Définition et limites de l’empathie
D’un point de vue organisationnel, l’empathie se matérialise dans les relations que noue une entreprise avec l’ensemble de ses parties prenantes : employés, clients, fournisseurs, société, actionnaires . Plusieurs mythes ou fausses idées minent la perception du rôle de l'empathie comme compétence au sein des organisations, ce qui contribue à en diluer l’impact.
L’empathie n’est pas la sympathie
En effet, l'empathie est le plus souvent confondue avec le concept de sympathie, même s’il existe des différences entre les phénomènes concernés.
D’après le Dr Brené Brown, l’empathie renvoie à ressentir avec autrui, tandis que la sympathie est le ressenti pour autrui… (« Empathy is I’m feeling with you. Sympathy I’m feeling for you. ») . Autrement dit, l’objet de la sympathie vise le bien-être d’autrui; essayer d’éprouver ce qu’autrui éprouve. À l’inverse, l’empathie vise la compréhension et la connaissance d’autrui; c’est essayer de comprendre ce que l’autre éprouve dans une perspective qui n’est pas la mienne.
Pour bien en circonscrire le sens et le cadre, Theresa Wiseman, chercheuse en sciences infirmières, a défini les quatre principaux attributs de l'empathie que sont la prise de perspective, l'absence de jugement, la reconnaissance de l'émotion chez les autres et la communication de l'émotion qu’on perçoit.
L’empathie en gestion n’est donc pas synonyme d’hypersensibilité ou d’émotivité. C’est plutôt la capacité pour un gestionnaire à se mettre à la place de ses collaborateurs afin de comprendre leur perspective.
Pourquoi se préoccuper maintenant des enjeux reliés à l'empathie organisationnelle?
La cohésion du groupe et le développement de l’intelligence collective
Développer l’empathie contribue fortement à diminuer les tensions relationnelles et les conflits, qui sont l’une des sources de stress et de démotivation au travail. En temps normal, lorsque tout va bien et qu’on maîtrise la situation, on est plus enclin à faire preuve d’empathie, surtout lorsqu’en prime on éprouve de l’affection pour notre vis-à-vis. Mais, c’est en temps de turbulences, telles que la pandémie actuelle, où l’on est poussé dans nos retranchements et qu’on a l’impression de perdre le contrôle, que l’empathie s’avère plus que nécessaire.
Un gestionnaire empathique exerce une influence positive sur ses collaborateurs; il n’est pas dans une posture de donneur d’ordre, mais dans une relation basée sur l’écoute et le dialogue, ce qui favorise la qualité de l’échange. Il tient compte de leurs points de vue et s’adapte pour les motiver à s’ouvrir à ses idées et à coopérer.
Un moteur de performance financière
Une étude publiée par Harvard Business Review sur les entreprises mondiales les plus empathiques révélait que les entreprises qui font preuve d’« empathie organisationnelle » sont 50 % plus performantes que leurs concurrentes.
De même dans son ouvrage Firms of Endearment, Raj Sisodia démontre que les revenus cumulés des firmes qualifiées d’empathiques, qu’il a observées à travers le monde entre 1998 et 2013, sont 14 fois supérieurs à ceux des 500 sociétés américaines de l’indice boursier S&P.
Autrement dit, mettre l’empathie au cœur du modèle opérationnel a une incidence directe sur la performance financière.
Un facteur de mobilisation, de productivité et de rétention
La conclusion de plusieurs études est que l'empathie en milieu de travail est positivement liée au rendement au travail. À titre d’exemple, les résultats de l’enquête 2020 sur l’état de l’empathie en milieu de travail en contexte de pandémie de Business Solver révèlent que 74 % d’employés seraient favorables à faire des heures supplémentaires pour un employeur qui démontre de l’empathie et 80 % d’employés ont déclaré qu'ils changeraient d'entreprise pour un salaire similaire si l'employeur était plus empathique .
L’impact sur la santé mentale et le bien-être
Malgré les différents rajustements et initiatives que plusieurs employeurs ont mis en place depuis le début de la pandémie, la santé mentale et le bien-être restent des enjeux non négligeables. Les données de l’indice de santé mentale du mois de janvier 2021 réalisé par Morneau Shepell, indiquent que la santé mentale des Canadiens demeure fragile. Cette détresse mentale des travailleurs se matérialise par les émotions négatives les plus souvent ressenties telles que l’inquiétude (23 %) et la frustration (19 %).
Pratiques gagnantes pour développer une culture de l’empathie
L’engagement de la haute direction
Pour reprendre les termes de Belinda Parmar, « l'empathie est rentable, et elle l’est d’autant plus lorsqu'elle émane de la haute direction » .
Il faut donc exposer concrètement comment l’empathie doit être vécue et véhiculée dans l’entreprise (langage, communication, etc.). Mettre l’empathie au centre des conversations stratégiques et managériales pour signifier son importance sur tous les plans; multiplier les occasions et opportunités pour discuter de santé mentale et de bien-être. De plus, encourager les élans d’empathie (champion empathie) et faire la promotion des gestionnaires et employés qui se démarquent par leur empathie sont de bonnes pratiques.
Mettre en place un environnement sécurisant
Pour que les équipes puissent fonctionner et progresser, il faut qu’elles puissent échanger et s’exprimer librement. Pourtant, certains environnements ne sont pas propices au développement de l’empathie. Favoriser l’épanouissement de l’empathie, c’est permettre aux employés d’exprimer leurs sentiments sans être remis en cause dans leur ressenti, de se sentir en confiance, de bénéficier d’une écoute sincère et sans contrepartie, de se sentir accepter dans leur différence. De plus, prévoir un cadre pour encourager la dénonciation de comportements néfastes contribue à un environnement sécurisant.
Un diagnostic des pratiques managériales courantes permettrait de déterminer les déficiences et les forces éventuelles de l'organisation afin de concentrer les ressources (temps, personnes, argent).
Privilégier une approche incrémentale
Bâtir une culture d’empathie ne se réalise pas du jour au lendemain. C’est une stratégie sur le long terme. Une fois les déficiences connues, il serait judicieux de cibler les petites victoires rapides et les implémenter en premier. Les progrès visibles et rapides que l’entreprise fera au fil du temps permettront de motiver les équipes à aller de l'avant et finalement se rapprocher progressivement de l’objectif long terme.
Contrôler les empathy killers
Selon Minter Dial , les deux principaux éléments nuisant à un environnement professionnel empathique sont le stress et le temps (respect des délais). Pour prévenir des dérapages, la conscience de soi, de son mode de fonctionnement, de ses émotions, et ses états intérieurs sont des éléments essentiels. En fonction de leur expérience de vie ou de développement de leurs capacités empathiques, certaines personnes peuvent mieux gérer le stress que d’autres et faire preuve de plus d’empathie. Il est donc primordial d’être capable de reconnaître ses émotions, les assumer et être conscient de l’incidence sur autrui.
S’appuyer ou mobiliser une masse critique de partisans
L'empathie doit être promue et soutenue dans l'ensemble de l’entreprise. L’une des façons pour y parvenir serait de s’appuyer sur les toxics handlers (générateurs de bienveillance) pour reprendre l’expression de Gilles Teneau et Al. Ce sont des collaborateurs capables d’écoute qui agissent comme des acteurs réseau pour absorber les tensions, désamorcer les conflits au sein d’une équipe de travail et servir de relais de communication de la base vers le haut.
Pour le gestionnaire, déployer durablement l’empathie organisationnelle reviendra à reconnaître ces générateurs de bienveillance et les aider à affirmer leur empathie sans se laisser submerger par la charge émotionnelle que cela représente.
Baromètre de l’empathie organisationnelle : éléments de mesure et questions clés
S’agissant d’une notion abstraite, mesurer le degré d’empathie organisationnelle n’est pas chose aisée.
Pour finir, il est important de garder à l’esprit que bâtir une culture d’empathie prend du temps. C’est donc un exercice d’amélioration continue. On ne peut se targuer d’être assez empathique, ce qui impliquerait de retourner à la case départ.
Conclusion
Mettre l'accent sur l'empathie maintenant peut aider les organisations à se remettre sur pied plus rapidement sur le plan financier à la suite de la pandémie et à mieux se positionner pour réussir dans le futur. Les entreprises qui adoptent une culture d'empathie sont mieux préparées à saisir les opportunités de croissance une fois que le contexte économique sera stabilisé.