ressources / revue-rh / volume-28-no-1

Les lieux physiques de travail : une dimension sous-estimée de la motivation au travail

La lumière du jour, les courants d’air, la distance jusqu’à la machine à café, la disposition du bureau par rapport aux autres, etc. Des détails anodins qui pourraient faire une différence significative dans la motivation au travail.
5 mars 2025
Joëlle Carpentier, Ph. D. | Nathalie Marceau, MBA, CRHA

Les décisions concernant l’aménagement des bureaux de travail se prennent parfois rapidement, avec l’optique de réduire les coûts, et n’incluent pas toujours (ou rarement) les professionnelles et professionnels RH. Ces décisions peuvent pourtant mener à des effets marquants sur la motivation et l’efficacité individuelle.

Amélie* quitte son emploi à la suite du réaménagement de son bureau par son employeur. Le gestionnaire et l’équipe sont sous le choc et perdent une collègue vaillante, qui connaît ses dossiers, et une collaboratrice hors pair qui a plus de cinq ans d’expérience. Que s’est-il passé?

L'influence des lieux physiques de travail sur la santé et le bien-être des personnes employées a été amplement étudiée scientifiquement depuis le début des années 2000 (Clements-Croome, 2006). Les stresseurs principaux sont la disposition des bureaux, la qualité de l’air, la température, l'acoustique, la luminosité, la lumière naturelle ainsi que la vue, le calme, le confort ergonomique, la connectivité technologique et l’esthétique des lieux pour n’en nommer que quelques-uns (Al-Dmour et al., 2021 ; Clements-Croome, 2006). Cependant, qu’en est-il de l’influence des lieux physiques de travail sur la motivation à travailler? Encore peu d’études scientifiques explorent les lieux physiques de travail en lien avec les théories de la motivation.

Revenons au cas d’Amélie. Un nouvel employé s’était joint récemment à l’organisation et puisqu’il n’y avait plus d’espaces de travail dans les lieux occupés par l’équipe, le gestionnaire a choisi de déplacer Amélie dans un autre secteur de l’édifice. Celle-ci s’est retrouvée seule et isolée du reste de l’équipe. Ainsi, la disposition de son bureau loin des autres membres de l’équipe a joué un tel rôle qu’elle s’est sentie exclue et même rejetée. Amélie y a travaillé quelques jours à contrecœur, est partie en arrêt de travail et a finalement quitté son emploi.

Trois besoins psychologiques fondamentaux de la motivation humaine :

  1. autonomie
  2. compétence
  3. affiliation

La théorie de l’autodétermination (TAD), une importante théorie de la motivation humaine, peut être très utile pour nous aider à comprendre ce qui a pu mener Amélie à quitter son emploi. Cette théorie soutient que les êtres humains ont trois besoins psychologiques fondamentaux, soient les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation; ces besoins doivent être satisfaits afin de favoriser une motivation de qualité et de mener à des conséquences positives ​(Ryan et Deci, 2019)​. Ces trois besoins psychologiques sont les vitamines psychologiques indispensables à une motivation optimale et au sentiment de bien-être ​(Forest et al., 2022)​. On peut penser que, par suite du déplacement du bureau de Amélie, son sentiment d’affiliation s’est grandement et rapidement effrité, affectant ainsi négativement sa motivation.

De la même façon, les besoins de compétence et d’autonomie peuvent être affectés par les lieux physiques de travail. Prenons l’exemple de Miguel*, qui porte une casquette chaque fois qu’il va au bureau. La lumière provenant des néons est tellement forte qu’il a de la difficulté à se concentrer. La casquette est le moyen qu’il a trouvé afin de réduire cet éblouissement. Il compte péniblement les heures lorsqu’il doit travailler à partir des bureaux de son employeur. La difficulté de concentration qu’il éprouve dans ce lieu réduit grandement son efficacité. Encore une fois, la TAD peut nous aider à comprendre l’incidence potentielle de l’éclairage sur la motivation de Miguel. En nuisant à sa concentration et conséquemment, à son efficacité, l’éclairage contribue à frustrer le besoin de compétence de Miguel ce qui, à son tour, a des répercussions négatives sur sa motivation.

Julien* se rend au bureau deux jours par semaine, selon la politique de son employeur. Son espace de travail en aire ouverte est situé à côté de celui de son gestionnaire, lequel entend tout ce qu’il dit et fait. Cela rend Julien anxieux et hésitant. Il ne se sent pas libre de parler et d’agir comme il le veut, professionnellement parlant. La satisfaction de son besoin d’autonomie est ainsi affectée, et la motivation envers son travail menacée. 

Des petites choses qui semblent anodines peuvent donc grandement miner, ou favoriser, la motivation. Pour certains, occuper un bureau situé près de la machine à café permet d’être régulièrement en relation avec les gens qui passent et peut contribuer positivement à leur sentiment d’affiliation. Pour d’autres, ceci génère plutôt du bruit et nuit à leur concentration, influençant négativement leur sentiment de compétence. Des espaces aérés et silencieux, une vue magnifique sur la nature ou la ville, ou encore la possibilité de bouger pour exécuter différents types de tâches, sont d’autres éléments qui peuvent favoriser ou nuire à la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation des personnes, et ainsi avoir un effet sur leur motivation au travail.

Un important travail de recherche reste à faire afin de bien analyser les répercussions des lieux physiques de travail sur la motivation. La TAD nous offre un puissant cadre théorique nous permettant de comprendre la façon dont ils peuvent être exploités pour favoriser la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux. Sachant cela, que peuvent faire les spécialistes RH? Deux axes ressortent plus clairement: 1) accompagner les gestionnaires dans les décisions quotidiennes d’aménagement des espaces de travail individuels et 2) être partie prenante et participer en amont aux plans d’aménagement des espaces de travail, que ce soit pour les espaces communs ou individuels.

En conclusion, pour la motivation du personnel et la productivité des organisations, les responsables RH ont tout intérêt à participer activement aux décisions d’aménagement des espaces de travail afin que cet aspect devienne un véritable levier de la motivation individuelle et collective! 

Références

  • ​Al-Dmour, Y., Garaj, V. and Clements-Croome, D. (2021). The flourishing of Biophilic workplaces: ‘Second Home’ offices as a case study. Intelligent Buildings International, 13(4), 261–274. https://doi.org/10.1080/17508975.2020.1807895 
  • ​Clements-Croome. (2006). Creating the Productive Workplace (2nd ed.). http://site.ebrary.com/id/10164201 
  • ​Forest, J., Broeck, A. van den, Coillie, H. van and Mueller, M. B. (2022). Libérer la motivation : avec la théorie de l’autodétermination. 
  • ​Ryan, R. M. and Deci, E. L. (2019). Brick by Brick: The Origins, Development, and Future of Self-Determination Theory. Dans Advances in Motivation Science (vol. 6, p. 111–156). Elsevier. https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S221509191930001X 

Author
Joëlle Carpentier, Ph. D. Professeure École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal

Author
Nathalie Marceau, MBA, CRHA Doctorante à l'Université du Québec à Montréal. Science Technologie et Société

Source : Revue RH, volume 28, numéro 1 ─ Janvier/Février/Mars 2025

* Noms fictifs