décider si le salarié plaignant a été victime de harcèlement psychologique au sens de la loi. En deuxième lieu, le décideur doit déterminer si l’employeur a omis de respecter ses obligations légales.

10.2 Quel est le remède qui s’impose en premier lieu?

La réintégration dans l’emploi est le remède qui s’impose lorsqu’une plainte est accueillie, et ce, à moins de circonstances particulières dont la preuve incombe à celui qui les invoque, soit l’employeur. La réintégration est le remède normal non seulement pour que le salarié recouvre son gagne-pain, mais aussi pour qu’il retrouve sa dignité et son honorabilité. Pour refuser d’ordonner la réintégration du salarié, le tribunal doit être convaincu que celle-ci est impossible, à cause de la dégradation des relations interpersonnelles du salarié avec la direction ou les autres employés, lorsque le salarié a contribué à la situation ou lorsqu’il a démontré une attitude inappropriée dans le contexte de la plainte pour harcèlement psychologique. Ainsi, il peut exister des circonstances exceptionnelles qui incitent le tribunal à ne pas réintégrer un salarié plaignant dans son emploi.

10.3 Quel est le remède qui s’impose en deuxième lieu?

Le salarié victime de harcèlement psychologique a droit au remboursement du salaire perdu entre la date de son congédiement et celle de son retour en emploi ou encore jusqu’à la fin de son congé de maladie. Le tribunal doit remettre le salarié dans l’état où il aurait été n’eût été son absence, c’est-à-dire lui accorder les mêmes conditions que celles dont il aurait bénéficié s’il était demeuré à l’emploi qu’il occupait. Par conséquent, et par exemple, en matière de fixation d’indemnités pour perte salariale, l’absence pour raison de maladie ne peut faire en sorte de l’avantager au détriment des autres employés qui ont été touchés par des modifications à leurs conditions de travail.

10.4 Quel est ce troisième remède qui est d’ordonner de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement psychologique?

Le tribunal peut recommander, par exemple, à l’employeur de mettre en place des activités de sensibilisation et de formation en matière de harcèlement psychologique à l’intention de l’ensemble du personnel comme mesures de réparation. Il peut aussi rendre toutes autres recommandations pour maintenir un milieu de travail sain et exempt de harcèlement psychologique.

10.5 Quel est l’objectif de verser des dommages et intérêts punitifs?

L’octroi de dommages et intérêts punitifs poursuit un objectif préventif, soit: la dénonciation d’un comportement inacceptable, la punition de l’auteur des actes illicites et la dissuasion d’un comportement jugé socialement inacceptable. Cette forme d’intervention a aussi une utilité sociale, en ce qu’elle marque la désapprobation d’un tribunal à l’égard d’un comportement, c’est-à-dire en ce qui concerne la Loi sur les normes du travail, à l’égard de toute forme de harcèlement psychologique pratiqué en milieu de travail.

10.6 Quels sont les critères pour ordonner de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux?

L’attribution de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ne requiert pas que l’atteinte illicite soit intentionnelle, c’est-à-dire que l’auteur du harcèlement psychologique a désiré les conséquences néfastes de son comportement fautif, mais n’a pour but que de dissuader ce dernier d’adopter un tel comportement à l’avenir. Pour octroyer des dommages punitifs, le tribunal peut prendre en considération, notamment, les facteurs suivants: les harceleurs étaient des supérieurs hiérarchiques; l’employeur a laissé perdurer la situation malgré des signalements et il a nié et/ou n’a pas jugé utile de vérifier la réalité du harcèlement allégué; à une occasion, il a injustement tenu la salariée plaignante responsable des gestes qui étaient qualifiés de harcèlement.

En ce qui concerne l’attribution de dommages moraux, le quantum est établi en tenant compte généralement, entre autres, des principes suivants: 1) une personne a droit à un milieu de travail sain et exempt de harcèlement psychologique; 2) le caractère continu du harcèlement et les effets de celui-ci sur l’intégrité de la personne ainsi que sur sa vie familiale et sociale doivent être pris en considération; 3) le préjudice découlant du harcèlement psychologique justifie, lorsqu’il est réel, une indemnisation autre que symbolique et il appartient au tribunal de décider de son importance; et 4) le harcèlement psychologique constitue la violation d’un droit qui commande réparation pour le préjudice subi par le salarié.

10.7 Pour quels motifs est-il permis d’indemniser le salarié?

Il est permis d’indemniser un salarié pour le préjudice moral causé par le harcèlement psychologique et il est aussi permis de l’indemniser pour l’aggravation exceptionnelle de cette situation. De même, il est possible de le compenser en lui attribuant une somme pour servir de consolation et rendre sa vie moins désagréable. Il peut obtenir des dommages moraux lorsque son droit fondamental au respect de sa dignité a été bafoué et que le comportement de l’employeur l’a humilié et lui a causé un stress important. Le salarié peut également être indemnisé pour l’humiliation, la souffrance, la perte de qualité de vie ainsi que pour l’atteinte à la dignité et à son intégrité qu’il a subies. Les dommages punitifs ou exemplaires ne doivent pas dépasser ce qui est nécessaire pour remplir leur fonction, c’est-à-dire décourager l’employeur de récidiver. La somme versée doit également être de nature à signifier à quiconque qu’un comportement harcelant ne doit pas être toléré.

10.8 Sur la base de quels éléments factuels ces dommages sont-ils généralement octroyés?

Dans le cadre du versement de tels dommages, l’on doit tenir compte notamment et non limitativement des faits et éléments suivants, soit:

  • Du niveau d’autorité hiérarchique du harceleur;
  • De la durée et du caractère répétitif du comportement fautif;
  • De la gravité des gestes commis;
  • De leur conséquence inévitable sur le salarié plaignant;
  • Des circonstances particulièrement intenses lors du congédiement;
  • Lorsque les agissements de l’employeur ont causé des torts au salarié, qu’il a été humilié, rabaissé et dénigré devant ses collègues de travail;
  • Lorsque les circonstances dénotent un manque sévère d’engagement de la part de l’employeur de se conformer à ses obligations;
  • Lorsqu’il y a atteinte à l’intégrité psychologique et lorsqu’il vit du stress et de l’anxiété dans le cas où on a demandé au salarié qu’il subisse un examen d’expertise psychiatrique qui n’était pas nécessaire;
  • Lorsqu’il y a eu atteinte à la dignité et à l’honneur du salarié;
  • Le fait de lui faire vivre une situation humiliante l’obligeant à lutter pour garder sa fierté;
  • Le fait que le harcèlement psychologique au travail ait rendu le salarié malade pendant une longue période;
  • L’incidence du climat néfaste au travail sur la vie du salarié en général;
  • L’obligation pour le salarié d’intenter des procédures dans le but de regagner sa dignité et de guérir ses blessures psychiques qui perdurent après sa maladie.

10.9 Qu’est-ce que l’indemnité pour perte d’emploi?

Il est possible pour le tribunal d’ordonner le versement pour le bénéfice du salarié d’une indemnité pour perte d’emploi. C’est-à-dire pour compenser celui-ci compte tenu du fait qu’il ne peut recouvrer son emploi en fonction des circonstances vécues à cause du harcèlement psychologique. Il s’agit d’un montant forfaitaire versé en plus du salaire perdu. Par exemple, il est possible d’indemniser le salarié pour la perte de son emploi puisque sa réintégration est impossible et compte tenu, également, du fait qu’il est peut-être difficile de se trouver un autre emploi similaire. Ainsi, ordonner le versement d’indemnités pour le salaire perdu et la perte d’emploi est un moyen pour le tribunal d’exercer ses larges pouvoirs en matière d’indemnisation lorsqu’il conclut que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l’employeur a fait défaut de respecter ses obligations de prévention et de traitement du harcèlement. Cela ne limite pas le pouvoir du tribunal d’octroyer une compensation juste et raisonnable pour le préjudice subi par la victime de harcèlement.

10.10 Est-il possible d’indemniser le salarié pour du soutien psychologique?

Oui, c’est possible, toutefois le financement du soutien psychologique requis par le salarié ne peut être octroyé lorsqu’il s’est écoulé un trop long délai entre la fin de l’emploi et la réclamation. Par exemple, lorsqu’il s’est écoulé environ un an et demi depuis la fin de la maladie du salarié, il peut être difficile d’établir la nécessité de lui octroyer un montant pour un soutien psychologique. Dans les faits toutefois, une somme globale peut être octroyée au salarié pour les conséquences du harcèlement à son égard tant sur le plan physique que psychologique. Il est aussi possible d’indemniser le salarié pour les frais de déplacement occasionnés pour les examens reliés aux problèmes causés par le harcèlement psychologique. Il en est de même pour les traitements médicaux. Pour payer au salarié des séances avec un psychologue et les médicaments qui pourraient être prescrits par un psychiatre, le salarié doit administrer une preuve à cet effet, sinon sa réclamation sera rejetée.

10.11 Si le salarié peut cumuler plusieurs recours, peut-il cumuler plusieurs indemnités?

À ce propos la loi mentionne spécifiquement que les mesures de réparation que sont l’indemnité de salaire perdu, le versement de dommages et intérêts punitifs et moraux ainsi que le financement d’un soutien psychologique ne s’appliquent pas pour la période où le salarié est victime d’une lésion professionnelle. Il est également prévu que lorsqu’il est probable que le harcèlement psychologique a entraîné une lésion professionnelle, le tribunal réserve sa décision sous les trois mesures de réparation mentionnées ci-haut. Ainsi, lorsqu’il est reconnu que le salarié a subi une lésion professionnelle, rien n’interdit de décider de l’existence du harcèlement psychologique, du respect des obligations de l’employeur et de rendre une décision juste et raisonnable, tout en respectant les dispositions de la loi et la compétence exclusive de la division du tribunal en matière de lésions professionnelles.

L’objectif recherché par les dispositions de la loi est d’empêcher que le salarié ne reçoive une double indemnité de remplacement de salaire, c’est-à-dire l’une de la CNESST et l’autre de son employeur, ou encore que ce dernier soit obligé de payer une telle indemnité alors que les cotisations qu’il verse en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles sont censées le mettre à l’abri de toute réclamation pour lésion professionnelle, y compris celles résultant du harcèlement psychologique au travail. La loi doit être interprétée restrictivement.

À savoir !
Ultimement, il revient au décideur d’ordonner la réparation en lien avec les manquements de l’employeur pour le non-respect des obligations lui incombant en cas de conclusion à l’effet qu’il y a effectivement eu du harcèlement psychologique ou sexuel au travail.
À retenir !
Les formes de réparations sont très diverses et variées, elles découlent du fait que le décideur peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
Attention !
Le Tribunal administratif du travail, ou l’arbitre de griefs selon le cas, même s’ils ont des pouvoirs importants ne peuvent condamner l’employeur à verser des dommages exemplaires ou des dommages moraux sans que les critères pour ce faire ne soient rencontrés.