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Le modèle des demandes et ressources et les besoins psychologiques fondamentaux : un accord parfait pour comprendre les risques psychosociaux au travail

La théorie de l’autodétermination ainsi que le modèle des demandes et ressources en emploi sont un accord parfait pour comprendre les risques psychosociaux de même que les facteurs qui stimulent le fonctionnement optimal.
30 avril 2024

En contexte organisationnel, la plupart des modèles contemporains visent à augmenter des conséquences souhaitables, comme la performance et le bien-être, et à diminuer les résultats indésirables, comme l’absentéisme et les comportements antisociaux. C’est justement ce à quoi s’affairent la théorie de l’autodétermination ainsi que le modèle des demandes et ressources en emploi; ces deux modèles sont un accord parfait pour comprendre les risques psychosociaux de même que les facteurs qui stimulent le fonctionnement optimal.

Performance et bien-être souhaités… détresse et rigidité à diminuer

Il est maintenant démontré que l’être humain a trois besoins psychologiques fondamentaux qui sont plus importants que les autres, à la fois pour expliquer la performance et le bien-être (lorsqu’ils sont satisfaits), l’ennui (lorsqu’ils sont insatisfaits) et les comportements contre-productifs, rigides ou nuisibles de même que la détresse (lors de frustrations). La théorie de l’autodétermination nous enseigne que l’autonomie (le fait d’endosser ses actions et d’agir en conformité avec ses valeurs), la compétence (avoir le sentiment d’être efficace et de pouvoir surmonter les obstacles sur notre chemin) et l’affiliation sociale (avoir des relations interpersonnelles mutuellement bénéfiques) sont les « vitamines » psychologiques qui sont importantes pour tout le monde, partout et tout le temps, que ce soit au travail (ex. : Forest et collègues, 2023, Van den Broeck et collègues, 2022) ou dans d’autres sphères de vie (voir Ryan, 2023). C’est ce modèle scientifiquement solide sur lequel nous pouvons nous appuyer pour comprendre les antécédents, les processus et les conséquences des différents milieux de travail, que ceux-ci soient émancipateurs, fastidieux ou toxiques. La figure suivante permet de visuellement comprendre comment différents environnements peuvent être générateurs de santé et de bonheur (s’ils satisfont les besoins) ou encore ravageurs (s’ils frustrent les besoins). 

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C’est dans la volonté de comprendre comment prévenir les problèmes principalement psychologiques, mais aussi physiques et comportementaux, que l’étude des risques psychosociaux a été mise de l’avant. Des modèles classiques, nés dans les années 70 et 80, comme ceux de Siegrist (1996) et Theorell et Karasek (1996), ont jeté les bases des premières études sur le sujet. C’est entre autres en s’inspirant de ces modèles que l’Institut national de santé publique du Québec a développé des outils pour tenir compte des risques psychosociaux c’est-à-dire charge de travail, autonomie décisionnelle, reconnaissance au travail, soutien social de la ou du gestionnaire, harcèlement psychologique de même que l’information et la communication.

C’est avec le souhait de synthétiser et de condenser tous les différents modèles des risques psychosociaux que le modèle des demandes et ressources en emploi a été proposé à la communauté. Ce modèle est maintenant LE modèle de référence pour comprendre à la fois l’épuisement et son antithèse, l’engagement (voir Bakker et collègues, 2023).

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Figure tirée et traduite de : Bakker, A. B., Demerouti, E., & Sanz-Vergel, A. (2023). Job demands–resources theory: Ten years later. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior10, 25-53.

Le modèle des demandes et ressources combiné à la théorie de l’autodétermination : un duo positif

Le modèle des demandes et des ressources postule globalement que les ressources (que celles-ci soient personnelles ou professionnelles) contribuent généralement aux comportements proactifs, à l’engagement et à la performance au travail et, qu’à l’opposé, les demandes sont reliées aux comportements contreproductifs, à l’épuisement et à moins de performance.

L’évolution de ce modèle nous amène à faire la distinction entre les demandes de types « défis » (challenges) et les demandes de type « obstacles » (hindrances). Les défis sont définis comme des demandes émanant de l'environnement de travail, mais qui sont associées à des avantages potentiels pour la personne, même si elles peuvent être a priori stressantes. Quant aux obstacles, ce sont des demandes qui créent du stress et tendent à interférer avec l'accomplissement d'un travail, sans apporter de bienfaits.

Dans une recension de la documentation (voir Crevier-Braud, 2016), la liste des éléments pouvant être perçus comme des défis incluant les demandes d’apprentissage, une urgence du temps, la quantité de travail, la complexité de la tâche, un nouvel environnement de travail, un événement soudain, une évaluation, le degré d’attention demandé par l’emploi ou encore des responsabilités. Pour leur part, les demandes de types obstacles peuvent être, par exemple, la surcharge, les interruptions de travail, le manque de ressources, l’ambiguïté de rôles, les conflits de rôles ou interpersonnels, la surcharge de rôles, le stress relié au superviseur, les politiques organisationnelles, les contraintes organisationnelles, les dangers au travail, les demandes émotionnelles, les interférences entre le travail et la vie familiale de même que le manque d’autonomie ou encore le manque de soutien social. Pour voir le potentiel d’un élément d’être classifié comme défi ou obstacle, les recherches antérieures et les modèles théoriques peuvent aider et, également, le test de la science est aussi un bon guide.

Dans cette optique, nous avons testé, dans un modèle à deux temps de mesure (voir Crevier-Braud et collaborateurs, 2024), le lien entre les défis, les obstacles et les ressources, les besoins psychologiques, et différents indicateurs positifs (performance et engagement) et négatifs (comportements contreproductifs et épuisement) de fonctionnement. Le résultat final nous apprend que les défis augmentent la satisfaction des besoins, que les obstacles augmentent la frustration et diminuent la satisfaction des besoins, alors que les ressources augmentent la satisfaction et diminuent la frustration des besoins. En retour, la satisfaction des besoins augmente la performance et l’engagement en plus de diminuer l’épuisement, alors que la frustration des besoins accroît les comportements contreproductifs tout en poussant à l’épuisement.

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Une vision renouvelée des risques psychosociaux et leur antithèse

Les modèles classiques (Siegrist (1996), Theorell & Karasek (1996)) sont maintenant intégrés au modèle des demandes et ressources. Ce dernier, combiné aux besoins recensés par la théorie de l’autodétermination, permet d’avoir une compréhension plus fine des risques psychosociaux de type obstacles (qui génèrent de la détresse, de l’épuisement et du négatif) ainsi que leur antithèse, soit les défis et les ressources (qui produisent de l’engagement, de la performance et du positif). Un diagnostic complet doit donc simultanément sonder les organisations et le personnel sur les facteurs qui plombent le vécu humain tout en évaluant les facteurs qui encouragent et améliorent l’expérience humaine.