Mettre en œuvre des projets de transformation au sein d’une entreprise présente son lot de défis et l’on peut se heurter à des résistances. Les professionnelles et professionnels des ressources humaines peuvent avoir un rôle d’influence et d’accompagnement des gestionnaires dans ces processus de changement.
Comment ajuster sa posture RH lorsque des parties prenantes initialement favorables à un changement ne suivent pas la cadence comme prévu? Comment les accompagner lorsque leurs comportements, issus du besoin d’obtenir certains avantages ou de conserver des acquis, vont à l’encontre du changement? Ce sont tout autant de questions auxquelles propose de répondre Isabelle Marchand, CRHA, consultante, formatrice et conférencière en développement organisationnel chez Marchand Potentiel Humain.
Dans une organisation, les jeux d’influence ou les jeux politiques se créent inexorablement. Par l’action stratégique, on cherche à influencer ses relations en vue de faire avancer ses projets et d’atteindre ses buts. « On veut avoir des alliés, des leviers, embarquer le monde avec nous dans nos projets pour créer une force d’influence, explique Isabelle Marchand. Attention! Ce n’est pas de la manipulation ni du contrôle : on ne force pas les gens à faire quelque chose, on essaie plutôt de convaincre et de rallier. »
Bien souvent, une personne usera de son influence lorsqu’elle veut éviter de perdre quelque chose d’important pour elle ou si elle perçoit une occasion de faire un gain. On assiste à cela régulièrement lorsque des changements sont amenés dans l’entreprise. Pourquoi? « Parce que ça déstabilise l’ordre établi, poursuit la formatrice. Certains tenteront de conserver leurs atouts ou d’en tirer un avantage. »
Un exemple concret
Pour illustrer ses propos, Isabelle Marchand raconte l’histoire du portail employeur, devenu « portail emmerdeur ». Une entreprise possède un éventail de services, des conseillers et conseillères pour les vendre, dans des régions données, et une clientèle. Le quotidien des conseillers et conseillères est de recevoir des appels de leur clientèle avec qui il existe un lien de confiance. Un jour, on leur annonce un projet de portail numérique permettant aux entreprises clientes de remplir elles-mêmes des demandes et de recevoir des services. L’accès à ce portail est possible même en dehors des heures de travail, et de nombreuses tâches sont automatisées.
« Alors qu’initialement tout le monde est d’accord avec ce projet, le secteur des ventes finit par déclarer au dernier moment que ce portail ne convient pas à ses besoins, alors que tout a déjà été mis en place, enchaîne la conférencière. Les concernés ont perdu leurs propres objectifs stratégiques et ne voient pas l’intérêt de poursuivre ce projet. »
Ce genre de situation peut arriver dans de nombreux projets, lorsqu’on ne se demande pas ce qui va véritablement changer au moment d’implanter la nouveauté. Si les conseillers et conseillères étaient favorables à la solution, ils et elles n’adhéraient pas au changement en tant que tel, par peur de perdre la relation privilégiée avec leur clientèle. « Tout cela vient déséquilibrer l’écosystème », estime Isabelle Marchand.
Résistance au changement
Cet exemple concret montre comment la résistance au changement, qu’elle soit individuelle ou collective, peut survenir dans une organisation. En effet, une entreprise s’articule autour d’un système de règles formelles et informelles intégrées profondément par ses membres et fonctionne grâce à celui-ci. Si bien que, lorsqu’un changement survient, la résistance sera aussi collective, selon Isabelle Marchand.
Sur le plan individuel, le changement peut enclencher beaucoup d’anxiété à cause d’une perte des repères, car il est perçu comme une « menace à la stabilité du travail, des compétences et du statut social dans l’organisation, provoquant alors une réaction défensive ». La structure est également centrale dans l’identité d’un employé ou une employée, qui se construit par son appartenance à un groupe.
Il est donc nécessaire de s’interroger pas tant sur la solution en elle-même, par exemple un nouveau programme d’accueil ou un nouvel organigramme, que sur ses effets concrets dans l’entreprise. Livrer la solution fonctionnelle ne doit pas être le seul objectif, d’après la formatrice, qui estime que les CRHA ont un rôle déterminant à jouer dans la mise en place d’une analyse d’impact. « Il faut être capable de convaincre les décisionnaires », souligne-t-elle.
Pistes d’intervention et outils d’analyse
Isabelle Marchand propose quatre stratégies pouvant être adoptées lorsqu’un nouveau projet de transformation est sur le point d’être implanté dans une organisation.
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Intégrer la gestion du changement du point de vue stratégique
Bien souvent, la gestion du changement est encore reléguée à un rôle plus tactique et opérationnel. Or, permettre l’accès à l’ensemble des parties prenantes aux instances et à l’information stratégique, notamment, donne la possibilité d’influencer en amont. « On peut proposer des solutions directement et lever des drapeaux, si l’on se rend compte que l’on part dans la mauvaise direction, précise Isabelle Marchand. On est toutes et tous en mesure de voir venir les enjeux et d’influencer les décisions. »
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Évaluer le changement
Il faut prendre le temps de mesurer ce qui va changer dans le quotidien des gens et vérifier où se trouvent les jeux d’influence. Cela peut se faire par des rencontres en personne des membres de l’équipe pour les questionner et observer ce qui les fait réagir. « On doit prendre le temps de se mettre dans les souliers des gens sur qui les contrecoups vont se faire sentir, notamment les gestionnaires », souligne Isabelle Marchand.
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Réaliser une analyse des répercussions et des parties prenantes
L’idée ici est de mesurer le degré d’adhésion au projet, par le biais d’un sondage, par exemple. Jusqu’à quel point les membres du personnel sont-ils en accord ou non avec certains énoncés? Est-ce qu’ils et elles comprennent la raison d’être du projet? Est-il bien organisé? Le projet a-t-il la faveur des membres? Ont-ils et elles le soutien des cadres dans l’échelon supérieur immédiat de la hiérarchie?
« Ce qui fonctionne le plus, c’est l’entrevue individuelle ou le focus group. Il vaut mieux éviter les courriels, qui permettent peu de nuances, ajoute Isabelle Marchand. Il faut aller droit au but, avoir quelques sous-questions et creuser en allant chercher les émotions si besoin est. »
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Faire participer les parties prenantes afin de rebâtir leur écosystème
« Faire participer les parties prenantes à la construction de l’avenir de l’entreprise sera très porteur », conclut-elle. Cette dernière étape implique de s’assurer que tout le monde a un rôle dans la transformation en cours et, surtout, à long terme. Cela permettra de forger l’adhésion complète des membres du personnel à l’ensemble des implications du projet, selon la formatrice.
En conclusion, les gens ne sont pas des objets que l’on peut manipuler à travers un quelconque processus de changement, selon le travail de Richard Soparnot, professeur et directeur général de l’ESC Clermont Business School. « Ils sont en mesure de l’infléchir et de l’orienter dans un sens qui leur est plus favorable, peut-on lire dans un article de la revue Recherches en sciences de gestion, en 2013. Les gens ne sont donc pas automatiquement hostiles au fait de rompre leurs habitudes : ils soutiendront la réforme engagée tant qu’elle leur est profitable. »
Autrement dit, les gens perçoivent une menace dans le changement quand ce dernier remet en cause « les conditions de leur jeu, leurs sources de pouvoir et leurs libertés d’action en modifiant ou en faisant apparaître les zones d’incertitude qu’ils contrôlent ». La résistance dépend, en fin de compte, du degré de connaissance et de maîtrise des enjeux et des effets du changement qu’une personne possède.
Pascaline David est journaliste à l’agence 37e avenue