La chronique La Tribune a pour objectif de mettre en lumière différentes parties prenantes du monde du travail. C'est ainsi qu'à chaque édition, nous publions un article d'un organisme associatif, patronal, syndical ou autre sur un sujet actuel et d'intérêt pour notre lectorat. Pour celle-ci, nous avons reçu avec plaisir monsieur Éric Gingras, président de la CSQ.
Quels sont les plus grands défis que devront affronter les syndicats en 2025 du point de vue des relations de travail?
Globalement, on est dans un contexte où il y a une augmentation des conflits de travail. Pour toutes sortes de raisons : question de pénurie de main-d’œuvre, ralentissement économique. On est vraiment dans une période particulière; on peut se retrouver dans un milieu où il y aurait effectivement une paix sociale un peu plus chambranlante.
On est dans une période d’incertitude et les relations syndicales patronales risquent en 2025 d’être touchées par cette ambivalence.
Ensuite, l’arrivée possible d’un gouvernement conservateur au fédéral risque d’avoir des incidences pour le mouvement syndical. Il pourrait y avoir une remise en question de l’équilibre des rapports de force syndicale patronale. On parle d’un gouvernement qui pourrait remettre en question les façons de faire syndicales qui existent depuis maintenant des décennies et qui ont contribué à amener un certain équilibre.
Plus près de nous, du côté de la CSQ, on sera face à un contexte de retour à l’équilibre budgétaire, de resserrement, d’austérité, appelons ça comme on veut, c’est sûr qu’on se questionne.
Dans un contexte de transformation numérique et d’intégration des technologies numériques, comment voyez-vous l’évolution des relations de travail pour la prochaine année?
D’un point de vue syndical, on ne voit pas ça d’un mauvais œil. Que ce soit le télétravail, que ce soit les outils numériques, ces aspects-là sont intéressants. Mais les éléments les plus importants sont qu’il faut que les travailleuses et les travailleurs soient au centre de l’utilisation de ces outils-là. Et souvent, c’est ce qui fait défaut. On pense savoir ce que la travailleuse ou le travailleur veut et on implante des initiatives, mais on devrait le faire à l’envers. Je pense qu’on arriverait fort probablement à un bon pacte employeur-employé, qui nous amènerait vers une meilleure productivité. C’est souvent ce que l’employeur veut : top-down. Mais ça devrait être à partir des besoins des employés.
Quel effet a le télétravail, devenu plus répandu avec la pandémie, sur les relations de travail et le rôle des syndicats?
Lorsqu'on négocie un contrat de travail, il comprend maintenant presque majoritairement la notion de télétravail. Je pense que l’équilibre devra être recherché. Ça ne va pas être tout noir ou tout blanc.
En ce qui concerne la flexibilité, on peut avoir un horaire qui est changeant, mais en même temps, on devra respecter nos droits à la déconnexion et que ça ne soit pas considéré comme un manque d'intérêt au travail.
Il y a une polarisation croissante dans la société du point de vue politique ou idéologique. Cela peut s’exprimer dans les relations de travail et dans ce contexte-là, les syndicats peuvent agir comme médiateurs. Quelle est votre vision de ce rôle pour les syndicats?
Le rôle de médiateur est important. Il faut être au diapason de ce que nos membres veulent et on a du travail à faire pour être certain d’y arriver. Mais globalement, il faut avoir confiance dans les institutions au sens large (politique, juridique, les règles de droit, etc.) Les syndicats en font partie. Je pense que le pire des scénarios est que cette confiance-là soit tellement mise à mal, que les syndicats ne puissent plus jouer leur rôle. Et à moyen terme, on sera pris avec un problème de représentation, une situation plus chaotique, parce qu’on sera dans un contexte de non-confiance envers les institutions. Et c’est ce qui nous guette présentement, quand on remet en question la vérité, les décisions juridiques. On a tous un rôle à jouer dans l’espace public.
Comment les syndicats peuvent-ils contribuer à régler les enjeux de santé mentale au travail?
Comme organisation, déjà, s’assurer que les problèmes de santé mentale soient reconnus comme étant de réelles maladies. C’est encore tabou. Il y a des gens qui sont aux prises avec ces problèmes et qui ne veulent pas le dire à leur employeur. Comme syndicats, il faut nous assurer de travailler avec les employeurs pour qu’on reconnaisse la légitimité des problèmes de santé mentale.
Ensuite, il faut trouver les meilleures façons pour que le milieu de travail nous amène à ne pas avoir de problème de santé mentale. C’est positif d’avoir du télétravail, c’est positif d’avoir un horaire flexible. Mais là où c’est négatif, c’est quand il y a un trop grand nombre d’heures, on n’arrive pas. Ça, c’est notre travail, avoir un juste milieu, un équilibre, avec les employeurs.
Le mouvement syndical est en déclin chez les jeunes. Comment faites-vous face à ce défi?
Effectivement, on était jusqu’à tout récemment en baisse, en déficit de crédibilité. Mais il y a un regain, on le voit aux États-Unis, un peu partout, en Californie, c’est vrai aussi au Canada et au Québec. Prenons l’exemple du jeu vidéo : c’est une industrie où il n’y avait aucune capacité à syndiquer. Il y a maintenant des mouvements de syndicalisation dans les grandes boîtes. Comme syndicat, on doit être à l’écoute des membres, sans considérer que notre mouvement va aller de soi. Il faut être à l’écoute et modifier ce qui ne va pas bien. C’est là où se trouve notre force, lorsqu’on prend la parole, on fait des choses comme organisation, en lien avec ce que les membres veulent qu’on fasse. C’est comme ça qu’ils vont avoir le goût de continuer.