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Régimes de retraite : bombe à retardement ou enjeu de société?

Enjeu au cœur des préoccupations de la société, tour d’horizon d’une situation inéluctable et de ses potentielles solutions.

11 décembre 2016
Yvan Dubuc

Au cours des dernières années, les milieux médiatiques portent un intérêt accru à l’épineuse question des régimes de retraite. Ce qui pose problème, c’est l’incapacité de ces régimes de répondre aux enjeux socioéconomiques actuels. D’ailleurs, qu’est-ce qui achoppe actuellement dans le renouvellement des négociations des conventions collectives? Quel sera le principal enjeu à venir en relations du travail? Les salaires? Rarement. Les congés? Parfois. La sécurité d’emploi? Un peu moins en raison du taux de chômage, somme toute faible. Le principal enjeu, ce seront les régimes de retraite.

Même si le réveil est brutal, force est d’admettre que les symptômes de la crise ne datent pas d’hier. Faut-il rappeler que la majorité des contrats de régimes complémentaires de retraite ont été conclus au cours des années 1960, alors que très peu de personnes se retiraient avant 65 ans et que l’espérance de vie atteignait à peine 70 ans? Mais aujourd’hui, les déficits actuariels s’accumulent à la vitesse grand V. En effet, les responsables ont préféré garder la tête dans le sable dans l’espoir non avoué de refiler le problème aux futures générations. Réglons pour l’instant et on verra plus tard… Voici les facteurs qui sont à l’origine de la situation actuelle.

Des signes avant-coureurs

Évolution démographique.

Plusieurs des régimes actuels remontent bel et bien à une autre époque, alors que les personnes travaillaient au moins jusqu’à 65 ans et mouraient à peine quelques années plus tard. Donc, une période de cotisation étendue et une période de prestation restreinte.

Rendement des placements.

Au cours des dernières années, les marchés financiers ont été affectés par des fluctuations importantes et parfois catastrophiques (dot.com en 2000 et récession en 2008) ainsi que des rendements obligataires moroses.

Rigidité des régimes en place.

Coulés dans le béton depuis quelques décennies, les « contrats » de régimes de retraite ont eu peine à s’adapter aux aléas de la conjoncture économique et démographique. Résultat, un outil déphasé par rapport à son environnement et déconnecté des réalités contemporaines.

Revendications syndicales… et congés de cotisation.

Au cours des années, surtout lors des périodes de vaches grasses, les syndicats sont parvenus à bonifier habilement les modalités de ces régimes à l’avantage de leurs membres. Parallèlement, au cours de ces mêmes périodes, les employeurs se sont permis certaines libertés en profitant des « congés de cotisation », même si cette tendance s’est fortement atténuée depuis cinq ou huit ans.

Indifférence des jeunes générations.

Peu de jeunes, notamment ceux de la génération Y, se soucient de leur retraite. Le quotidien et le court terme accaparent leurs préoccupations. Donc, les questions de retraite sont reléguées aux oubliettes et échappent totalement à leurs préoccupations. Pourrait-on alors concevoir que les vieux ont su en profiter en s’octroyant des privilèges et en leur refilant la facture?

Les enjeux en présence

Précisons d’abord qu’il existe couramment deux types de régimes complémentaires de retraite : les régimes à prestations déterminées (PD) qui garantissent un revenu fixe ou indexé aux retraités et les régimes à cotisations déterminées (CD) dont les rentes sont tributaires des rendements sur les placements. On retrouve les premiers surtout dans le secteur public et parapublic (fonction publique, éducation, santé ou municipalités). Le secteur privé préfère évidemment le second type de régime et plusieurs employeurs assujettis au premier type souhaitent « migrer » vers le second. Précisons que plusieurs fonds de retraite à prestations déterminées sont sous-capitalisés et se retrouvent en situation d’insolvabilité.

Génération Y et retraite

  • 66 % Pourcentage de la génération Y croyant devoir travailler après 65 ans.
  • 6 % Pourcentage de la génération Y croyant pouvoir prendre leur retraite avant 50 ans.
  • 14 % Pourcentage des Canadiens de la génération Y croyant ne jamais prendre leur retraite.

Source : Millennial Careers : 2020 Vision, ManpowerGroup, 2016

En savoir plus :

Dans le premier cas, l’employeur est tenu de verser les prestations sans égard aux rendements et il doit combler tout déficit actuariel, peu importe les circonstances. Il peut cependant se permettre de prendre un congé de cotisations lorsque les rendements sont plus performants, mais dans le cas contraire, il doit tout de même passer à la caisse! Les régimes à cotisations déterminées s’apparentent davantage à un REER, de sorte que le montant des rentes fluctue en fonction des marchés financiers. D’ailleurs, nombre de PME proposent un REER collectif à leurs salariés en guise de régime de retraite.

Tout cela soulève au moins deux problèmes d’envergure :

  • les prestations augmentent rapidement alors que la capacité de financement des régimes s’amenuise en raison des facteurs démographiques et des rendements financiers déficients (érosion du rapport cotisants/prestataires);
  • le déficit ainsi créé risque fort d’hypothéquer sérieusement la sécurité de revenus des futures générations, qui auront peut-être une espérance de vie de 100 ans.

Des solutions en vues?

Plus les années avancent, plus l’heure avec un grand H approche, compte tenu du vieillissement des populations. Dans un tel contexte, comment assurer aux citoyens une retraite sereine et sécuritaire? Il existe au moins trois façons de se prévaloir d’une rente de retraite. Les régimes publics, les régimes complémentaires cofinancés avec l’employeur et les régimes individuels. Chacune d’elles préconise des solutions qui comportent leur lot d’avantages et d’inconvénients. Rien de gratuit ici; quelqu’un, quelque part, doit éponger les déficits actuels ou prévisibles!

Quoi faire? Voici trois exemples.

Régime public

Le Régime des rentes du Québec procure un revenu de retraite proportionnel aux cotisations versées pendant la période active. Face à l’accroissement du déficit actuariel, les autorités ont décidé d’augmenter le taux de cotisation de 9,9 % qu’il était en 2010 à 10,80 % en 2017. La Régie a de plus mis en place des incitatifs visant à prolonger le maintien au travail et ainsi retarder la mise à la retraite.

Régime de privé

Les régimes complémentaires à prestations (PD) se retrouvent principalement dans le secteur public et la grande entreprise syndiquée. Au Québec, environ 40 % des salariés bénéficient d’un tel régime financé conjointement avec leur employeur. Des négociations sont en cours, puisque nombre d’employeurs souhaitent transformer ces régimes PD en régimes à cotisations déterminées (CD). D’autres favorisent plutôt l’adoption de clauses de disparité qui ont pour effet de conserver les droits des travailleurs actuels aux dépens des futures recrues qui devront se contenter d’un régime CD. À titre d’exemple, l’accord de principe intervenu entre Ford et les TCA prévoit une clause de disparité de traitement pour les futurs cotisants. Certaines villes ont justifiées, en partie, l’augmentation des taxes par la nécessité de renflouer les fonds de retraite de leurs employés, dont certains étaient en déficit.

Régime individuel

En ce qui concerne les régimes individuels. Au REER bien connu, s’ajoutent le Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) et le projet de Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER). Sous l’influence du néo-libéralisme, on constate une tendance au désengagement des autorités gouvernementales au détriment des individus qui héritent d’une charge accrue en se voyant obligés d’épargner davantage afin d’assurer leur sécurité financière une fois à la retraite.

Que faire au-delà des régimes?

C’est ici que les professionnels en ressources humaines pourraient jouer un rôle proactif accru en faisant preuve d’imagination et en s’affirmant davantage auprès des dirigeants d’entreprise. En effet, les remarques précédentes font ressortir la  pertinence de prolonger la période d’activité des travailleurs sur le marché du travail. De fait, on pourrait d’abord se poser la question suivante : pourquoi les gens sont-ils aussi pressés de quitter leur emploi? Une des hypothèses et que celui-ci constitue un véritable labeur plutôt qu’une source de valorisation et d’épanouissement. Et si on parvenait à modifier les modes d’organisation du travail et les climats de travail de façon à renforcer ces impératifs? Quelles stratégies d’intervention les professionnels en ressources humaines pourraient-ils mettre de l’avant? Voici, à titre exploratoire, quelques pistes d’interventions possibles.

Retour au travail des retraités.

Plusieurs retraités recherchent un emploi pour bien d’autres motifs que l’argent : s’occuper afin de combattre la solitude, joindre un milieu social, fuir le foyer, mettre à contribution leurs compétences au service des autres, obtenir un revenu d’appoint pour se payer des loisirs, etc. Pourquoi ne pas faire appel à leurs services… surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre?

Retraite progressive et rémunération hybride.

Proposer aux personnes destinées à la retraite « obligatoire » une retraite progressive assortie d’un allègement des horaires de travail et d’une rémunération composée de prestations des régimes publics (voir les modalités auprès de la RRQ) et d’une diminution de salaire.

8 solutions au problème des régimes de retraite

  1. Augmenter les cotisations (rapport cotisants/retraités);
  2. Repousser l’âge de la retraite;
  3. Pénaliser financièrement les retraites anticipées;
  4. Réduire les prestations;
  5. Transformer les régimes à prestations déterminées en régimes à cotisations déterminées;
  6. Instaurer des régimes hybrides;
  7. Privilégier l’épargne privée;
  8. Refiler la facture à l’ensemble des contribuables.

Valorisation de l’expertise.

Plutôt que de donner aux travailleurs expérimentés l’impression qu’on s’apprête à les mettre au rancart, pourquoi ne pas mettre leur expertise à profit afin de faciliter la relève et la transition intergénérationnelle des compétences? Formateurs, mentors, coachs, etc.

Forfaits personnalisés.

L’univers des conditions de travail est contaminé par un excès de rigidité «  juridicobureaucratique ». Qu’est-ce qui empêcherait les professionnels en ressources humaines de proposer aux travailleurs expérimentés un régime de conditions de travail personnalisé et adapté à leur situation et à leurs attentes? Horaire de travail assoupli, télétravail, gestion de projets autonomes, intrapreneuriat, etc.

Pas de solutions miracles ici, tout devient une question de choix de société au gré de la dynamique des intérêts concurrents ou divergents de la classe politique, des travailleurs, de la société civile et des groupes de pression institutionnalisés.


Yvan Dubuc Retraité, auteur de livres et articles en RH

Source : Revue RH, volume 19, numéro 4, septembre/octobre 2016