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Contrer le harcèlement : une affaire d’équipe avec en son centre le gestionnaire de proximité

Face à la recrudescence des signalements et des plaintes en matière de harcèlement en milieu de travail, tout employeur se doit d’agir promptement (diligence) pour faire la lumière sur la situation rapportée tout en protégeant les détails et l’identité des personnes concernées (confidentialité).
30 novembre 2018
Romeo Aguilar Perez, CRHA | Frédéric Henri, CRIA

Qu’ils œuvrent au sein d’une organisation ou à titre de consultants, les professionnels CRHA sont souvent appelés à agir en tant que gestionnaires ou enquêteurs. La protection des droits fondamentaux des personnes concernées, les réclamations et les litiges pouvant découler de l’enquête, ainsi que la possibilité que le dossier devienne médiatisé ou prenne une tangente politique font de la gestion d’un tel dossier un mandat délicat et souvent complexe, d’où l’importance qu’il soit mené selon les règles de l’art.

Cela implique pour le CRHA qu’il doit gérer la situation conformément aux normes de déontologie auxquelles il est soumis, dont le Code de déontologie, mais également le Code de conduite en matière d'enquête interne à la suite d'une plainte pour harcèlement au travail (le « Code en matière d’enquête »), adoptés par l’Ordre des CRHA. Les dispositions contenues dans ces codes mettent en exergue deux éléments clés, voire fondamentaux, pour la tenue d’une enquête en matière de harcèlement au travail, soit la diligence et la confidentialité. Ces deux éléments devraient aussi guider les CRHA dans leur gestion des dossiers, leur rédaction des rapports et leurs politiques en matière de prévention du harcèlement.

La diligence et la confidentialité

Il va de soi qu’en matière de harcèlement, l’employeur et toutes les personnes concernées sont tenues de faire preuve de diligence et de confidentialité dans le traitement et la gestion du dossier. L’obligation d’agir de façon diligente tout en préservant la confidentialité en matière d’enquête incombe également, et à plus forte raison, à l’enquêteur mandaté pour faire la lumière sur les dénonciations.

Dix ans après l’entrée en vigueur des dispositions sur le harcèlement psychologique contenues dans la Loi sur les normes du travail (« L.N.T. »), la Commission des normes, de l’équité et de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST », autrefois la CSST) dressait en 2014 un bilan qui révèle notamment que les personnes plaignantes endureraient des situations de harcèlement sur une période 55 semaines en moyenne (source : Le harcèlement psychologique au travail 2004-2014, Commission des normes du travail, 2014). Au regard de cette statistique, il semble évident qu’après une telle période, le traitement d’un signalement ou d’une plainte doit être effectué promptement, et ce, d’autant plus que l’employeur a une obligation de prévenir le harcèlement.

En matière de harcèlement, l’employeur et toutes les personnes concernées sont tenues de faire preuve de diligence et de confidentialité dans le traitement et la gestion du dossier.

La L.N.T. prévoit que l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour faire cesser une conduite de harcèlement psychologique lorsque celle-ci est portée à sa connaissance. De ce fait, comme le souligne Me Guy Poirier dans l’ouvrage collectif que nous venons de citer, l’employeur est tenu d’agir avec diligence et prudence en prenant les moyens appropriés. Selon Me Guy Poirier, « le temps est la meilleure garantie du succès d’une enquête ».

Abondant dans le même sens, l’auteure Suzanne Mussely Gosselin mentionne que lorsque le processus s’étire en longueur, cela crée d’importants inconvénients sur plusieurs plans. Il sera peut-être nécessaire de séparer les personnes directement concernées. La personne plaignante en viendra peut-être à s’absenter pour cause de maladie en alléguant que son absence est provoquée par ce qu’elle vit au travail. Pour la personne visée, l’étiquette de « harceleur » planera sur elle pendant toute la durée de la démarche et la machine à rumeurs s’emballera.

En matière de confidentialité, il importe de rappeler que l’enquêteur CRHA est soumis à des obligations de confidentialité et de secret professionnel dans l’exercice de ses fonctions. D’ailleurs, tant le Code de déontologie que le Code en matière d’enquête prévoit que le CRHA doit agir de manière à assurer la confidentialité. Rappelez-vous que selon l’Ordre, « le respect de la confidentialité, cela signifie aussi que le professionnel agréé assure en tout temps la protection adéquate des données contenues dans ses dossiers, qu’il conserve dans un endroit sécuritaire, à l’abri de toute utilisation injustifiée » (Code de déontologie).

En effet, dans le cadre de son mandat, le CRHA doit se rappeler que la personne plaignante, tout comme la personne mise en cause et même les témoins, ont droit à la discrétion et à la protection de leurs réputations. Tant la personne plaignante que la personne mise en cause ont droit à la confidentialité afin de ne pas être victimisées ou jugées d’avance, ou afin d’être protégées de toutes représailles. La confidentialité n’équivaut toutefois pas à l’anonymat. En d’autres termes, un plaignant ou un témoin ne peut pas exiger l’anonymat en invoquant la confidentialité.

La diligence et la confidentialité ont aussi pour effet de limiter les impacts du signalement, de la plainte ou de l’enquête sur le milieu de travail.

Conséquemment la confidentialité devrait notamment viser :

  • Les signalements, la plainte et les allégations
  • L’identité des personnes concernées
  • Le contenu des échanges lors des entrevues, sous réserve de ce qui est requis pour mener l’enquête et gérer la situation.
  • Le rapport

Le CRHA doit se rappeler que la personne plaignante, tout comme la personne mise en cause et même les témoins, ont droit à la discrétion et à la protection de leurs réputations.

Les étapes du processus d’enquête

L’enquête en matière de harcèlement en milieu de travail comporte les étapes suivantes :

  1. L’analyse du signalement ou de la plainte
  2. La convocation aux entrevues d’enquête
  3. Les entrevues d’enquête
  4. La remise du rapport d’enquête

L’analyse du signalement ou de la plainte

La diligence suppose tout d’abord de se référer au cadre normatif applicable chez l’employeur afin de connaître, le cas échéant, les étapes et les délais en matière d’enquête. Les premières sources à consulter devraient être la politique, les guides internes ou la convention collective. À ce sujet, toute politique interne devrait comprendre des normes claires de traitement des signalements ou des plaintes de manière à encadrer le processus. Il importe également de s’assurer que les signalements ou les plaintes soient faits auprès de la bonne personne, à défaut de quoi des délais supplémentaires pourraient être encourus et l’affaire ébruitée. À cet égard, il est recommandé de désigner un répondant à la politique. Il arrive parfois que l’employeur ne possède aucune politique encadrant le processus d’enquête. Pour être diligent, l’employeur devra agir dans un délai raisonnable qui sera déterminé en fonction de la complexité du dossier, de la disponibilité des personnes concernées et du respect des intérêts de celles-ci. De manière générale, un délai d’enquête de 45 jours apparaît raisonnable.

Les entrevues d’enquête

Selon le Code en matière d’enquête, l’enquêteur convoque les parties en leur donnant un délai raisonnable avant l’entrevue pour leur permettre de se préparer adéquatement, et dans le cas de la personne mise en cause, l’informe par écrit des allégations qui la visent. Il faudra s’assurer, lors de la transmission des allégations, que la personne mise en cause ait déjà convenu du respect des normes de confidentialité.

Lors de l’enquête, il importe que l’enquêteur s’assure que le choix du lieu pour tenir les entrevues soit propice à la sérénité et à la discrétion.

Au tout début de l’entrevue, l’enquêteur explique aux parties et aux témoins l’importance de préserver la confidentialité au cours de l’enquête et les avise qu’ils ne doivent pas discuter du dossier entre eux. L’enquêteur fait signer un engagement de confidentialité aux participants et, le cas échéant, à leurs accompagnateurs.

La production et la remise du rapport d’enquête

Dans un délai raisonnable après la conclusion de l’enquête, soit un délai d’environ quinze jours ouvrables, l’enquêteur remet son rapport à l’employeur.

La confidentialité du rapport d’enquête est essentielle au maintien de la crédibilité d’un processus d’enquête. Par conséquent, seules les personnes autorisées devraient y avoir accès et s’engager à en préserver la confidentialité. Les enquêteurs ne doivent remettre leur rapport qu’à leur mandant tout en leur recommandant d’en limiter la communication.

Attention : bien qu’il faille préserver la confidentialité du rapport d’enquête, l’enquêteur devrait éviter de garantir la confidentialité totale du rapport d’enquête. En effet, la Commission d’accès à l’information, saisie d’une demande d’accès au rapport, pourrait aller jusqu’à ordonner la communication, en tout ou en partie, du rapport d’enquête.

Si le mandat prévoit qu’il est responsable du suivi, l’enquêteur communique rapidement avec les parties après la fin de son enquête afin de les informer de ses conclusions ; encore là, en limitant la divulgation des informations au strict nécessaire afin de respecter les droits des parties et de préserver la confiance dans le processus.

Conclusion

Au regard de ce qui précède, il ressort que le gestionnaire CRHA doit faire preuve de diligence et préserver la confidentialité tout au long du processus. Afin d’agir en amont, il est ainsi recommandé de décliner ces normes aux différents outils internes, ainsi que de bien les communiquer.

La confidentialité devrait viser :

  • Les allégations;
  • L’identité des personnes impliquées;
  • Le contenu des entrevues;
  • Le rapport.

Les pièges à éviter en matière de gestion des signalements :

  • Ne pas respecter la politique.
  • Remettre à plus tard des actions à poser.
  • Divulguer de l’information sans motif.
  • Suspendre l’enquête dès qu’une personne est absente.

La confidentialité est la pierre angulaire du traitement des signalements de harcèlement, mais elle n’est pas synonyme d’anonymat. Le CRHA devrait ainsi se garder de promettre aux participants que toute information demeurera confidentielle car en effet, la gestion du signalement demandera, en cours de processus ou à la fin, de communiquer certaines informations.

Les meilleures pratiques concernant la diligence et la confidentialité :

  • Encadrer la gestion par une politique qui prévoit des délais et des normes de confidentialité.
  • Nommer un répondant interne pour tout signalement.
  • Obtenir des témoignages de façon contemporaine aux événements.
  • Faire signer des engagements de confidentialité.
  • Discuter du dossier uniquement cas de nécessité.
  • Ne pas garantir la confidentialité totale des déclarations ou du rapport d’enquête.

Effets positifs du respect de la confidentialité :

  • Diminue les craintes des employés.
  • Encourage les dénonciations.
  • Évite les représailles et les effets négatifs sur le climat de travail.
  • Rehausse la crédibilité des témoignages des participants.

Références / Pour aller plus loin

Quelques suggestions pour aller plus loin :


Romeo Aguilar Perez, CRHA Avocat Langlois avocats

Frédéric Henri, CRIA Président Facteur H légal

Source : Revue RH, volume 21, numéro Hors-série