Anne, comme 1,4 million[1] de Québécoises et Québécois, jongle entre son emploi et ses proches. « Je m’occupe des transports et des provisions de ma mère, qui reste chez elle. J’accompagne mon père aux transfusions sanguines, qui vit en résidence », raconte cette technicienne-comptable.
Véritables piliers des soins à domicile, les personnes proches aidantes (PPA) assument volontairement près de 80 % de l’aide aux bénéficiaires[2]. Ces précieuses alliées apportent du soutien à un ou plusieurs membres de leur entourage en raison d’une incapacité temporaire ou permanente[3]. Des enfants qui veillent sur leurs parents vieillissants, des parents qui soutiennent leur enfant atteint d'une déficience, une amie qui aide son voisin atteint de démence, etc. La proche aidance, c’est une mosaïque de visages qui regroupe un peu plus du tiers des adultes québécois. Les 45 à 54 ans sont d’ailleurs proportionnellement plus nombreux à soutenir deux proches et plus. Cette tranche d'âge est particulièrement représentative de la génération « sandwich », coincée entre les besoins des enfants et des parents[4].
L’Observatoire québécois de la proche aidance et L’Appui ont dressé des portraits complets de la proche aidance.ont dressé des portraits complets de la proche aidance.
« La proche aidance est là pour rester parce que la population vieillit de plus en plus »[5], annonce d’emblée Marie-Ève Beauchamp Legault, CRHA, stagiaire postdoctorale au Centre d'expertise en gestion de la santé et de la sécurité au travail de l'Université Laval.
La chercheuse a constaté que de nombreuses PPA proches de l’âge de la retraite vont la devancer afin de s'occuper de leurs parents vieillissants. En offrant des mesures de conciliation travail-vie personnelle pour s’adapter à la réalité des PPA, les organisations s’assurent de la rétention de leur personnel expérimenté en plus d’attirer les candidates et candidats veillant sur une personne proche.
Six pistes pour s’adapter à la réalité de la proche aidance
-
Réduire le temps de travail
Le temps, c’est ce qui manque aux PPA afin d’aider leurs proches. Isabelle, mère d’un adolescent atteint de retard de développement sévère à profond, ne travaille que trois jours par semaine au sein d’un ordre professionnel. « Si je n’avais pas cela, la vie serait très différente », confie-t-elle. En offrant une réduction ou une compression volontaire du temps de travail, les organisations contribuent à une meilleure gestion du temps de leur personnel.
-
Offrir une flexibilité
« Les établissements de santé, c’est souvent du 9 à 5. Les PPA doivent donc coordonner les soins de santé pendant leurs heures de travail », fait savoir Mme Beauchamp Legault. Ce sont d’ailleurs « ces tâches qui ont le plus d'incidence sur les difficultés de conciliation travail-vie personnelle et qui mènent à l'épuisement et à des comportements de présentéisme et d'absentéisme », admet la chercheuse qui a coécrit un article sur le sujet[6].
Pour pallier les situations imprévues et alléger la pression qui plombe les PPA, les organisations peuvent leur permettre de moduler leurs horaires en fonction des contraintes, leur offrir une certaine latitude pour les pauses, les repas ou encore un horaire sur mesure. Mme Beauchamp Legault propose aussi d’adapter les pratiques de gestion de la performance en fonction de la réalité des PPA. Et pourquoi ne pas réorganiser les tâches à accomplir?
-
Permettre le télétravail
Isabelle et Anne ont toutes les deux la possibilité de reprendre leur temps à des heures inhabituelles, comme en soirée, afin de rattraper des tâches. « Ce n’est pas un emploi où je dois être présente physiquement de telle heure à telle heure; c’est un emploi qui peut se faire à d’autres moments de la journée », explique la mère de l’adolescent.
En offrant le télétravail, les organisations permettent au personnel proche aidant de travailler en dehors des heures habituelles, en présence ou non de leur proche ou même d’effectuer des heures supplémentaires à des moments qui conviennent mieux à leur situation personnelle. Et pourquoi ne pas mettre en place des congés compensatoires?
-
Repenser les congés
Alors qu’en moyenne 44 % des PPA s’absentent huit jours par année pour prendre soin d’une ou d’un proche[7], Mme Beauchamp Legault remarque que de plus en plus de milieux de travail mettent en place des congés de compassion. Une journée pour s’occuper de son proche ou pour sa santé mentale? « Les personnes proches aidantes ont aussi besoin de répit », rappelle-t-elle.
La clé du succès, selon la chercheuse, c’est avant tout de diversifier et de bonifier les programmes de congés. La chercheuse cite un contre-exemple : « Les congés “grands-parents” stigmatisent et favorisent certaines personnes en emploi. » Tenir compte de la réalité des PPA tout en imaginant des mesures équitables qui bénéficient à tout le personnel permet d’éviter les sentiments d’injustice et de jalousie au sein de l’équipe.
-
Faire preuve de bienveillance et de sensibilité
Ce qui amplifie la fatigue émotionnelle d’une PPA, c’est le manque de compréhension de son rôle par les tiers. « Avoir un enfant handicapé, c’est 24/7. C’est très demandant émotivement », confie Isabelle, la mère de Maxime. Les trois femmes s’accordent et croient que tout le monde bénéficierait de plus de sensibilité pour comprendre la réalité des gens qui sont aux prises d’une telle situation.
Dans leur vie personnelle, les PPA développent des soft skills pertinentes pour les organisations. Gestion du temps, adaptabilité, intelligence émotionnelle, empathie, etc. Ce sont autant de compétences transférables au milieu de travail selon la chercheuse.
-
Mettre en place des ressources
Pour la chercheuse, la littératie du réseau de la santé reste un problème. « C’est complexe et ça prend beaucoup d'heures aux PPA. De nombreux organismes peuvent pourtant aider à naviguer dans le réseau », assure-t-elle. Il peut être pertinent d’intégrer les ressources pour accéder aux prestations dans le programme d’aide aux employés, ainsi qu’un programme de soutien émotionnel. Aussi, sensibiliser les gestionnaires en leur offrant des formations sur la proche aidance leur permettront sans doute de mieux appréhender les enjeux et d’adapter leurs pratiques.
Les ressources humaines ont tout intérêt à accommoder leurs mesures aux besoins des PPA qui représentent une tranche considérable de la main-d'œuvre. Surtout, Mme Beauchamp Legault croit que « la culture de conciliation travail-vie personnelle doit s'adapter à l'ensemble des générations. Parce qu'on peut tous être pris à un moment dans notre carrière avec un phénomène qui demandera d'avoir une certaine flexibilité ». Créer une culture bienveillante, c’est gagnant-gagnant : cela bénéficie autant au personnel qu’à l’organisation.
Ressources complémentaires
Plusieurs organismes fournissent des outils aux organisations qui souhaitent mettre en place des pratiques pour favoriser la conciliation travail-vie personnelle des PPA:
Bibliographie
Actualités et général
À écouter
Un balado de Radio France abordant le lien entre proche aidance et travail.
Recherche scientifique et rapports gouvernementaux
- Enquête statistique sur la proche aidance au Québec 2022 | L’Appui
- Portrait des proches aidants en emploi | Carrefour RH
- Personne proche aidante - Québec.ca
- Enquête statistique sur la proche aidance au Québec | L'Appui
- Vieillissement et santé | Organisation mondiale de la santé
- Beauchamp Legault et al. (2023) How do Informal Caregivers of Seniors' Tasks Lead to Presenteeism and Absenteeism Behaviors? A Canadian Quantitative Study | International Journal of Environmental Research and Public Health
- Fast, J. (2015). Caregiving for Older Adults with Disabilities: Present Costs, Future Challenges. IRPP Study 58. Montreal : Institute for Research on Public Policy