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Enjeux organisationnels : construire la confiance dans un monde en changement

La confiance envers les organisations publiques et privées est en chute libre partout dans le monde. Cette baisse de confiance généralisée se répercute en milieu de travail et soulève de nouveaux enjeux pour les conseillers en ressources humaines et en relations industrielles.
29 mai 2018
Josiane Roulez

Quelles sont les causes et les conséquences de cette réalité? Et surtout, comment les professionnels RH peuvent-ils y faire face? Des experts partagent leur point de vue.

Selon le rapport mondial Edelman Trust Barometer 2018 publié en janvier dernier, la population générale de la plupart des pays sondés a perdu confiance en ses institutions, présentant un niveau de confiance global de moins de 50 %. Sur 28 pays, seulement huit dépassent la barre des 50 %. Pour sa part, le Canada se situe dans la zone neutre, avec un niveau de confiance global de 49 %. La vaste étude, menée depuis plus de 15 ans auprès de milliers de répondants partout dans le monde, fait ainsi état du niveau de confiance le plus bas depuis la crise financière mondiale de 2007-2008.

Un monde plus instable

Chercheur associé au Conservatoire national des arts et métiers, en France, Laurent Karsenty étudie la confiance au travail depuis plus de 10 ans. Selon lui, cette crise de confiance s’explique par plusieurs facteurs.

« Notre monde est devenu plus incertain, explique-t-il. La mondialisation et l’évolution rapide des technologies entraînent une concurrence beaucoup plus grande. En quelques années à peine, des entreprises peuvent émerger et conquérir de vastes parts de marché. Les dirigeants d’entreprise naviguent à vue et sont souvent forcés d’adapter rapidement leurs stratégies. Par exemple, une organisation peut décider de délocaliser ses activités alors qu’elle n’avait annoncé aucun projet de ce genre. La confiance se trouve constamment menacée par ces changements de cap, car les équipes n’ont plus le contrôle sur leur travail, sur leur avenir. »

La financiarisation de l’économie joue aussi un rôle dans cette perte de confiance. « Les financiers ont racheté beaucoup de sociétés et imposent des exigences de rentabilité. Beaucoup de dirigeants structurent toute l’organisation en fonction de ces objectifs, pour payer les actionnaires. L’humain devient un coût, qu’on cherche toujours à réduire pour augmenter la rentabilité. On supprime des postes et on réduit le nombre de gestionnaires. Les gens sont surchargés. Ils n’ont plus le temps de bien faire leur travail. Ils vivent une perte de sens. »

Le cynisme, ennemi de l’engagement

Cette incertitude et cette déshumanisation mineraient la confiance de beaucoup de travailleurs, non seulement envers leur propre organisation, mais envers tous les employeurs, en particulier dans des secteurs très instables.

La chercheuse et professeure Tania Saba, CRHA, titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal, étudie notamment la confiance dans le cadre de ses travaux sur l’évolution des relations d’emploi. Elle aborde la question par le biais du cynisme, ce sentiment de déception, de désillusion ou même de suspicion qui résulte de la perte de la confiance.

« Les travailleurs ressentent du cynisme lorsqu’ils ont l’impression que des engagements ont été brisés. Il peut s’agir d’engagements explicites ou tacites, comme l’attente de recevoir une augmentation ou d’obtenir une promotion après un certain temps, évoque la chercheuse. Le cynisme est aussi alimenté par ce qui se passe dans l’environnement et par les expériences précédentes. Dans les secteurs précaires, où il y a beaucoup d’incertitude, la confiance envers les organisations est souvent ébranlée. »

Le cynisme a aussi des effets insidieux. « Certains travailleurs peuvent s’enfermer dans un silence passif, souligne Tania Saba. Ils ne s’expriment plus, ne participent plus, et retiennent même de l’information qui aurait pu être utile à l’entreprise. » Désengagés, ils privent l’employeur de leur voix, de leur soutien.

La valeur de la confiance

« De nombreuses études l’ont démontré : sans confiance, on est beaucoup moins efficace et beaucoup plus stressé au travail, résume Laurent Karsenty. Entre autres, on dort moins bien, on mange moins bien, on fait moins bien son travail, on prend plus d’antidépresseurs et on s’absente plus souvent. » Tania Saba mentionne aussi le roulement de personnel, la perte d’employés qualifiés et la baisse de la productivité. Et la liste pourrait s’allonger!

La confiance : essentielle au quotidien en RH

La confiance est au coeur des relations de travail. Sans elle, les CRHA et CRIA ne peuvent accomplir leur mission. Deux professionnels font la lumière sur cet ingrédient essentiel aux pratiques RH.

Ruth Harvey, CRIA, consultante chevronnée en relations du travail, traite des dossiers de négociations collectives et d’arbitrage de griefs pour divers clients. La confiance est incontournable dans son travail. « Dans un climat de confiance, tout est plus simple, explique-t-elle. Les messages passent, les projets se mettent en branle et il est plus facile d’atteindre les objectifs. »

La confiance que lui accordent ses clients est à la base de sa crédibilité et de sa réputation. « Cette confiance repose sur mes compétences, mais aussi sur une chimie qui se crée. D’ailleurs, je travaille avec des clients qui partagent mes valeurs. Je serais incapable de travailler pour quelqu’un qui veut écraser l’autre », affirme celle qui peut intervenir tant auprès de la partie patronale qu’auprès de la partie syndicale, au gré des mandats.

Jonathan Plamondon, CRIA, agent de relations industrielles et médiateur pour le Conseil canadien des relations industrielles, a une vision semblable. « La confiance, c’est l’oxygène dans mon travail, soutient-il. Mon rôle est de rétablir un canal de communication entre deux parties. Sans confiance, c’est tout simplement impossible de parvenir à une entente. »

Bien souvent, le médiateur doit faire face à des situations où la méfiance s’est installée. « Si les personnes arrivent jusqu’à moi, c’est qu’il y a eu beaucoup d’occasions manquées, que bien des tentatives ont échoué, et la confiance est souvent érodée. Je construis alors sur les éléments qui restent, sur les intérêts communs des deux parties. »

La confiance envers les professionnels RH se fonde notamment sur leur capacité à agir dans l’intérêt de chacun. « Si l’on fait son travail de façon honnête et transparente, en cherchant une solution gagnant-gagnant, on récolte souvent la confiance de tous », conclut Ruth Harvey.

À l’inverse, les organisations retirent de grands bénéfices d’un climat de confiance, tout comme les travailleurs. Notamment, les travaux du chercheur américain Paul J. Zak, auteur de l’ouvrage Trust Factor: The Science of Creating High-Performance Companies (2017), révèlent des chiffres saisissants.

Les employés des entreprises où règne une grande confiance rapporteraient 74 % moins de stress, 106 % plus d’énergie au travail, 50 % plus de productivité et 76 % plus d’engagement envers leur organisation que les employés travaillant dans un climat de méfiance. Ils prendraient aussi 13 % de jours de maladie de moins, ressentiraient une satisfaction générale de 29 % plus élevée et présenteraient un taux d’épuisement professionnel de 40 % plus faible. De quoi convaincre les plus sceptiques!

Favoriser la confiance

Pour les professionnels RH, le défi est de taille. Comment faire naître, entretenir ou restaurer la confiance dans un climat généralisé d’incertitude, sinon de méfiance ?

Vers des organisations créatrices de confiance

Donald Riendeau a un parcours pour le moins atypique. Avocat spécialisé dans la gouvernance, la conformité et l’éthique, il a quitté la firme qu’il avait fondée pour mettre sur pied, en 2013, l’Institut de la confiance dans les organisations (ICO). Basé à Montréal, cet organisme à but non lucratif a pour mission de générer des organisations créatrices de confiance. Un objectif dans lequel les RH ont un grand rôle à jouer!

« L’ICO veut devenir un incubateur et un catalyseur de confiance. La confiance traverse tous les aspects d’une organisation. Nous avons donc développé une approche de diagnostic interne et externe complète couvrant six dimensions et 16 ingrédients de la confiance », explique l’avocat, qui vient de cosigner un livre, Trusting Organizations, Les organisations créatrices de confiance.

Deux de ces dimensions, le Vivre ensemble et le Capital humain, s’appuient grandement sur les ressources humaines. Toutefois, pour Donald Riendeau, l’intervention des RH doit aller plus loin.

« Les conseils d’administration sont largement composés de comptables et d’avocats, alors que les ressources humaines représentent à peine 4 à 5 % des membres. Les directeurs RH doivent y jouer un rôle plus actif, car ils sont les mieux placés pour créer l’unité et la confiance dans la direction et pour briser les silos dans l’organisation », affirme l’avocat, qui offre depuis peu des formations en gouvernance à l’Ordre des CRHA.

« La confiance est directement liée aux notions de sécurité et d’équité, affirme Tania Saba. Les professionnels RH jouent donc un grand rôle dans la mise en place de processus justes et équitables. Ils peuvent en faire beaucoup pour assainir les pratiques. Faire preuve de transparence, donner l’heure juste, inviter les employés dans la planification des activités de l’entreprise et encourager l’actualisation des compétences sont autant de gestes qui peuvent favoriser la confiance. »

Laurent Karsenty abonde dans le même sens. Il évoque par ailleurs l’importance de bien gérer le changement, un domaine où les compétences des CRHA et CRIA sont précieuses. « Dans certaines entreprises, on vit une réorganisation presque tous les ans, mais on ne sait pas comment accompagner les gens dans ces transformations », affirme le chercheur, qui a aussi fondé une entreprise de consultation et de formation en gestion, ErgoManagement, dont l’approche est entièrement basée sur la confiance.

Lorsque la méfiance est généralisée dans une organisation, il est bien difficile de la déloger. Restaurer la confiance devient alors un tour de force qui doit se traduire par des efforts à travers toute l’entreprise. Si les professionnels RH ne peuvent pas s’attaquer au problème seuls, ils peuvent toutefois faire beaucoup pour convaincre les gestionnaires de miser sur la confiance.


Josiane Roulez Chef de contenu 37e Avenue

Source : Revue RH, volume 21, numéro 2, avril/mai/juin 2018