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La gestion des romances au travail : Résultats d’une étude québécoise

Une relation amoureuse est à la base une affaire privée, mais elle peut avoir un impact très réel sur l’entourage des gens qui sont en relation, surtout au travail. Comment les employeurs, les gestionnaires et les responsables RH s’y prennent-ils pour gérer les romances au travail tout en respectant le droit à la vie privée ? Voyons ce qu’en disent les études les plus récentes.
30 novembre 2018
Myriam Ritory, CRHA | Sylvie St-Onge, CRHA, Distinction Fellow

Les romances au travail correspondent à des relations mutuelles et consentantes entre employés, impliquant une attraction sexuelle (Pierce et Aguinis, 2009). Aux États-Unis, quelles que soient les études, les pourcentages de répondants disant avoir vécu au moins une romance au travail pendant leur carrière s’avèrent substantiels : 24 % (SHRM, 2013), 38 % (CareerBuilder, 2014) et même 60 % (Vault.com, 2011). Pour plusieurs d’entre eux, la romance implique un partenaire plus haut placé dans l’organisation (24 % selon CareerBuilder, 2014), un patron (20 % selon Vault.com, 2014) ou une personne supervisée (15 % selon Vault.com, 2014).

Plusieurs changements sociodémographiques peuvent expliquer l’importance des relations amoureuses au travail (Mano et Gabriel, 2006; Rabeau, 2007; Riach et Wilson, 2007). D’abord, les milieux de travail présentent une grande mixité des genres et comptent bon nombre de célibataires en raison des mariages tardifs et des divorces. Ensuite, les conditions de travail augmentent la fréquence et la durée des interactions interpersonnelles, donnant plus d’occasions et de liberté de s’engager dans une romance. Pensons, par exemple, aux heures de travail plus nombreuses, aux horaires atypiques et au travail en équipe. De plus, comme les organisations tendent à attirer et à embaucher des personnes qui partagent des expertises, des attitudes et des valeurs semblables, il y a plus de chances de trouver l’âme sœur au travail, surtout pour les personnes ayant la même profession, la similarité étant un facteur d’attraction. Des auteurs constatent d’ailleurs que le milieu de travail s’avère le meilleur endroit pour rencontrer un futur partenaire (Losee et Olen, 2007) et que les couples qui travaillent au même endroit ont deux fois moins de risques de divorcer (Boyd, 2010). La culture d’un pays peut aussi avoir un effet. En Europe particulièrement, les romances au travail tendent à être perçues comme plus normales, courantes et inévitables, alors qu’aux États-Unis, elles sont socialement plus prohibées ou désapprouvées (Boyd, 2010).

Devant la fréquence accrue des romances au travail, les employeurs se sentent souvent démunis et se disent particulièrement préoccupés par les possibles impacts négatifs des romances dont, entre autres, les plaintes de favoritisme, les plaintes de harcèlement sexuel ou psychologique, les plaintes de représailles, les poursuites contre l’organisation, le partage d’informations confidentielles, les rumeurs et les distractions au sein des équipes (SHRM, 2013). L’étude par questionnaire que nous avons menée auprès des professionnels de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec visait à répondre au besoin de connaissances sur le sujet. Au total, 150 questionnaires ont été entièrement remplis et retenus. Les répondants travaillent pour des organisations de tailles variées, de divers secteurs d’activité, dont les taux moyens de mixité femmes-hommes sont de 45 % à 55 %, et dont près de 70 % ont une partie de leur personnel qui est syndiqué. Les répondants occupent principalement des postes de conseillers ou de coordonnateurs RH (41 %), de cadres supérieurs ou dirigeants RH (30 %) et de superviseurs, de chefs d’équipe ou de directeurs RH (21 %). Ce texte présente certains résultats clés de notre étude (St-Onge et Ritory, 2015) ainsi que ceux d’autres études menées aux États-Unis.

Devant la fréquence accrue des romances au travail, les employeurs se sentent souvent démunis et se disent particulièrement préoccupés par les possibles impacts négatifs des romances.

La présence et la formalisation de politiques sur les romances au travail

Notre étude montre que près de 40 % des professionnels RH répondants gèrent les romances au travail sur la base d’une politique informelle alors que 12 % les gèrent sur la base d’une politique formelle. Aux États-Unis, ce sont 36 % des employeurs qui ont une politique formelle et 6 % qui ont une politique informelle (SHRM, 2013). Le fait que les organisations américaines tendent à formaliser davantage leur approche peut s’expliquer par le pouvoir accru dont elles disposent sur le plan du droit du travail et par une culture plus puritaine (Boyd, 2010). Au Québec comme aux États-Unis, ce sont les romances entre un supérieur et un subordonné qui sont les plus suivies et balisées puisqu’elles sont plus susceptibles d’être associées à des octrois de privilèges, des conflits d’intérêts, des abus de pouvoir, etc. Aux États-Unis, 99 % des organisations qui disposent d’une politique formelle sur les romances interdisent les romances entre un supérieur et un subordonné et 45 % les interdisent entre des employés ayant des différences importantes de niveau hiérarchique (SHRM, 2013).

Ce sont les romances entre un supérieur et un subordonné qui sont les plus suivies et balisées puisqu’elles sont plus susceptibles d’être associées à des octrois de privilèges, des conflits d’intérêts, des abus de pouvoir, etc.

Les pratiques de gestion concernant les romances au travail

Nos résultats montrent que devant les romances au travail, les professionnels RH recourent à cinq grandes pratiques, incluant le suivi, les conseils, les mesures visant à contrôler ou faciliter les romances, et les mesures disciplinaires.

  1. Le suivi : la gestion au cas par cas

    Selon les professionnels RH répondants, l’approche la plus utilisée consiste à exercer un suivi en appliquant des règles telles que : ne rien faire tant qu’il n’y a pas de problème, suivre la performance des employés en cause, tenter de prévenir les conflits entre eux et discuter des comportements et des règles à respecter. Ce suivi prudent s’avère cohérent avec le fait qu’aux yeux des employés et des employeurs, la plupart des cas de romances au travail apparaissent sincères, marqués par l’amour et de longue durée (Dillard et al., 1994 ; Pierce et Aguinis, 2009). Aux États-Unis, une étude menée auprès de professionnels RH montre que plus de la moitié des employés impliqués dans une romance se sont mariés ou sont devenus des conjoints à long terme (SHRM, 2013). Les employeurs reconnaissent aussi que les romances peuvent avoir des effets positifs sur la performance et l’engagement des employés (p. ex. : Devine et Markiewicz, 1990 ; Pierce et al., 1996, 1997, 2001, 2003, 2009).

  2. Les conseils

    Les professionnels RH consultés disent aussi adopter une approche orientée vers les conseils offerts aux employés impliqués dans une romance au travail et à leurs supérieurs ou collègues. Ils peuvent aussi proposer de consulter des experts internes ou du programme d’aide aux employés. Aux États-Unis, le counseling est aussi l’une des deux pratiques les plus fréquemment adoptées à l’égard des romances au travail (SHRM, 2013). Certaines organisations tentent de sensibiliser et former les cadres sur le sujet afin qu’ils interviennent mieux ou évitent des bévues. En effet, le counseling offert par les cadres comporte des limites et ceux-ci doivent contacter le plus rapidement possible les experts RH ou d’autres ressources pour être appuyés (St-Onge et al., 2012, 2013).

  3. Les mesures administratives visant à contrôler les romances au travail

    Les professionnels RH participants indiquent que leur employeur recourt aussi à diverses mesures administratives liées aux lieux, aux horaires ou au temps de travail. Par exemple, l’éloignement d’un des partenaires impliqués ou l’attribution d’horaires de travail différents. Similairement, aux États-Unis, les professionnels RH disent faire appel au transfert dans un autre service (34 %) ou au changement de poste au sein du service (20 %). Les professionnels RH du Québec soulignent aussi que les romances peuvent être prises en compte dans certaines décisions. Par exemple, les décisions de promotion ou de transfert impliquant des déplacements à l’étranger tiendront compte du fait qu’un employé est en relation avec une personne au travail. Aussi, ils prendront des décisions afin d’éviter que les employés en romance se trouvent en lien hiérarchique direct ou en position de conflit d’intérêts.

  4. Les mesures administratives visant à faciliter les romances au travail

    Alors que, traditionnellement, les organisations ont eu tendance à défavoriser les romances au travail, il semble qu’un certain nombre ont su s’adapter et décident même d’en faire un atout distinctif. Une entreprise peut tirer avantage d’avoir des « employés en couple », ceux-ci étant plus susceptibles de choisir l’entreprise, moins portés à la quitter et plus enclins à accepter une mutation touchant les deux membres du couple. Interrogés sur de telles pratiques de gestion facilitantes, les professionnels RH qui ont participé à notre étude disent permettre aux employés impliqués dans une romance de travailler ensemble, avec les mêmes horaires et les mêmes vacances, allant jusqu’à favoriser les candidats « en couple » dans les décisions d’embauche et de transfert.

  5. Les mesures disciplinaires

    Au Québec et ailleurs au Canada, comme en France et dans plusieurs États américains, les gouvernements ont adopté des lois contre le harcèlement (psychologique, moral, sexuel) ou l’intimidation en milieu du travail. Ainsi, l’employeur a l’obligation d’offrir aux employés des conditions de travail justes et raisonnables et de veiller à leur bien-être, à leur sécurité et au respect de leur dignité et de leur intégrité physique et psychologique. Par conséquent, des mesures à caractère disciplinaire doivent être appliquées lorsqu’une romance contrevient à des lois ou à des politiques en place, notamment celles visant à protéger la confidentialité des informations et à contrer le harcèlement et les conflits d’intérêts. Alignés sur ces impératifs légaux et organisationnels, les professionnels RH répondants disent aussi devoir prendre des actions telles que mettre fin à l’emploi ou demander la démission ou le départ d’un des partenaires, surveiller les échanges d’informations entre eux, etc. Aux États-Unis, interrogés sur les mesures disciplinaires touchant les employés impliqués dans une romance au travail, des professionnels RH mentionnent avoir eu recours à la réprimande écrite, au congédiement, au retrait d’un poste de supervision et à la suspension (SHRM, 2013).

Pourcentage de professionnels qui vivent une romance au travail aux États-Unis

  • Avec un partenaire plus haut placé dans l’organisation : 24 %
  • Avec un patron : 20 %
  • Avec une personne supervisée : 15 %

Conclusion

Cette étude montre que, face aux romances au travail, les employeurs du Québec adoptent une variété de pratiques telles que le suivi, les conseils, les mesures visant à contrôler l’ampleur des romances, à les faciliter et à discipliner. Des études futures gagneraient à tenir compte du secteur d’activité, vu que des enquêtes montrent que les romances sont plus fréquentes dans les loisirs et l’hôtellerie, les services publics, les technologies de l’information et les transports (CareerBuilder, 2014).

Les auteures remercient la Direction de la recherche de HEC Montréal pour l’aide financière accordée à cette étude.

Références / Pour aller plus loin

  • BOYD, Colin (2010, décembre). « The debate over prohibition of romance in the workplace ». Journal of Business Ethics, vol. 97, no 1, p. 325-338.
  • CareerBuilder (2014). « Thirty-eight percent of workers have dated a co-worker, finds CareerBuilder Survey »..
  • DEVINE, Irene et Dorothy Markiewicz (1990, avril). « Cross-sex relationships at work and the impact of gender stereotypes ». Journal of Business Ethics, vol. 9, no 4, p. 333-338.
  • DILLARD, James P., Jerold Hale et Chris Segrin (1994, janvier). « Close relationship in task environments: perceptions of relational types, illicitness, and power ». Management Communications Quarterly, vol. 7, no 3, p. 227-255.
  • LOSEE, Stephanie et Helaine Olen (2007). Office Mate. The Employee Handbook for Finding – and Managing – Romance on the Job. Avon, Adams Media Corporation, 236 pages.
  • MANO, Rita et Yiannis Gabriel (2006, janvier). « Workplace romances in cold and hot organizational climates: the experience of Israel and Taiwan ». Human Relations, vol. 59, no 1, p. 7-35.
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  • PIERCE, Charles A. et Herman Aguinis (2003, juillet). « Romantic relationships in organizations: a test of a model of formation and impact factors ». Management Research, vol. 1, no 2, p. 161-169.
  • PIERCE, Charles A. et Herman Aguinis (2009, mai). « Moving beyond a legal-centric approach to managing workplace romances: organisationally sensible recommendations for HR Leaders ». Human Resource Management, vol. 48, no 3, p. 447-464.
  • PIERCE, Charles A., Don Byrne et Herman Aguinis (1996, janvier). « Attraction in organizations: a model of workplace romance ». Journal of Organizational Behavior, vol. 17, no 1, p. 5-32.
  • RABEAU, Marie-Claude (2007). Les romances dans l’organisation : transformation des relations intimes et identité de soi à l’ère de la modernité avancée (Proposition de thèse de doctorat). HEC Montréal.
  • RIACH, Kathleen et Fiona M. Wilson (2007, mars). « Don’t screw the crew: exploring the rules of engagement in organizational romance ». British Journal of Management, vol. 18, no 1, p. 79-92.
  • SHRM (2013, 24 septembre). SHRM Survey Findings: Workplace Romance (Rapport no 06-0019).
  • ST-ONGE, Sylvie (2012). Gestion de la performance. Montréal, Chenelière Éducation, 398 pages.
  • ST-ONGE, Sylvie, Sylvie Guerrero, Victor Haines et Jean-Pierre Brun (2013). Relever les défis de la gestion des ressources humaines. Montréal, Chenelière Éducation, 472 pages.
  • ST-ONGE, Sylvie et Myriam Ritory (2015). « Pratiques de gestion des romances au travail : analyse des résultats d’une étude menée au Canada ». Management et sciences sociales, no 18, p. 38-62.
  • Vault Careers (2014, 12 février). « Love is in The Air: Vault’s 2014 Office Romance Survey ». Vault.com.

Myriam Ritory, CRHA Directrice, Ressources Humaines Ville de Beaconsfield

Sylvie St-Onge, CRHA, Distinction Fellow Professeure titulaire, Département du management HEC Montréal

Source : Revue RH, volume 21, numéro Hors-série