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Quand prise de décision rime avec neurocognition

La prise de décision est souvent décrite comme un processus d’affaires dont on analyse des facteurs externes tels que les coûts et bénéfices, les parties prenantes et les besoins d’affaires. Les neurosciences ont démontré que la prise de décision est également une fonction neurocognitive, c’est-à-dire un mécanisme du cerveau opérant quotidiennement chez tout professionnel RH/RI.
25 avril 2019
Sofia El Mouderrib

Plongeons dans les mécanismes du cerveau lors de la prise de décision pour apprendre à s’observer en action et à utiliser, étape par étape, quatre leviers de performance.

Étape 1

Toute prise de décision débute par une refocalisation de l’attention, c’est-à-dire par l’attribution de nos ressources attentionnelles à une problématique donnée. Cette focalisation est volontaire, délibérée et est dirigée par trois questionnements sous-tendant la motivation :

  • La problématique vaut-elle la peine que je m’y attarde?
  • L’idée de m’y attaquer suscite-t-elle des émotions positives chez moi?
  • Est-ce que j’ai les ressources et le soutien nécessaires?

Si la réponse à ces trois questions est oui, le processus de prise de décision peut aller de l’avant. Si vous répondez non à l’une d’elles, vous débuterez votre démarche à reculons. Pensez à une décision d’embauche. Si vous n’êtes pas d’accord avec certains aspects du processus de sélection, que ce volet de votre travail influence négativement votre humeur ou que vous ne sentez pas avoir la confiance de votre patron pour mener cette tâche à bien, le processus de prise de décision risque d’être très énergivore et la décision qui en découle, sous-optimale. On peut difficilement concevoir qu’un conseiller RH puisse faire preuve d’un jugement aiguisé et faire des choix optimaux s’il est démotivé et désengagé.

Levier 1

Les distracteurs peuvent dérouter cette première étape cruciale. Qu’ils se trouvent dans notre environnement de travail (par ex. : notifications apparaissant à l’écran ou interruptions par des collègues) ou dans notre tête (par ex. : ressasser un conflit familial ou s’efforcer de ne pas oublier de prendre un rendez-vous médical), les distracteurs détournent notre attention de la prise de décision. Ainsi distrait, on se retrouve à procrastiner ou à prendre sa décision sans y accorder toute l’attention qu’elle mérite. Le premier levier se situe dans l’ergonomie de notre poste de travail et dans la dynamique de travail avec nos collègues. Au sein d’une équipe, il est possible d’instaurer la règle suivante : si ce qu’on souhaite communiquer à un collègue ne modifiera pas ses priorités le jour même, on lui envoie un courriel plutôt que de l’interrompre dans son flux de travail.

Le saviez-vous?

Prendre une marche vigoureuse avant de prendre une décision peut améliorer le fonctionnement de votre cerveau.

Étape 2

L’étape suivante en est une d’évaluation. Elle consiste à dégager les informations pertinentes à notre disposition, à leur attribuer une importance plus ou moins grande et finalement, à anticiper les risques associés à notre décision. Pour reprendre l’exemple de l’embauche, il faut considérer toutes les données du processus de sélection simultanément : curriculum vitæ, lettres de motivation, résultats psychométriques et entrevues des candidats, compétences exigées en emploi, enjeux du marché de la main-d’œuvre recherchée, etc. De manière encore plus importante, il faut aussi prioriser ces données. Quelle compétence prévaut dans le profil recherché? Vaut-il mieux attendre le candidat idéal ou recruter au plus vite les talents disponibles compte tenu de la pénurie dans certains secteurs? Enfin, quelles seraient les conséquences d’une mauvaise embauche sur mon équipe, mon service ou mon organisation? Il s’agit certainement de l’étape la plus exigeante sur le plan neurocognitif.

Levier 2

Le stress et l’anxiété ont une incidence profonde sur notre habileté à juger des informations qui nous parviennent, et pas seulement au moment de la prise de décision. Vivre du stress de façon chronique et constamment appréhender des répercussions négatives peut même avoir un effet neurotoxique sur les régions du cerveau sollicitées à l’étape d’évaluation.

Étape 3

Une fois la décision prise, une série d’actions doit être mise en branle. Il peut s’agir, par exemple, de communiquer la décision adéquatement à son équipe, de planifier la suite des événements, ou encore de contacter directement le candidat pour lui faire une offre d’emploi. La mise en exécution de ces étapes sollicite le cortex dorsolatéral préfrontal, le siège des fonctions neurocognitives dites de haut niveau. Ce sont les fonctions exécutives qui sont responsables de nos réflexions et comportements les plus complexes, un peu comme le chef d’orchestre qui coordonne l’action de plusieurs processus simples.

Levier 3

L’exercice cardiovasculaire modéré améliore les fonctions exécutives qui nous permettent de nous mettre en action de manière adaptée, flexible et autonome. Comment? En améliorant la circulation sanguine du cortex préfrontal, ce qui permet une meilleure oxygénation et une meilleure diffusion des nutriments aux neurones de cette région du cerveau. Les effets sont mesurables autant à court qu’à moyen terme : prenez une marche vigoureuse le matin avant une décision importante ou pratiquez une activité physique durant 150 minutes par semaine pour en ressentir les effets neurocognitifs bénéfiques.

Étape 4

Intuitivement, lorsque l’action suivant la prise de décision est faite, nous pouvons avoir l’impression qu’elle est terminée. C’est précisément l’erreur que font fréquemment les novices en matière de gestion : ne pas prendre le recul nécessaire pour observer et monitorer la portée de nos choix. Le traitement de la portée consiste en l’analyse volontaire et délibérée des conséquences d’une décision. Le cortex insulaire est le principal acteur lors de cette étape : il supporte l’analyse de la portée qu’ont nos décisions sur les autres humains.

Levier 4

Il peut être difficile, même inconfortable, d’évaluer les conséquences tangibles de notre prise de décision. L’entraînement en présence attentive (pleine conscience) peut soutenir une appréciation neutre (sans minimiser ni être trop sévère) des décisions. Être pleinement engagé dans le présent renforce les capacités d’autocritique et le traitement de la portée, mais cet engagement est un apprentissage en soi. Le yoga, la méditation ou l’utilisation d’applications basées sur les données probantes augmentent l’activité du cortex insulaire.

Avancement professionnel… du cerveau

Contrairement à la croyance populaire, le cerveau ne devient pas figé dans le temps à l’âge adulte. Il est possible d’intervenir pour développer ses fonctions neurocognitives tout au long de notre carrière. On reconnaît de plus en plus la centralité du cerveau lui-même pour l’atteinte d’une performance saine en contexte professionnel. Finalement, c’est le cerveau de tout un chacun qui demeure le moteur d’une santé organisationnelle durable.

 

Références bibliographiques

Pour en savoir plus sur le cerveau humain, son fonctionnement et ses diverses structures : Cliquez ici.


Sofia El Mouderrib

Source : Revue RH, volume 22, numéro 2, avril/mai/juin 2019.