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Pauline Marois : les qualités d’un bon leader

Redécouvrez une leader remarquable qui a fait son chemin dans la vie politique québécoise avant de devenir la première femme à la tête du Québec.
26 avril 2016
Simon Lord

Pauline Marois a fait son entrée à l’Assemblée nationale en 1981 comme députée du Parti québécois dans la circonscription de La Peltrie. Elle a ensuite fait son chemin dans la vie politique québécoise pour devenir, à l’élection du 4 septembre 2012, la première femme à la tête du Québec. Rencontre avec une leader.

Au cours de sa carrière, Pauline Marois a occupé de nombreuses fonctions qui lui ont permis de perfectionner ses qualités de leader. Parmi toutes les caractéristiques du bon dirigeant, de la vision à l’écoute en passant par la cohérence, lesquelles sont, selon elle, les plus importantes? RH lui a demandé de dresser un portrait du leader efficace.

RH – Comment fait un leader pour convaincre les gens de le suivre?

Pauline Marois – Quand nous voulons assumer notre leadership, il faut avoir une vision claire et la partager avec nos collègues, avec nos employés ou avec la communauté que l’on sert. Les gens se sentent alors associés aux décisions et aux orientations. Il faut naturellement accepter de recevoir des critiques et des commentaires. À ce moment-là, on peut bonifier notre vision. Mais pour cela, il faut s’assurer de bien entendre les gens à nos côtés pour qu’ils partagent leur perspective.

RH – Le leader doit donc faire preuve d’écoute?

PM – Absolument, l’écoute est une qualité essentielle. Et là, je ne veux pas dire avoir l’air d’écouter. Il y a une grande différence. Il y a bien des gens qui font semblant d’écouter, mais qui ferment la porte et passent à autre chose le lendemain. Le leader marche un petit peu en avant de son équipe, mais en même temps, il n’est plus un leader s’il perd son monde. Il sera passé à côté de sa responsabilité si les gens se démobilisent parce qu’ils ne se sentent plus concernés. Selon moi, l’écoute a été un point fort de mon leadership. Une de mes forces, c’est d’être capable de faire ressortir ce qui rallie les gens, mais aussi ce qui les divise.

Bien sûr, il faut aussi de l’humilité parce que l’on doit éviter de donner tout le temps notre point de vue, d’avoir l’air de tout savoir et de vouloir toujours décider de la direction à prendre sans avoir pris le temps d’écouter.

Être à l’écoute, c’est important parce que les gens ont souvent les solutions. Ils ne sont pas nécessairement capables de les articuler en un projet organisé ou de les intégrer à une planification, mais on peut s’alimenter de leurs idées. Cela leur donnera confiance, car on tient compte de leur point de vue.

Pour convaincre les gens de nous suivre, il faut également être capable d’inspirer la confiance, ce qui signifie de ne pas se laisser déstabiliser par les échecs et les erreurs. On doit rebondir rapidement et rechercher des solutions. Lorsque l’on réussit finalement, avec l’aide de notre équipe, à atteindre les objectifs que nous nous étions fixés, ça augmente notre crédibilité.

RH – Pour réussir à rebondir, il faut toutefois être résilient. Dans quelle mesure cette qualité est-elle importante pour un leader?

PM – La résilience, c’est fondamental. Si on flanche à la moindre embuche, on sème le doute dans la tête de ceux qui nous entourent ou que l’on dirige. Les gens doivent savoir que nous avons les nerfs assez solides et que nous ne nous laisserons pas déstabiliser. Ils doivent savoir que nous utiliserons les difficultés et les échecs pour rebondir, pour apprendre, pour rectifier le tir.

Quand nous sommes arrivés au pouvoir en 2012, nous avons rapidement fait adopter des projets et des politiques. Je pense par exemple aux dossiers du nucléaire et de l’amiante. Cette approche a un peu déstabilisé les gens. Ils trouvaient qu’on était peut-être un peu brouillon, alors qu’en fait nous savions très bien où nous allions.

J’ai donc proposé à mon équipe de faire une planification plus visible et de nous concentrer sur les dossiers majeurs pour lesquels nous avions pris des engagements, comme la politique de soins à domicile. Les gens ont alors pu mieux voir venir nos décisions et nos orientations.

La résilience, ça m’a toujours été très utile. Ça a rendu efficace l’exercice de mon leadership.

RH – La résilience, est-ce que ça se cultive?

PM – Ça se cultive, mais il faut avoir une petite base. Il faut être assez déterminé pour continuer malgré les obstacles. On doit faire preuve de souplesse lorsque c’est nécessaire, mais sans perdre de vue son objectif. Il est très important d’avoir une vision pour éviter de se laisser désorienter. Avec l’expérience, on se sent moins menacé, on est plus confortable dans ses décisions et on sait que la tempête finit par passer. Le beau temps revient toujours quand on est capable de garder le cap et de maintenir la barque à flot.

RH – Cela ne peut se faire sans mobiliser les gens. Comment y arriver?

PM – On doit les écouter, leur faire confiance et se concerter. Il faut également communiquer notre plan. On ne peut pas toujours tout dire, mais il faut au moins partager avec les gens les grandes lignes de la stratégie sur laquelle on s’appuie pour atteindre ses objectifs. Essentiellement, les gens doivent se sentir interpellés et concernés. Ils vont alors se mobiliser. Il n’y a pas beaucoup d’autres façons d’y arriver.

RH – Comment un professionnel en ressources humaines pourrait-il appuyer un leader afin que celui-ci réalise sa vision?

PM – Il doit s’assurer de conseiller le mieux possible le patron quant à la transmission des connaissances, des données et des informations. L’autre volet, et c’est peut-être le plus exigeant, c’est d’être franc et honnête avec les gens qu’il conseille.

RH – Vous avez évoqué plus tôt l’importance, pour un leader, des gens qui l’entourent. Quelles qualités un leader recherche-t-il chez les membres de son équipe?

PM – Il faut s’assurer qu’il y ait des gens qui vont nous compléter et nous alimenter. Pour ça, il faut par contre connaître nos forces et nos faiblesses. On peut alors aller chercher des gens forts, parfois plus forts que nous, parce que c’est à ce moment-là que l’on peut décupler notre action sur le terrain.

RH – Dans votre cas en particulier, dans quelle mesure les équipes avec lesquelles vous avez travaillé ont-elles contribué à vos réalisations?

PM – Qu’il s’agisse de mon Conseil des ministres, de mes comités stratégiques ou de ma députation, les équipes autour de moi ont toutes contribué à mes réalisations. Parfois peu, parfois énormément, mais jamais je n’aurais pu être ministre ou première ministre si je n’avais pas eu de sous-ministres pour m’appuyer et m’accompagner avec leurs idées et leurs projets.

RH – Quelle est la clé d’une équipe qui fonctionne à son meilleur?

PM – La clé, c’est d’avoir les personnes aux bons endroits en fonction de leurs talents et de leurs qualités. Ce principe m’a toujours beaucoup aidée dans la vie. J’ai toujours été convaincue qu’il n’y a personne qui ne possède aucune compétence. L’important, c’est d’aller chercher ces talents et de les mettre à profit.

Quand on voit que quelqu’un ne réussit pas à bien faire son travail, il faut avoir la franchise de le rencontrer. On peut aller voir ce que l’on pourrait faire pour qu’il se retrouve dans une situation confortable où il pourra utiliser tous ses moyens et tous ses talents. Par contre, il y a parfois des gens qui sont incapables d’assumer une tâche dans l’organisation où ils se trouvent. Ils ont peut-être d’autres intérêts. Il faut alors aussi être capable d’en convenir.

RH – À ce moment-là, que faut-il faire?

PM – Il ne faut pas hésiter à corriger le tir. Ce sont des décisions très difficiles à prendre. Parfois, on nomme des gens à des fonctions pour se rendre compte ensuite que la situation est catastrophique, que la personne ne livre pas la marchandise parce qu’elle est malheureuse. Et ça, pour un leader, c’est difficile.

C’est difficile parce qu’il faut admettre que l’on s’est trompé, mais aussi parce que l’on doit informer la personne de la situation sans la démolir. Ce n’est pas la tâche que j’ai le plus aimée, comme leader, mais c’est fondamental si on veut une équipe fonctionnelle et efficace qui a du plaisir à travailler ensemble. Quand un des membres est à la marge, il y a toujours un malaise et c’est tout le monde qui en sort perdant.

RH – Comment peut-on demeurer cohérent lorsque la situation demande un changement de cap?

PM – Il faut de l’humilité et du courage. Quand on a à cœur le bien commun, dans mon cas, ou l’intérêt de l’organisation pour un leader à la tête d’une entreprise, il faut être capable de procéder aux réorientations plutôt que d’essayer de sauver son orgueil. Si quelqu’un ne comprend pas cette nécessité, il sera peut-être capable d’exercer un certain leadership, mais il risque de ne pas atteindre ses objectifs ou de ne pas contribuer à la réussite de l’organisation où il se trouve. On doit accepter de dire qu’il est nécessaire de se réorienter et de prendre des décisions différentes si l’on croit que l’on n’atteindra pas son objectif.

RH – Avez-vous un exemple?

PM – Avant d’arriver au pouvoir, nous avions annoncé que nous allions abolir la taxe santé. Une fois élus, nous avons toutefois eu accès à de nouvelles données et nous nous sommes rendu compte que nous ne pourrions pas le faire en un exercice. Nous avons aussi constaté que nous ne pourrions pas utiliser la méthode que nous avions choisie, c’est-à-dire de transférer l’essentiel de la taxe sur les contribuables à très haut revenu. Nous avons donc admis que nous ne pourrions le faire comme nous le souhaitions, au rythme souhaité, et que nous allions plutôt alléger la taxe pour les gens à bas et moyens revenus.

RH – Il serait impensable de ne pas vous demander, à titre de première femme ayant occupé le poste de première ministre du Québec, s’il est plus difficile pour une femme d’être leader?

PM – Oui, c’est plus difficile parce que, d’abord, on n’a pas beaucoup de modèles. Ensuite, les regards sont tournés vers nous avec toujours un certain doute. Sera-t-elle capable d’assumer la responsabilité? Sera-t-elle capable de diriger l’équipe, en particulier s’il s’agit d’une équipe d’hommes?

Quand j’ai eu à assumer des fonctions ministérielles, que ce soit aux finances, à la santé ou à l’éducation, il y a toujours eu un doute dans la tête des observateurs, des chroniqueurs politiques ou des analystes. On demandait si j’avais ce qu’il faut pour accomplir ces tâches alors qu’on ne posait pas la question pour d’autres collègues qui avaient moins de formation et d’expérience que moi. À chaque fois, j’avais l’impression qu’il fallait que je prouve de nouveau que j’étais capable de relever le défi. Il y a toujours un double standard.

RH – En terminant, pouvez-vous nous dire comment faire, en entreprise, pour favoriser l’accession des femmes à des postes de leadership?

PM – Les femmes ont moins tendance que les hommes à postuler à un poste pour lequel elles n’ont pas toutes les compétences demandées. Pour remédier à ce problème, certaines entreprises suggèrent à leurs employées de postuler à un poste ou à un autre. Ce genre de politique existe dans un certain nombre d’entreprises. Il faut aussi s’assurer qu’il y ait une relève. On peut le faire en embauchant plus de femmes.

Cela permet d’avoir un bassin de choix plus grand lorsque vient le temps de faire progresser les gens dans l’organisation pour qu’ils atteignent un poste de direction, de cadre, de responsabilité.


Simon Lord

Source : Revue RH, volume 19, numéro 2, avril/mai 2016