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Main-d’œuvre : réussir une bonne adéquation formation-emploi

S’il y a un consensus sur l’importance de l’adéquation formation-emploi comme approche favorisant le succès et la vitalité des entreprises, plusieurs questions demeurent sur les meilleures pratiques la favorisant.

23 janvier 2020
Renée Michaud, CRHA <br/>Amélie Bernier, CRIA <br/>Jamal Ben Mansour, CRHA

Depuis quelques années, de grandes mutations bouleversent le marché du travail et une attention croissante est accordée à l’adéquation formation-emploi. Dans une enquête récente, 95 % des entreprises sondées jugeaient cette question très importante ou importante, ce qui en fait un enjeu incontournable (Bernier, Michaud et Poulet, 2017). En effet, dès que survient un changement, qu’il soit structurel, organisationnel ou technologique, l’adéquation entre les besoins d’une organisation et les qualifications et compétences des travailleurs (actuels ou potentiels) est susceptible d’être chamboulée. Dès lors, il est nécessaire de rétablir cet équilibre afin d’assurer le succès, la vitalité et la pérennité des entreprises. Si l’État québécois a adopté en novembre 2016 le projet de loi no 70 (2016, chapitre 25) pour favoriser l’adéquation formation-emploi, comment les entreprises s’y prennent-elles?

Définition

Tout le monde parle de l’adéquation formation-emploi, mais parle-t-on tous de la même chose? Cette expression consacrée est utilisée pour faire référence à plusieurs réalités vécues concurremment dans les entreprises et sur le marché du travail (Cedefop, 2010) et requérant des actions différentes. C’est pourquoi l’identification de pratiques favorisant l’adéquation formation-emploi nécessite d’abord d’en distinguer les différentes formes (voir figure ci-dessous).

Les deux premières formes se situent au plan organisationnel, alors que la troisième concerne le volet sociétal. Ces trois formes d’adéquation sont associées à trois types d’écarts :

  1. Écart de qualifications
  2. Écart dans l’utilisation des compétences
  3. Pénurie ou surplus

L’écart de qualifications est issu de la comparaison des qualifications formelles détenues par un travailleur (diplômes, nombre d’années d’expérience) avec les exigences de son emploi, laquelle débouche sur trois scénarios : adéquation, surqualification ou sous-qualification. L’écart dans l’utilisation des compétences compare les exigences d’un emploi avec les compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être) détenues et utilisées par le travailleur dans l’exercice dudit emploi. Dès lors, un employé détenant des compétences qu’il n’utilise pas, mais « qui lui permettraient de réaliser des tâches plus exigeantes » (OCDE, 2011, p. 214), sous-utilise ses compétences et est jugé surcompétent. À l’inverse, un employé qui ne détient pas les compétences nécessaires pour réaliser le travail est jugé sous-compétent. Finalement, l’écart entre les quantités de travail offertes et demandées sur le marché du travail entraîne une pénurie ou un surplus de main-d’œuvre.

Le saviez-vous?

Le fait de ne pas résoudre les écarts de qualifications et d’utilisation des compétences pourrait entraîner une diminution de la satisfaction des employés, une baisse de la productivité et de la compétitivité, ainsi que l’augmentation du taux de roulement.

Dans le contexte actuel du marché du travail, beaucoup d’attention est portée à la troisième forme d’inadéquation, celle portant sur les mouvements de main-d’œuvre sur le marché du travail. La correction de ce type d’écart exige beaucoup de coordination entre les divers intervenants et les résultats dépendent souvent du succès de leur collaboration, ce qui peut parfois s’avérer décourageant. Heureusement, d’autres solutions sont à la portée des entreprises pour répondre aux écarts de qualifications et à ceux reliés à l’utilisation des compétences. En effet, plusieurs stratégies et pratiques de gestion des ressources humaines contribuent à réduire l’inadéquation et, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce ne sont pas que des pratiques de formation et de développement des compétences.

Les pratiques

La littérature regorge de suggestions de pratiques favorisant l’adéquation (Cedefop, 2012; Accenture, 2013; Desjardins, 2014). D’une part, des pratiques orientées vers les travailleurs telles que la dotation (choix des critères de sélection, stratégies de recrutement, programmes d’accueil des nouveaux employés), la formation (revue annuelle des besoins de formation, adoption d’une culture d’apprentissage, offre d’activités de formation, formelles ou non) et la rémunération (rémunération incitative associée aux compétences) contribuent à apparier les employés (et leurs compétences) avec leur emploi et ses caractéristiques. D’autre part, des pratiques orientées vers le contenu du travail telles que l’organisation du travail (assignation des tâches en fonction des compétences, rotation des emplois, accroissement du niveau d’autonomie, travail d’équipe) cherchent à adapter les tâches aux employés.

Une récente étude des auteurs (à paraître), menée auprès de 376 PME du secteur manufacturier au Québec, montre que la mise en œuvre simultanée de certaines pratiques d’adéquation cohérentes contribue à diminuer le nombre de cas de sous-compétence et de surcompétence. Sans surprise, l’offre de formation formelle favorise l’adéquation, mais seulement lorsqu’elle est combinée aux pratiques suivantes de développement des compétences et de dotation :

  • L’adoption d’une culture de formation continue dépasse le seul encouragement à se former et comprend des mécanismes de partage des connaissances, la possibilité d’utiliser les nouveaux apprentissages en situation de travail, le droit à l’erreur et l’octroi de temps et d’argent pour le faire.
  • La gestion des carrières implique l’identification des besoins des employés et la mesure de leur potentiel, le mentorat et l’offre d’affectations temporaires à des postes plus complexes.
  • L’exercice de planification des ressources humaines basée sur les compétences force les entreprises à réfléchir à leurs besoins et à identifier les écarts afin de les minimiser.
  • L’élargissement des bassins de recrutement, en cohérence avec les autres pratiques citées, favorise l’adéquation formation-emploi dans la mesure où elle permet l’embauche d’employés détenant des compétences générales ou transversales qui pourront aisément s’adapter.

Conclusion

Dans plusieurs PME québécoises, ces pratiques d’adéquation permettant de s’adapter aux grandes mutations du marché du travail sont déjà instaurées et leur fréquence d’adoption varie entre 63 et 78 % (Bernier, Michaud et Poulet, 2017). Il est donc essentiel pour les professionnels RH de persévérer dans leur rôle de partenaire stratégique, d’éclairer les choix des dirigeants et de leur recommander l’adoption simultanée de pratiques RH favorisant l’adéquation formation-emploi de manière à renforcer l’agilité de leur organisation.

 

Références bibliographiques


Renée Michaud, CRHA
Amélie Bernier, CRIA
Jamal Ben Mansour, CRHA

Source : Revue RH, volume 22, numéro Hors-série