ressources / revue-rh / volume-20-no-4

Le cas Régitex : L’entreprise réinventée, sans patron et libérante

Il y a de ces personnes qui influencent grandement leur milieu et qui incarnent bien le moteur humain des affaires. La quête d’authenticité de Lisa Fecteau, propriétaire de Groupe Régitex inc., l’a amenée à mettre en place un modèle d’entreprise peu connu, ici comme ailleurs. Son témoignage, qui engage à la réflexion, nous a permis de découvrir de nouveaux horizons pour les ressources humaines.

1 novembre 2017

Revue RH – Est-ce que l’étiquette «sans patron» est la bonne pour définir Régitex?

Lisa Fecteau – Oui. Régitex est une entreprise avec un organigramme plat. Au début, on appelait ça une « entreprise en collégialité ». Maintenant, on appelle ça une entreprise libérante parce qu’elle libère le potentiel des gens à tous les niveaux.

RH – Comment en êtes-vous arrivés à une structure aplatie, sans hiérarchie?

LF – Aller jusqu’au bout de la collégialité nous a menés à opter pour la structure plate. C’est important d’avoir une structure, mais nous opérons selon un autre modèle pour faciliter les décisions d’équipe et responsabiliser les gens. Notre nouvelle structure nous permet de miser sur la confiance et de la renforcer.

En fait, j’ai toujours cru au travail d’équipe. On entend souvent dire : « Pour moi, mes ressources humaines, c’est important. » C’est beau à dire, mais dans l’action, comment s’y prend-on pour vraiment travailler en équipe? J’étais curieuse de voir comment on peut vraiment faire ça. Je voulais comprendre et trouver un moyen d’y arriver.

RH – Pourquoi en être venu à une organisation sans patron?

LF – Parce que j’étais fatiguée de prendre seule toutes les décisions importantes pour l’entreprise.

Je suis allée au World Business Forum à New York en 2009. Les discussions et le climat y étaient étonnamment très humains. Je m’y suis retrouvée en présence de grands dirigeants de compagnies telles que Burberry, Starbucks et GE. J’y ai rencontré Patrick Lencioni, qui a écrit le livre The Five Dysfunctions of a Team. La première strate proposée par Lencioni repose sur la confiance. Ce livre m’a permis de me questionner sur comment bâtir la confiance dans l’entreprise, mais surtout sur comment bâtir ma propre confiance en l’entreprise et en mes gens. C’est ensuite que j’ai commencé à mettre la confiance en place dans l’entreprise.

RH – Avez-vous eu des modèles pour vous inspirer?

LF – Frédéric Laloux, qui a écrit sur l’entreprise libérée et que j’ai rencontré en personne. J’ai aussi découvert qu’il y avait plusieurs autres entreprises comme la nôtre dans le monde : en France, en Belgique, aux États-Unis, au Danemark, etc.

RH – Quels sont les signes ou les indicateurs qui vous ont convaincu d’explorer les possibilités de l’entreprise libérante?

LF – Tout malaise est important pour moi. Si une personne a un malaise, l’organisation aussi a un malaise. La confiance est liée au fait d’être à l’aise de nommer ce qu’on ressent et ce qui peut nuire à notre capacité d’être productif.

J’ai commencé à réfléchir à une nouvelle façon de faire suite à un grand malaise que j’ai vécu après des rencontres avec tout mon monde en petits groupes de huit à dix personnes... Je rencontrais les gens pour mieux les connaître, mieux communiquer ensemble, comprendre comment ils pensent et recevoir leurs idées. Après cinq rencontres, ma frustration est montée parce que je commençais à comprendre que les gens avaient plein d’idées qui avaient beaucoup de sens, mais qu’on ne les écoutait pas.

Je me suis donc tournée vers mes directeurs, mais j’ai compris que c’était une mission impossible, pour une seule personne, d’écouter et de traiter les besoins et les idées de tout le monde. C’était trop lourd, et parfois contradictoire. Il fallait trouver un moyen de mettre en commun les discussions et de les faire vivre dans l’entreprise.

Après un certain temps, j’ai décidé de quitter l’entreprise pendant trois mois. J’ai réalisé que je limitais les équipes. J’étais passionnée et engagée, mais je prenais trop de place par rapport aux autres. J’avais du travail à faire sur moi-même. Je suis donc partie pour prendre du recul. Ce choix a permis à l’équipe d’avoir du temps et de l’espace pour se déployer.

RH – Quel rôle a joué le service RH dans la transformation de la culture d’entreprise chez Régitex?

LF – La responsable des RH a joué un rôle important dans cette transformation.

D’abord, elle devait piloter la planification stratégique pour mettre en place la collégialité. Au début, ce n’était pas facile de trouver la bonne façon de faire. Mais après une retraite d’une semaine avec moi, elle est revenue avec une piste d’action. Elle voyait ce que je voulais atteindre.

Ensuite, on a mis en place le processus. On a mis en place des règles portant sur ce qui fonctionnait bien. Puis, on a instauré ces règles dans les équipes.

Nous avons décidé d’abolir le comité de direction ainsi que tous les titres dans l’entreprise. La collégialité nous permettait de prendre les bonnes décisions, sans titre ni hiérarchie, et nous avons assumé ce constat jusqu’au bout. On a refait les équipes à partir des fonctions essentielles à l’entreprise. On a aussi attribué les responsabilités selon l’intérêt qu’avaient les gens. On a permis à des gens ayant des fonctions différentes de se rassembler sur la base de leurs intérêts et de prendre les décisions ensemble dans un groupe multidisciplinaire.

RH – Quel rôle reste-t-il à l’ancienne responsable des RH lorsqu'il n'y a pas de gestionnaires?

LF –Le rôle de l’ancienne responsable des RH s’est transformé en celui de coach. Les responsabilités sont les mêmes, mais c’est chaque équipe qui recrute, gère les conflits et gère les vacances selon ses besoins. Lorsque des gens s’adressent à l’ancienne responsable des RH pour qu’elle décide, elle les accompagne pour faciliter la prise de décision en équipe. Par exemple : ce sont les équipes elles-mêmes qui choisissent les outils et les candidats. Les gens comprennent la valeur et le sens de ce qu’ils font chaque jour.

RH – À quel profil d’employé l’entreprise libérante convient-elle?

LF – L’entreprise libérante convient à tous les profils puisque nous sommes à l’écoute des besoins de chacun. Deux personnes seulement ont quitté l’entreprise depuis notre changement de culture, dont une qui a communiqué clairement son besoin d’avoir du pouvoir. C’est correct ainsi, mais notre nouvelle culture est basée sur la confiance et non plus sur le pouvoir autoritaire.

RH – L’entreprise est sans patron depuis combien de temps?

LF – Depuis trois ans. Ça a été un long chemin, un grand processus. Mais les gens ne veulent pas revenir en arrière, même si certains aimeraient encore avoir un patron. Les étapes franchies sont significatives pour tous.

RH – Quels sont les gains de l’entreprise libérante?

LF – La transparence, le respect, la confiance, l’écoute, la collégialité, les décisions partagées, l’entraide, la considération des autres, la méditation, la reconnaissance et la gratitude.

En plus des aspects qualitatifs qui caractérisent le climat de travail, l’entreprise fonctionne 24 heures sur 24 et les affaires vont bien.

RH – Quels sont les apprentissages tirés de cette transformation?

LF – Je suis pleinement présente et créative. Le fait de travailler en collégialité, avec authenticité et gratitude, nous permet de voir venir la prochaine étape à franchir. Mais surtout, nous avons appris qu’il faut prendre le temps… de prendre le temps! C’est un mode de vie, une aventure sans fin.

L’entreprise libérante permet plus de :

  • transparence
  • respect
  • confiance
  • écoute
  • collégialité
  • décisions partagées
  • entraide
  • considération des autres
  • méditation
  • reconnaissance
  • gratitude

Source : Revue RH, volume 20, numéro 4, novembre/décembre 2017