Imaginez-vous devant une boîte courriel, contenant des dizaines de messages accumulés. Votre mission : les trier et les traiter du mieux possible, en fonction de leur importance, dans un temps déterminé.
Cet exercice du « bac à courrier » est l’un des plus connus des tests de mise en situation lors du recrutement. Le but? Plonger le candidat ou la candidate dans une situation concrète de travail afin de mesurer ses habiletés quant à la gestion, la planification, l’organisation, le contrôle et la prise de décision. Ces tests de performance forcent ainsi l’individu à déterminer rapidement des priorités et à dégager un plan d'action.
« Les tests situationnels sont généralement très fiables, car ce que la personne fait durant le test correspond tout à fait au travail pour lequel elle postule », assure Jean-Claude Laurin, CRHA. Il est aussi chargé de cours au département d'organisation et ressources humaines de l'UQAM, et psychologue du travail et des organisations. Mais qu’en est-il des autres tests?
Dis-moi qui je suis.
Êtes-vous une personne introvertie ou extravertie? Sensitive ou intuitive? Prenez-vous des décisions par la pensée ou le sentiment? Abordez-vous le monde extérieur par le jugement ou la perception? Le populaire test de personnalité Myers Briggs Type Indicator (MBTI) classe les personnalités en 16 combinaisons possibles.
« Le MBTI est absolument à déconseiller pour la sélection, car il est trop transparent. La désirabilité sociale[1] peut complètement fausser les résultats », critique le chargé de cours. Généralement, un candidat ou une candidate qui postule à un poste de gestion sait que les gestionnaires sont des personnes extraverties, sociables et intéressées à exercer de l'influence. Même si la personne candidate n’est pas extravertie, il y a de grandes chances qu’elle ait en tête cette information et qu’elle réponde aux questions du test en ce sens.
En revanche, Jean Claude Laurin juge le MBTI bon pour le développement personnel et l’orientation. « Ici, la personne n'a pas d’intérêt à tricher, elle veut savoir ce qu'elle veut faire dans la vie », estime-t-il. Pour les tests de personnalité destinés à la sélection et au recrutement, le chargé de cours recommande avant tout le test de Jackson. Ce test évalue les traits de personnalité pour prévoir le comportement d’une personne, notamment dans le travail, l’éducation, les équipes et les situations interpersonnelles. « Il est beaucoup plus robuste et a des échelles permettant de détecter jusqu'à quel point la personne a essayé de déjouer le test », constate M. Laurin.
Avec les tests de personnalité, est-ce vraiment indispensable de mesurer la stabilité émotionnelle d’une personne? « Si c'est une personne gestionnaire, probablement. Si c'est un infirmier ou une infirmière qui travaille en psychiatrie, une nécessité! On veut une personne qui ne va pas décompenser quand elle va se faire confronter par un patient », lance Jean-Claude Laurin.
Cependant, le CRHA met en garde et décrie le côté binaire de tels tests de personnalité : « Une personne est toujours plus qu'une étiquette qu'on va mettre sur elle. Ce n'est pas parce qu'on la classe comme introvertie qu'elle n'a pas, de temps en temps, des conduites extraverties. Il faut faire attention à ces catégorisations et enfermer les gens dans des boîtes. » Aussi, la personnalité peut évoluer dans le temps. Un bémol parmi d’autres.
Dangers : entre effet de test et biais en tous genres
Pour n’importe quel test, la préparation des candidats et candidates peut fausser les résultats, en raison de l’effet d’apprentissage. C’est ce qu’on appelle l’effet de test. « Si vous passez souvent des tests sur Internet, vous avez l’habitude d’analyser des syllogismes [raisonnements logiques] ou de faire des opérations mathématiques, et cela va sûrement vous favoriser », observe Jean-Claude Laurin. En outre, le stress et la pression peuvent désavantager certaines personnes, même si elles sont très compétentes dans leur domaine.
Âge, sexe, minorités ethniques, personnes immigrées ou issues de milieux défavorisés… Les tests d’intelligence généraux sont susceptibles de présenter des biais socioculturels. Une personne compétente pourrait ainsi moins bien réussir ou échouer le test, malgré son expérience, ses capacités et ses qualifications. Pour contrer les discriminations, des spécialistes en psychométrie ont mis au point des tests de raisonnement non verbaux et exempts de biais. Dans ces tests, comme les matrices de Raven, on demande de compléter une figure ou une série de dessins. Malgré tout, plusieurs études[2] soulèvent des critiques de ces tests, visiblement pas si exempts de biais.
La vérité, toute la vérité?
Loin de là! « Il existe une erreur de mesure, lorsque les conditions de passation n'ont pas été uniformes ou que le test mesure mal l'aptitude », admet Jean-Claude Laurin. Quels éléments du test doit-on considérer pour évaluer correctement les forces et les lacunes d’un candidat ou d’une candidate?
L’utilité
Que ce soit pour réaliser une première sélection des candidatures, pour les départager ou pour réduire les coûts liés à l’embauche, les tests psychométriques doivent avoir leur utilité. « Si une personne n'a pas les compétences de base pour faire le travail, on va perdre beaucoup de temps et d'argent à faire passer des entrevues. »
La fidélité
Un test doit mesurer de façon stable les compétences. Si vous faites passer un test, puis que vous retestez la personne un mois plus tard, allez-vous obtenir le même résultat? « Par exemple, vous montez sur une balance, vous pesez tant de kilos. Vous remontez sur la balance dix secondes après, et vous avez dix kilos de plus. Ici, la fidélité est très douteuse. »
La validité
Le test mesure-t-il bien ce qu’il doit évaluer? La validité, elle, se décline en trois types.
L’évaluation de la validité concurrente consiste à comparer deux tests, dont un éprouvé, afin de comparer les similarités des bilans. « S’il y a une forte corrélation entre les résultats, le nouveau test qu'on utilise a des chances d'être valide et l’on peut s’y fier. »
Quant à la validité du contenu, elle indique le degré de cohérence entre l'instrument et les critères qu'on a définis. « Si je veux mesurer des habiletés numériques, je devrais avoir un test qui mesure des aptitudes à calculer ou à comprendre des séries. Par exemple, si je vous dis 2, 4, 6... C’est quoi le prochain nombre? » Le lien entre les habiletés évaluées par le test et les compétences requises pour l'emploi est un principe fondamental.
Enfin, la validité prédictive est un indice qu'il faut mesurer souvent lorsqu’on prépare une batterie de tests, afin de couvrir et de représenter toutes les exigences mesurées. « Si je regarde les gens qui réussissent le mieux après plusieurs mois au travail, est-ce les mêmes qui ont bien réussi le test? »
Les trois types de validité combinés permettent de prévoir correctement la performance.
La sensibilité
C'est la puissance que le test possède pour définir des différences entre les individus. « Imaginez qu’on mesure l'intelligence et que tout le monde obtient 100 de quotient intellectuel. Ce n'est pas aussi bon qu'un test où vous avez des gens qui ont 90, 100, 105, 110, explique Jean-Claude Laurin. Plus les résultats se concentrent dans une moyenne, moins il y a de variabilité, et plus ça va être difficile d'établir des corrélations entre les résultats du test et ceux au travail. » Une certaine étendue des résultats permet ainsi de déterminer des différences.
Petit guide des bonnes pratiques
Sur le marché des tests de sélection, où donner de la tête? « Malheureusement, beaucoup de charlatans ont inventé des tests, sans aucune connaissance en psychométrie. C'est déplorable, mais il n'y a pas de police des tests, se désole Jean-Claude Laurin. Acheter et utiliser un test simplement parce que notre concurrent ou notre collègue le recommande n'est pas suffisant. » Le chargé de cours dresse alors une liste de dix conseils :
- Consulter le manuel du test : « Un bon test devrait toujours s’accompagner d’un manuel définissant les domaines où l’on est plus susceptibles de l'utiliser, ainsi que les indices de validité, de fidélité et de sensibilité », tels que décrits plus haut.
- Interroger des spécialistes en psychométrie ou en mesure d'évaluation (des docimologues) pour se faire conseiller ou expliquer les qualités et les études du test envisagé.
- Confirmer que les tests respectent les normes québécoises, notamment en matière d’éthique, de consentement, de confidentialité, de sécurité et d’utilisation des données.
- S’assurer que les informations collectées lors des tests sont pertinentes et nécessaires à l’attribution du poste.
- Idéalement, le test devrait être passé dans les mêmes conditions pour toutes les personnes : temps alloué et consignes, en particulier.
- Mener des études de terrain en testant les tests avec des employés et employées déjà en poste afin de mesurer la validité prédictive.
- Ne pas se fier au prix : « Si un test ne coûte pas cher et permet de faire une sélection, c’est utile. S’il coûte très cher, c'est parfois le prix à payer pour avoir un bon candidat ou une bonne candidate.»
- Ne pas se fier au visuel : « Des experts en marketing peuvent vous enrubanner avec de beaux tests et de belles couleurs. »
- Éviter de rechercher le parfait profil de personnalité : « Celui relié aux exigences du poste est celui qui est idéal. Selon les divers postes, ce profil idéal varie. »
- Les tests plus longs ne sont pas nécessairement les plus fidèles, surtout si l’on mesure les habiletés cognitives. Ils peuvent s’avérer épuisants!
Des tests psychométriques bien conçus et valides complètent les outils de sélection traditionnels, comme les CV et les entrevues. Ils permettent ainsi de prendre une décision objective pour des postes dont certaines compétences sont primordiales.
Bibliographie
Actualité
- Lu pour vous – Sympathique : comment communiquer avec les 16 types de personnalité | Revue Gestion HEC Montréal
- Pre-Hiren Personality Tests Set Legal Challenges for Employers | Bloomberg Law
- Profils atypiques : Pourquoi les entreprises peinent à les recruter? - Forbes France
- Les enquêtes de préembauche : les tests psychométriques – CREMCV
- Scientifiquement contestés, mais juridiquement autorisés, les tests de personnalité nuisent-ils aux procédures de recrutement?
- Would you take a personality test for a job? You may have to | The Times
- Entretien d’embauche : le test de personnalité, « une approche parmi d’autres »? - payant
- Les tests de personnalité comme outils de recrutement sont remis en question - Le Temps
- Que valent les tests de personnalité? | Revue Gestion HEC Montréal - conseils intéressants
- Les tests de personnalité sont-ils vraiment un bon outil de sélection en entreprise? | La Conversation
- Hiring Personality Tests: What They Are and Common Types | Indeed
- Qu'est-ce que la désirabilité sociale? | Atman&Co
Recherche et autres
- Ni extraverti ni introverti : et si vous étiez ambiverti? | National Geographic - Une longue liste d’études scientifiques sur les dangers des tests de personnalité
- The Problem with Using Personality Tests for Hiring | Harvard Business Review plusieurs études citées
- The Validity and Utility of Selection Methods in Personnel Psychology: Practical and Theoretical Implications of 100 Years of Research Findings, Salgado et De Fruyt, 2005
- McKinsey Global Study: War for Talent 2000 (refreshed in 2012), McKinsey & Company
- Quelles sont les pratiques de sélection mises en place par les PME sous juridiction québécoise : une étude exploratoire | Société québécoise de psychologie du travail et des organisations, 2016
- Cultural Bias in Intelligence Assessment Using a Culture-Free Test in Moroccan Children | Archives of Clinical Neuropsychology | Oxford Academic, Archives of Clinical Neuropsychology, 2021 - Critique des tests culture free pour mesurer l’intelligence des enfants, pas dans le cadre d’un emploi
- Schmidt, F. L., & Hunter, J. E. (1998). The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 85 years of research findings. Psychological Bulletin
- Fiche déontologique - Les tests et leurs usages | Ordre des psychologues du Québec, 2000
- Chronique Développement de la pratique – L'utilisation des tests | Ordre des psychologues du Québec, 2007
- Guide de pratique concernant l'exercice de la télépsychologie | Ordre des psychologues du Québec
- Désirabilité sociale : tendance d’un individu à se décrire positivement, à répondre aux questions d’une manière qui puisse nuire à la validité de son autoévaluation, à choisir une réponse jugée favorable par la société ou une réponse qui soit la plus modérée possible, et à répondre de manière à se présenter sous un jour favorable à ses interlocuteurs. (Qu'est-ce que la désirabilité sociale? | Atman&Co)
- Large-Scale Item-Level Analysis of the Figural Matrices Test in the Norwegian Armed Forces: Examining Measurement Precision and Sex Bias