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Mouvement syndical : acteur passif de l'émergence des Autochtones sur le marché du travail

Les stratégies d'intégration et de maintien des Autochtones en emploi ne sont pas une création du mouvement syndical. Les Autochtones livrent un combat en parallèle des combats du mouvement ouvrier qui est pourtant sensible aux causes de la plupart des groupes négligés, mais pas les causes des Autochtones.

1 avril 2017
Gilbert Leblanc, CRHA

Il existe peu ou pas d'études ou de documentation qui font un lien entre les efforts des Autochtones à intégrer le marché du travail et s'y maintenir en emploi avec de quelconques efforts de représentation en leur faveur par le mouvement syndical. Entre les deux mouvements, il n'y a pas de relation. Ils ne se retrouvent pas à discuter autour d'une même table.

Le présent texte fera d'abord un survol rapide de l'histoire du mouvement syndical et de ses luttes, et dans un deuxième temps, un survol tout aussi rapide de l'histoire des Autochtones et de leurs stratégies d'intégration au marché du travail et de maintien en emploi. En troisième lieu, nous aborderons les raisons de l'indépendance des deux combats. Et en conclusion, nous suggérerons une avenue basée sur le respect mutuel favorisant le rapprochement entre les deux mouvements.

La courte histoire du mouvement syndical québécois et ses luttes

Depuis ses débuts au 19e siècle jusqu'à aujourd'hui, le mouvement syndical québécois associe les luttes ouvrières à différentes luttes sociales, par exemple la lutte en faveur des droits nationaux des Canadiens français comme peuple distinct.(1) Le mouvement syndical fait des liens avec les luttes des immigrants pauvres en provenance de contrées anglophones comme l'Irlande, l'Écosse et l'Angleterre, lesquels immigrants convoitent les mêmes emplois que les Canadiens français, ce qui crée une source de tension. Mais au-delà de ces tensions entre anglophones et francophones, il y a la lutte commune des deux groupes en vue d'obtenir de meilleures conditions de travail dans une économie en transformation qui s'industrialise.

Tour à tour, il y a la lutte contre le travail des enfants qui est liée au phénomène du manque généralisé d'instruction et la lutte pour l'instruction obligatoire et gratuite. Dans le milieu syndical, on dénonce volontiers les logements exigus et insalubres et la mortalité infantile pendant qu'on réclame haut et fort la gratuité des soins de santé. Par la suite, il y a toute la panoplie de questions touchant le droit d'association, la santé et sécurité au travail, l'équité salariale entre les hommes et les femmes donnant naissance à différentes lois : Code du travail, Loi sur la santé et la sécurité du travail et Loi sur l'équité salariale.

Le rapport de force des travailleurs et travailleuses regroupés permettra des gains plutôt modestes au début du mouvement ouvrier, mais une amélioration notable des conditions de travail et des conditions sociales, lesquelles conditions sociales se traduisent par le filet social dont tous les Québécois bénéficient aujourd'hui. Il est admis par tous les acteurs économiques que les syndicats ont contribué grandement à améliorer la société. Bravo!

La moins courte histoire des Autochtones et leurs stratégies d'intégration au marché du travail et de maintien en emploi

La présence des Autochtones en Amérique est plusieurs fois millénaire. Ils occupaient le territoire, vivant en nomades des fruits de la chasse, de la pêche et de la cueillette de fruits et plantes.

À l'arrivée des Français, le commerce avec les « Indiens d'Amérique » se développe. Il se crée entre les deux civilisations un esprit de coopération dans la partie nord de l'Amérique du Nord, connue aujourd'hui comme le Canada, en raison notamment des conditions climatiques plus froides, ce qui donne l'occasion aux Autochtones d'aider les nouveaux arrivants à s'adapter pour survivre, et grâce également à leur excellente connaissance du territoire.

La victoire des Anglais sur les Français en 1760 ne signifie aucunement que les Autochtones ont été conquis. L'Acte de capitulation de Montréal de 1760 et la Proclamation royale de 1763 protègent les terres des Indiens.(2) De plus, après la guerre d'indépendance aux États-Unis de 1775 à 1783, les 33loyalistes installés au Canada pour repousser la menace américaine, ont pu compter sur l'aide des Autochtones qui ont toujours conservé leurs droits sur le territoire.

La Loi constitutionnelle de 1867 donne au gouvernement canadien l'autorité exclusive de légiférer sur les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. La Loi sur les Indiens est édictée en 1876. Cette loi définit qui est Indien et prévoit certains droits et incapacités pour les Indiens enregistrés. En d'autres termes, les Indiens vivant dans une réserve ont des droits différents des autres citoyens. Ils sont aussi privés de certains droits.

Malgré plusieurs tentatives d'assimilation tels l'épisode des pensionnats indiens du milieu du 20e siècle et les propositions du Livre blanc de 1969 par le gouvernement canadien, les Autochtones résistent et s'organisent pour faire valoir leurs droits. Différents traités plus que centenaires tels ceux mentionnés ci-haut sont encore reconnus et plusieurs jugements de la Cour Suprême du Canada confirment leurs droits.

Parmi les jugements les plus importants figure la Décision Haïda(3) sur l'obligation de consulter les communautés autochtones. Ce jugement met la table à d'éventuelles ententes commerciales entre une communauté autochtone et une entreprise, entente souvent appelée par l'acronyme ERA pour Entente sur les répercussions et les avantages. Par exemple, une compagnie minière, forestière, gazière ou de production d'hydroélectricité peut convenir avec une communauté autochtone d'avantages en termes de contrats octroyés et d'emplois offerts, lors de la réalisation de grands travaux sur les territoires ancestraux.

Principales nations autochtones au Québec

  • Innus-(Montagnais) : 19 955
  • Mohawks : 19 026
  • Cris : 18 535
  • Inuits : 12 129

Source : Secrétariat aux affaires autochtones

Ces avantages seront jumelés à des mesures d'atténuation des répercussions, par exemple des mesures de protection de l'environnement.

L'expérience récente nous démontre que les meilleures stratégies d'intégration et de maintien en emploi des Autochtones sur le marché du travail reposent sur l'approche du transfert progressif de l'administration des programmes, de la gestion générale de la bande, de l'éducation, de la santé et de divers programmes sociaux. De plus, le développement d'entreprises à but lucratif par des entrepreneurs individuels autochtones ou par un Conseil de bande offre de meilleurs résultats en termes d'emplois autochtones. L'exemple de la communauté innue d'Ekuanitshit confirme bien que la meilleure façon d'assurer l'intégration et le maintien en emploi des Innus d'Ekuanitshit est d'assurer elle-même sa prise en charge du développement économique et de développer ses propres entreprises.(4)

L'indépendance des deux combats

Les rapprochements entre le mouvement syndical et les Autochtones ne se concrétisent pas pour plusieurs raisons. Voici quelques-unes des raisons selon le contexte :

Contexte de la gestion des services du Conseil de bande

  1. Les Conseils de bande ont une capacité financière limitée. Ce phénomène, conjugué au fait que les Autochtones ne paient pas d'impôt sur les réserves fait en sorte que les grilles d'échelles salariales dans les communautés autochtones ne correspondent pas à celles des organisations à l'extérieur des communautés.
  2. Les membres formant la base des associations syndicales démocratiques sont trop nombreux à considérer que le fait que les Autochtones ne paient pas d'impôt est un privilège indu. Il y a un gouffre d'incompréhension qui nous amène à conclure que les syndicats ne partagent pas les valeurs autochtones.
  3. Les valeurs de partage et l'esprit communautaire sont déjà très présents chez les Autochtones. Les gestionnaires Autochtones et même québécois dans les communautés les incarnent déjà très bien, ce qui rend les luttes syndicales inutiles. Par exemple, les autochtones s'accordent un nombre supérieur de jours fériés et spéciaux pour des raisons culturelles, etc.

Contexte des ententes sur les répercussions et les avantages dans le cadre de grands projets

  1. Les ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) sont des outils qui répondent à des obligations juridiques des gouvernements fédéral et provinciaux et des grandes sociétés envers les Autochtones à la suite des jugements de la Cour suprême du Canada. Les Autochtones sont donc en mesure d'obtenir des avantages sans le besoin d'établir de rapports de force qui caractérisent la relation entre une organisation et son syndicat.
  2. Les Autochtones demandent des mesures d'encadrement plus soutenues en début d'emploi parce qu'ils ont peu ou pas d'expérience professionnelle sur le marché du travail et leur productivité en début d'emploi est déficiente. Un conseiller en emploi autochtone, un travailleur social, un psychologue ou un agent de liaison sont des mesures pour soutenir le programme d'intégration et de maintien en emploi des autochtones. Il y a plein d'autres mesures particulières. Les syndicats ont plutôt tendance à parler d'équité et de processus de sanctions progressives sans égards aux besoins particuliers des Autochtones.
  3. Le local 791 de la FTQ représenté par le Nord-Côtier Bernard « Rambo » Gauthier prône tous azimuts le régionalisme Côte-Nord(5). Quoiqu'il s'agisse d'un concept légitime pour les uns (mais contraignant pour les autres), il y a lieu de reconnaître que la subdivision du territoire québécois en plusieurs régions administratives relève de l'histoire contemporaine récente sans assise juridique constitutionnelle. En revanche, les droits des Autochtones sont reconnus par de nombreux jugements de la Cour suprême du Canada qui font jurisprudence et ces droits appartiennent généralement à des groupes circonscrits ayant occupé le territoire depuis des temps immémoriaux, etc.

Avenues de rapprochement entre les deux mouvements basées sur le respect mutuel

Même si la réalité autochtone échappe au mouvement syndical québécois, il n'en demeure pas moins que les deux combats ont donné des résultats qui favorisent l'ensemble de la société.

Les syndicats ont contribué à améliorer les conditions de travail de leurs membres et ont influencé le courant de pensée social et politique, ce qui a façonné la société généreuse et inclusive que nous connaissons aujourd'hui.

En même temps, les Autochtones du Québec émergent tranquillement grâce au transfert administratif des affaires de la bande et à une stratégie de développement économique autonome qui prend son essor avec différentes ERA.

Les deux mouvements cheminent dans la même direction comme deux canots côte à côte sur la rivière, maîtres de leurs destinées. Chacun joue son rôle et doit entretenir le respect de l'autre sans toutefois confondre ni mélanger ses propres luttes avec celles de l'autre.


Références bibliographiques

  • (1) CEQ/CSN, Histoire du mouvement ouvrier au Québec/150 ans de luttes, Ed. CEQ/CSN, 1984, 328p.
  • (2) Pierre LEPAGE, Mythes et réalités sur les peuples autochtones, 2e Édition, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013, 88 p.
  • (3) Jugement de la Cour Suprême du Canada : Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministère des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73
  • (4) Gilbert LEBLANC, Une Première Nation modèle : Ekuanitshit, Revue Effectif de L'Ordre des CRHA du Québec, novembre/décembre 2014, Vol. 17 No 5, pp. 52-54
  • (5) Victor-Lévy BEAULIEU, Bernard Gauthier Rambo, Éditions Trois-Pistoles, 2014, 254 p.

Gilbert Leblanc, CRHA Conseiller en ressources humaines Gilbert Leblanc, CRHA

Source : Revue RH, volume 20, numéro 1, avril/mai/juin 2017