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Codéveloppement professionnel : et si on accompagnait les animateurs?

Découvrez quelques constats préliminaires d’une étude mettant l’animateur d’un groupe de codéveloppement au cœur des solutions.

26 avril 2016
Nathalie Lafranchise, Ph. D. | Maxime Paquet, Ph. D. | Kelly Cadec

Depuis quelques années, les groupes de codéveloppement professionnel sont de plus en plus présents au sein des organisations, à titre d’outil de développement des compétences. Comment peut-on optimiser les apprentissages des personnes qui y participent? Voici quelques constats préliminaires d’une étude mettant l’animateur d’un groupe de codéveloppement au cœur des solutions.

En mars 2013, le Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) accordait aux auteurs de cet article un important financement leur permettant de mener une recherche- action collaborative et parte­nariale intitulée Impacts individuels et organisationnels d’une démarche d’accompagnement socio­constructiviste visant l’optimisation des groupes de codéveloppement professionnel.

Trois ans plus tard, ce projet aura réuni cinq chercheurs provenant de trois universités, des experts de deux milieux associatifs, soit Mentorat Québec et l’Association Québécoise de Codéveloppement Professionnel, cinq organisations du réseau de la santé et des services sociaux et un établissement collégial.

Au total, douze animateurs ont été guidés dans la mise en place, l’animation et l’accompagnement de treize groupes de codéveloppement professionnel (GCP) comprenant au total 101 participants, dont 27 gestionnaires et 74 intervenants.

Tirés des résultats préliminaires de cette étude, voici cinq constats quant à l’optimisation des apprentissages dans un groupe de codéveloppement professionnel et à l’accompagnement des animateurs.

1er constat – Miser sur le leadership d’accompagnement

Les fonctions d’animation sont importantes, mais non suffisantes. Si les interactions entre pairs font la force et la richesse d’un GCP, il ne faut pas oublier que l’animateur joue un rôle aussi important. Toutefois, les fonctions d’animation ne sont pas suffisantes pour optimiser les apprentissages dans un tel groupe. En effet, pour aider le groupe à dépasser la simple résolution de problème et à mettre davantage l’accent sur les apprentissages, il importe que l’animateur exerce un certain leadership d’accompagnement.

2e constat – Soutenir les animateurs

Il faut soutenir les animateurs dans le développement et l’exercice d’un leadership d’accompagnement, et ce, plus particulièrement lorsque ce dernier provient de l’organisation (animateur interne). Selon Lafortune 2008, l’exercice d’un leadership d’accompagnement n’est pas nécessairement naturel pour un animateur interne. En effet, il doit concilier ses différents rôles en interaction avec des participants qui sont des collègues. L’animateur doit alors bâtir sa crédibilité aux yeux des participants de son groupe. C’est pourquoi il faut lui offrir du soutien dans l’actualisation de son propre rôle d’accompagnateur. Dans le cadre de notre recherche-action, les animateurs ont bénéficié d’un accompagnement interactif et réflexif sur une durée d’une année et demie.

GCP - Rôle de l’animateur

  • être le leader du groupe
  • être le gardien de l’approche de codéveloppement
  • Apporter une expertise complémentaire

Rôle du participant

  • Agir à son tour comme coaché
  • Agir à son tour comme coach

3e constat – Susciter la réflexion avant l’action

Il est important de susciter la réflexion des individus du groupe afin d’optimiser les apprentissages. Rappelons que le GCP est une approche de formation qui mise sur les interactions entre les participants et qui privilégie l’apprentissage par la réflexion sur l’action (Payette et Champagne, 2010; Lafranchise, Paquet et Gagné, 2015).

Dans l’étude, afin de stimuler la réflexion et d’optimiser ainsi les apprentissages, animateurs et participants à chacune des séances étaient invités à remplir une fiche réflexive où on leur demandait de réfléchir sur :

  • leur cheminement, les connaissances cons­truites, les prises de conscience;
  • leur objectif individuel d’apprentissage et leur objectif de groupe;
  • l’appropriation des pistes proposées, leurs intentions d’action et leur perception de l’appui de leur supérieur hiérarchique;
  • leur ressenti et les conflits de valeurs qui auraient pu émerger;
  • leur satisfaction quant au fonctionnement du groupe et de la séance.

Les animateurs étaient également invités à tenir un journal de réflexion afin d’y consigner leurs observations, pensées, prises de conscience, pistes d’action quant à leur animation et à l’accompagnement de leur groupe, etc. Ces journaux de réflexion étaient utilisés entre les séances de codéveloppement et à la suite des échanges avec les accompagnatrices.

L’écriture réflexive est reconnue pour aider à structurer la pensée et à l’analyser, pour exercer une pensée critique ainsi que pour mettre à distance et pour améliorer sa pratique professionnelle (Cros, 2006; Morisse et Lafortune, 2014; Morisse, Lafortune et Cros, 2011). L’écriture était donc proposée en soutien à la réflexion en vue de favoriser des apprentissages.

4e constat – Privilégier des stratégies d’accompagnement interactives et réflexives

Nous avons examiné le contenu de 365 courriels échangés entre les animateurs et les deux accompagnatrices, de leurs journaux de réflexion respectifs et d’une réunion réalisée avec les animateurs. Cette analyse a révélé dix stratégies d’accompagnement interactives et réflexives qui ont favorisé le développement des compétences des animateurs :

  1. écouter;
  2. soutenir;
  3. observer l’animateur lors de sa première séance;
  4. reconnaître les forces/tenir compte de la dimension affective;
  5. questionner pour faire réfléchir;
  6. questionner en vue d’obtenir des informations;
  7. transmettre des consignes et des informations;
  8. proposer des défis/stimuler;
  9. partager des outils, des expériences, des connaissances;
  10. donner de la rétroaction.

5e constat – Offrir de la rétroaction

Du point de vue des animateurs, la rétroaction s’avère une des stratégies les plus bénéfiques pour le développement des compétences d’animation et d’accompagnement. Les données relatives à la rétroaction offerte par les accompagnatrices (683 segments de rétroactions) ont été regroupées sous cinq thèmes principaux et leurs sous-thèmes (voir Tableau 1).

La rétroaction constructive affirmative et la rétroaction par le questionnement constituent 70 % des segments analysés et représentent donc les formes de rétroaction qui ont été les plus utilisées. La rétroaction constructive affirmative visait d’une part à mettre en valeur les forces des animateurs; elle cherchait d’autre part à faciliter la réflexion sur certaines actions des animateurs et à les aider à mieux cerner leurs théories de référence, à découvrir leurs théories d’usage et à prendre conscience des écarts entre les deux (Argyris et Schon, 1999); il s’agissait ultimement de favoriser des apprentissages et le développement des compétences à animer et à accompagner un GCP. La rétroaction par questionnement visait aussi ce même objectif de réflexion.

Encore du travail pour la recherche

L’adoption d’une posture d’accompagnement et l’exercice d’un leadership d’accompagnement par l’animateur d’un groupe de codéveloppement sont des aspects qui ont été très peu abordés à ce jour dans les écrits sur les GCP. Pourtant, ils nous apparaissent essentiels pour optimiser les apprentissages dans un groupe de codéveloppement. Les résultats préliminaires présentés dans cet article mettent en lumière des stratégies d’accompagnement qui favorisent l’acquisition des compétences nécessaires à l’animateur sur ce plan.


Références bibliographiques

  • Argyris, C., & Schön, D.A. (1999). Théorie et pratique professionnelle : comment en accroître l'efficacité. Collection Formation des maîtres. Outremont : Les éditions Logiques.
  • Cros, F. (2006). Écrire sur sa pratique pour développer des compétences professionnelles. Paris : L’Harmattan.
  • Lafortune, L. (2008). Un modèle d’accompagnement professionnel d’un changement : pour un leadership novateur. Québec : Presses de l’Université du Québec.
  • Lafranchise, N., Paquet, M. et Gagné, M.-J. (2015). L’accompagnement : une posture à adopter et une compétence à développer chez l’animateur de groupe de codéveloppement. Numéro thématique de l’AQCP, 1(2), 1-7.
  • Morisse, M. et Lafortune, L. (2014). L’écriture réflexive : objet de recherche et de professionnalisation. Québec : Presses de l’Université du Québec.
  • Morisse, M., Lafortune, L. et Cros, F. (2011). Se professionnaliser par l’écriture. Quels accompagnements? Québec : Presses de l’Université du Québec.
  • Payette, A. et Champagne, C. (2010). Le groupe de codéveloppement professionnel. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Author
Nathalie Lafranchise, Ph. D. Professeure titulaire, Département de communication sociale et publique UQAM

Nathalie Lafranchise, Ph.D., professeure et chercheure au Département de communication sociale et publique de l'Université du Québec à Montréal, détient un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et une maîtrise en communication (profil psychosociologie) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle est responsable du programme court de 2e cycle en mentorat de la faculté de communication de l’UQAM. Elle est également coprésidente, depuis 2010, de l’organisme Mentorat Québec. Ses travaux de recherche portent sur l’accompagnement sous différentes formes, notamment le codéveloppement et le mentorat. Depuis 1999, elle agit également à titre de consultante-accompagnatrice et formatrice auprès de différents milieux de l’éducation, de la santé, communautaires et associatifs, dans l’élaboration et la mise en œuvre de programme d’accompagnement professionnel (mentorat, codéveloppement, parrainage). Elle a présenté de nombreuses communications au Québec, en France, en Suisse et à Cuba.


Author
Maxime Paquet, Ph. D. psychologue – professeur agrégé – Département de psychologie UdeM
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Kelly Cadec

Source : Revue RH, volume 19, numéro 2, avril/mai 2016