La négociation collective se porte bien et les perspectives n’annoncent en rien son affaiblissement comme institution régulatrice des rapports collectifs en milieu de travail. L’avenir de la négociation collective au Québec, comme ailleurs au Canada et aux États-Unis, est intimement relié à l’importance de la présence syndicale. Sur ce, au cours des dernières décennies, les organisations syndicales québécoises ont adapté leurs efforts de recrutement aux changements du marché du travail, et les pertes subies dans certains secteurs ont presque complètement été compensées par des gains dans d’autres.
Les tendances sur les enjeux de négociation et les stratégies des parties répondent en bonne partie aux contextes économique, technologique, juridique, sociopolitique et, devrait-on ajouter, sanitaire[1]. Ces contextes évoluent et c’est en les examinant que nous pouvons mieux saisir où nous en sommes et ce qui nous attend. Nous ne nous attarderons ici qu’à certains de ces éléments contextuels.
La pandémie de la COVID-19 a changé bien des choses. Au début, la production de plusieurs biens et services a cessé, puis elle a graduellement repris. La demande a dépassé l’offre, ce qui a contribué à générer une inflation atteignant un sommet de 8 % en mai 2022[2]. Or, le taux d’inflation est le meilleur prédicteur de la fréquence des grèves, ce qui explique l’augmentation récente des conflits de travail. Certes, l’inflation est maintenant sous contrôle, mais de 2021 à 2023, l’augmentation du coût de la vie avoisinait les 14 %. Les personnes salariées sont encore en mode rattrapage, alors que les employeurs veulent contrôler leurs coûts, ne pouvant pas toujours refiler la facture aux payeurs de biens ou de services. Cette situation continuera de prévaloir pour quelques années, le temps que les conventions collectives aient été renouvelées[3].
La pandémie a aussi amené plusieurs entreprises à repenser les modes de production. Alors que la production et les échanges commerciaux se sont mondialisés dans les années 1980 et 1990, on voit se dessiner une tendance à la nationalisation et à l’internalisation de la production. C’est un peu le retour du balancier. On peut à court terme réduire certains coûts en sous-traitant, mais on perd alors la mainmise sur le processus de production. En parallèle, plusieurs décideurs économiques et politiques remettent en question la mondialisation et prônent plutôt le retour à une production plus nationale, voire régionale ou locale. Cette dernière tendance sera aussi accentuée par la politique protectionniste américaine dont l’effet réel reste à voir, d’autant plus que l’Accord Canada-États-Unis-Mexique devra être renégocié dès 2026. S’ajoutent les préoccupations écologiques légitimes de privilégier la production locale pour des raisons environnementales évidentes.
Les questions liées au télétravail continueront de faire l’objet de négociations. Cet enjeu n’est pas nouveau, mais il a récemment émergé dans les négociations des conventions collectives de cols blancs. D’abord à la recherche d’un certain progrès social, puis pour faire face à la rareté de main-d’œuvre, on a cherché à concilier la vie au travail avec la vie hors travail par de nouveaux arrangements. Plus récemment dans le contexte sanitaire de la COVID, un grand nombre d’employeurs ont opté pour le télétravail du personnel de bureau, sans pour autant en avoir négocié les détails. De nouvelles tensions sont apparues lors du renouvellement des conventions collectives. Il devient difficile de négocier ces nouvelles règles. Les employeurs veulent garder le contrôle et décider seuls de qui aura accès au télétravail, et de quand et comment. Les syndicats revendiquent le droit au télétravail pour leurs membres pour qui le travail peut se faire à distance. Cette question fut d’ailleurs au cœur du conflit de travail d’avril 2023 des fonctionnaires fédéraux.
Le contexte technologique de la production de biens et services évolue rapidement. Cela n’est pas sans conséquence sur le nombre et sur les types d’emploi. Certains emplois disparaîtront, alors que de nouveaux seront créés. Il est certain que de nouvelles règles de travail, pour certaines encore inconnues, seront nécessaires. Les parties à la négociation collective sauront s’adapter, comme elles ont su le faire face à la robotisation et à l’automatisation dans les usines, et face aux avancées technologiques majeures qui ont transformé le travail de bureau.
Le futur s’annonce par contre plutôt difficile pour le secteur public, autant québécois que fédéral. Les déficits des deux paliers de gouvernement ont explosé. Le Québec est passé en quelques années de l’équilibre budgétaire à des projections déficitaires de 11 milliards pour 2024-2025. Du côté fédéral, le déficit projeté pour 2024-2025 frise les 40 milliards. Les gouvernements évitent de parler d’austérité. On parle plutôt de compression ou de contrôle des dépenses. Les mots diffèrent de ce qu’on a déjà connu, mais les remèdes risquent de se ressembler. Les grandes conventions collectives du secteur public fédéral expirent en juin 2025, alors que celles du Québec expirent en 2028. Leurs renouvellements seront sans doute marqués par des conflits de travail et possiblement cette fois-ci par des lois forçant le retour au travail et l’imposition des conditions de travail.
Le cadre juridique de la négociation collective demeure pratiquement inchangé depuis plusieurs années et rien ne laisse entrevoir des changements à moyen terme. Par contre, les interventions gouvernementales visant à amenuiser les pénuries de main-d’œuvre, que ce soit sur les seuils d’immigration ou la rétention des personnes salariées plus âgées, pourraient contribuer à un meilleur équilibre entre l’offre et la demande de main-d’œuvre et ainsi affecter le pouvoir des parties à la table de négociation.
Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis ou dans certaines provinces canadiennes, les syndicats et les employeurs québécois font preuve de pragmatisme et ont tendance à accepter la légitimité de l’autre. Rarement, les employeurs refusent de négocier. On ne peut pas prédire comment se dérouleront les négociations dans cinq ans ou dans dix ans. Nous croyons toutefois que les parties s’adapteront aux nouveaux contextes et trouveront ensemble les solutions qui permettront à l’entreprise de survivre, voire de prospérer, et aux personnes salariées de bénéficier de protections adéquates.
- Pour en savoir plus sur le cadre d‘analyse dont s’inspire ici l’auteur, voir les chapitres 1 et 10 de La négociation collective, 4e édition, sous la direction de Renaud Paquet et Jean-François Tremblay, Chenelière éducation, 2024.
- Voir les diverses publications de la Banque du Canada et de l’Institut de la statistique du Québec sur le sujet.
- Selon le Portrait statistique des conventions collectives analysées du Québec, 2022, ministère du Travail, 63 % des conventions collectives avaient une durée supérieure à trois ans et 49 % une durée supérieure à quatre ans.