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Neurosciences et leadership : les clés pour débloquer la créativité organisationnelle

La créativité en entreprise résulte de l'interaction entre mémoire, apprentissage et environnement, guidée par un leadership éclairé. Les neurosciences révèlent comment ces éléments influencent l'innovation et la résolution de problèmes créatifs.
5 mars 2025
Philippe Mast, CRHA | Hugues Petitjean

La créativité en entreprise est un véritable processus de cocréation, résultant de l'interaction complexe entre l'individu et son environnement. Influencée par des facteurs sociaux, culturels, historiques, et organisationnels, elle est facilitée ou freinée par le collectif, devenant ainsi une cocréation. Selon le modèle systémique promu par Braccini[1], ce processus est essentiel pour permettre aux organisations de s'adapter et d'innover face à un environnement en constante évolution. Ce travail, issu d'une collaboration unique entre un consultant en développement organisationnel et un chercheur en neurosciences, explore comment un climat organisationnel favorable, orchestré par un leadership bienveillant, peut stimuler la créativité et l’innovation organisationnelle.

Le modèle systémique de la cocréation

Mihaly Csikszentmihalyi[2] décrit la créativité comme une interaction entre l'individu et son domaine d'activité, incluant :

  • La personne créative (passionnée et motivée)
  • Le domaine d’activité et ses règles (arts, sciences ou politique)
  • Le champ créatif composé de personnes aux champs d’intérêt similaires et qui offrent soutien et reconnaissance

Dayle & al. ont développé une échelle pour évaluer la co-créativité en contexte collaboratif, basée sur un « climat d’équipe » propice à l'expression des émotions et à la confiance.[3] Cependant, leur modèle exclut le leadership, un paradoxe puisque selon l’approche systémique, le leadership fait partie intégrante du processus[4].

Dans une organisation, les émotions des participants influencent la créativité, ce qui nécessite un climat de confiance pour favoriser la co-créativité. Négliger le rôle du dirigeant sous-estime son influence, surtout dans les PME où, en tant que fondatrices et fondateurs, ils sont primordiaux pour le climat et la culture d'innovation.

Valeurs d'innovation

L’apport des neurosciences

Les neurosciences confirment l'importance d'un climat propice à la création. La créativité repose sur des interactions complexes entre les aires cérébrales, la mémoire et la neuroplasticité, influencée par les émotions et l'environnement, ce qui en fait un processus collaboratif.

Les bases neurobiologiques et cognitives de la créativité

Au moins trois réseaux cérébraux jouent un rôle clé dans la créativité[5,6] :

  • Le réseau par défaut (cortex préfrontal médian et cingulaire postérieur)
    • génère des idées spontanées et est actif lorsque l'esprit vagabonde;
    • est lié à l'imagination, à l'introspection.
  • Le réseau de contrôle (cortex préfrontal dorsolatéral)
    • sélectionne et met en œuvre les idées générées;
    • est sollicité dans la prise de décision et la régulation émotionnelle.
  • Le réseau de saillance (amygdale et cortex insulaire)
    • détecte les stimuli pertinents;
    • régule l'attention et les émotions.[7]

Le rôle de la mémoire et de l’apprentissage dans le processus créatif

La mémoire stocke expériences, émotions et connaissances, fournissant des références essentielles pour inspirer et structurer de nouvelles idées dans le processus créatif. Les apprentissages antérieurs jouent un rôle crucial en aidant les personnes créatrices à développer des solutions innovantes et à résoudre des problèmes créatifs. Les études montrent que les interactions entre les réseaux cérébraux sont plus fortes après la présentation d’images, renforçant le rappel des souvenirs.[8] Cela souligne l’importance de la mémoire dans la créativité, qui reste toutefois un processus cognitif plus vaste pouvant être entraîné.

L’apport du système de récompense et des états émotionnels

Le système de récompense et les états émotionnels influencent la créativité, dans un sens comme dans l’autre, en modulant plus ou moins la motivation, la persévérance et la prise de risques. C’est donc lorsque le cerveau reçoit un retour positif (état émotionnel positif), qu’il libère de la dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir, renforçant ainsi la motivation créative. Des émotions comme la curiosité, l'émerveillement, la passion et la joie jouent également un rôle clé pour stimuler l’imagination. Au contraire, une émotion négative, comme la tristesse, peut freiner ce processus créatif.[9]

Développer une culture de confiance

Le leadership créatif

Exercer un leadership créatif consiste à instaurer une culture de confiance, où les individus s’épanouissent sans crainte d’être jugés. Lencioni souligne que les organisations où les débats sont ouverts et transparents performent mieux, contrairement à celles où règnent les jeux politiques.[10]

Notre expérience montre que, pour créer cette culture dans un contexte de changement, quatre éléments sont essentiels :

  • Style de leadership : favorise-t-il la prise de risque et la créativité dans un climat de confiance?
  • Organisation du travail : les décisions sont-elles hiérarchiques ou collectives? Les processus encouragent-ils la créativité et l’expérimentation?
  • Valeurs organisationnelles : la prise de risque est-elle valorisée, et l'échec est-il perçu comme un apprentissage?
  • Expérience des employées et employés : le travail attire-t-il et retient-il les talents créatifs?

Faire vivre une expérience engageante 

Nos observations des pratiques sur le terrain ont permis de déterminer cinq caractéristiques clés que partagent les équipes innovantes, favorisant la créativité et amplifiant l’engagement :

  • Passion pour les défis (technologiques, environnementaux ou autres)
  • Confiance comme socle permettant des débats exigeants dans un environnement psychologiquement sécuritaire
  • Ouverture (écoute et curiosité) pour de nouvelles idées
  • Besoin de se dépasser au-delà des attentes
  • Résilience dans l'ambiguïté

Définir un style de leadership favorisant la cocréativité 

Notre expérience de vingt ans révèle trois critères clés pour un leadership créatif :

  • Introspection : la connaissance de soi, y compris ses émotions et ses vulnérabilités, est cruciale pour rester en maîtrise face à la prise de risques.
  • Empathie et vulnérabilité : évaluer avec bienveillance l’état émotionnel de ses collègues dans l’ambiguïté et oser montrer ses propres vulnérabilités, favorisant ainsi un climat de confiance.
  • Affirmation bienveillante : s’affirmer tout en stimulant ses équipes sans coercition, les encourageant à réfléchir de manière créative et à expérimenter.

Conclusion

Notre analyse systémique démontre que le leadership créatif est un pivot permettant de favoriser une culture d’innovation au sein des organisations. Le leader créatif n'est pas seulement un catalyseur de changement, mais aussi un architecte qui façonne l'environnement nécessaire à l'épanouissement de la cocréativité. Comprendre et mettre en pratique ces principes permet aux organisations de rester agiles et innovantes dans un monde en constante évolution.


Author
Philippe Mast, CRHA cofondateur de CORTO.REV CORTO.REV

Author
Hugues Petitjean Chercheur associé Resili-Science

Source : Revue RH, volume 28, numéro 1 ─ Janvier/Février/Mars 2025

  1. Braccini V. (2014), Vers un modèle d’association apprenante : une recherche-action dans le réseau associatif des Petits Débrouillards, Thèse en sciences de l’éducation et de la formation, Université de Strasbourg. En ligne : https://theses.hal.science/tel-01206007 
  2. Csikszentmihalyi M. (1996), Creativity: Flow and the Psychology of Discovery and Invention, New York, Harper Perennial. Csikszentmihalyi M. (2014), The Systems Model of Creativity: The Collected Works of Mihaly Csikszentmihalyi, Dordrecht, Springer 
  3. David D., Romero M. & De Smet C. (2022), Développement d’une échelle de co-créativité en contexte d’apprentissage collaboratif en pédagogie universitaire. Évaluer. Journal international de recherche en éducation et formation, 8(1), p. 85-109. doi : https://doi.org/10.48782/e-jiref-8-1-85 
  4. Braccini V. & Petitjean H. (dir.) (2022), Le paradoxe de l’observateur, Cahiers de systémique n° 1, Strasbourg, Éditions de l’Ill. 
  5. Beaty R. & al. (2015), Default and executive network coupling supports creative idea production, Scientific Reports. doi : https://doi.org/10.1038/srep10964 
  6. Beaty R. & al. (2017), Robust prediction of individual creative ability from brain functional connectivity, PNAS, doi: https://doi.org/10.1073/pnas.1713532115 
  7. Swart T. & al. (2015), Neuroscience for leadership, New York, Edition Palgrave MacMillan. doi: https://doi.org/10.1057/9781137466877 
  8. Pisapia N. & al. (2016), Brain networks for visual creativity: a functional connectivity study of planning a visual artwork, Scientific Reports, 6, 39185 (2016). doi: https://doi.org/10.1038/srep39185 
  9. Khalil R. & al. (2019), The link between creativity, cognition, and creative drives and underlying neural mechanisms, Frontiers in Neural Circuits, 13. doi: https://doi.org/10.3389/fncir.2019.00018 
  10. Lencioni P. (2002 [2005]), The Five Dysfuntions of a Team. Tr. fr. : Optimisez votre équipe. Les cinq dysfonctions d'une équipe. Une fable pour les dirigeants, Québec, Éditions Un monde différent.