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Réfugiés syriens : Les défis de l’intégration en emploi

10 avril 2016
Marie-Hélène Leboeuf

Réfugiés syriensLa question du conflit syrien et des réfugiés qui seront accueillis au Canada prend beaucoup de place dans les médias et dans les maisons, mais aussi au travail. Le marché de l’emploi est-il prêt pour cet effort d’intégration?

Le conflit armé en Syrie et en Irak a marqué l’année 2015. Populations dépla­cées, familles décimées, migrants qui tentent de trouver un pays d’accueil en Europe : le drame, qui a commencé en 2011, prend des proportions de plus en plus importantes. Pour apporter sa contribution, le Canada a, entre autres, décidé d’accueillir 25 000 réfugiés syriens d’ici la fin du mois de février. De ce nombre, 7200 ont été, ou seront, dirigés vers le Québec et seront invités à s’installer, pour le moment, dans treize municipalités qui ont accepté de participer à l’effort : Montréal, Laval, Québec, Longueuil, Trois-Rivières, Victoriaville, Gatineau, Drummondville, Joliette, Sherbrooke, Granby, Saint- Jérôme et Saint-Hyacinthe.

Le réfugié, un immigrant comme les autres?

Il est important de distinguer les réfugiés des nouveaux arrivants qu’on définit comme des travailleurs qualifiés. Si ces derniers ont pu venir s’établir au pays justement pour contribuer à l’économie du pays grâce à leurs compétences particulièrement recherchées, leur formation, leur expérience professionnelle, leur connaissance des langues officielles, voire l’argent qu’ils ont réussi à amasser, les réfugiés, eux, sont des gens de l’étranger que le Canada accueille pour des raisons humanitaires. « Un autre aspect mérite d’être souligné », ajoute Catherine Raymond, directrice générale du Service d’orientation et d’intégration des immigrants au travail de Québec (SOIT). « Il ne s’agit pas de gens qui caressaient depuis des années le rêve de s’établir ailleurs, qui amassaient des sous pour aller poursuivre une vie meilleure dans un autre pays. Ils ont été contraints de partir. Il y a donc un bagage émotif plus lourd pour ces populations, plus de deuils à faire. Personne ne rêve d’être un réfugié. » Les 25 000 Syriens attendus d’ici la fin du mois de février étaient logés pour la plupart dans des camps situés au Liban ou en Jordanie et administrés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Les familles qui viennent ici ont été sélectionnées par les instances québécoise et canadienne selon les recommandations du HCR, qui lui, évalue d’abord le degré de détresse et de vulnérabilité.

Bien qu’elle ne soit pas totalement exclue du processus de sélection du gouvernement, l’employabilité d’un individu ne fait pas partie des principaux critères. Au Canada, on a invité le HCR à proposer d'abord les dossiers de femmes à risque et de familles intactes. Pourtant, de nombreuses études prouvent que, si l’école est le plus important véhicule d’intégration pour les enfants, c’est le travail qui est le principal gage de succès chez les adultes. En ce sens, est-ce que les réfugiés syriens constitueront un défi particulier? « Non, répond Catherine Raymond. D’abord, parce que leur fonctionnement sociétal est moins éloigné du nôtre qu’on pourrait le croire. Nous avons accueilli plusieurs Bhoutanais récemment et, pour eux, le choc était plus grand, les différences plus importantes. » Même son de cloche du côté de Carmen Gabriel, responsable des communications et du développement au Centre social d’aide aux immigrants (CSAI), un des organismes communautaires responsables de la coordination de l’accueil des réfugiés à Montréal. Elle non plus ne voit pas là de défi particulier : « La population syrienne est en général assez scolarisée. »

La francisation : le premier pas

La première étape pour s’assurer que ces nouveaux arrivants puissent trouver du travail, c’est l’apprentissage d’une des deux langues officielles. « La plupart des réfugiés ne maîtrisent pas le français », explique Carmen Gabriel. Au Québec, si la francisation n’est pas obligatoire, elle reste fortement encouragée, notamment par des mesures financières : les participants reçoivent une allocation s’ils s’inscrivent et s’ils réussissent les examens. « Les cours de francisation sont offerts à temps plein ou encore à temps partiel, pour quelqu’un qui aurait déjà un travail. En moyenne, le temps de francisation est d’environ six mois pour un individu qui suit des cours à temps plein », poursuit Mme Gabriel. Ensuite, des organismes communautaires proposent des services d’aide à l’employabilité. « Toutes sortes d’activités sont prévues, elles aussi encouragées par des incitatifs financiers : apprendre à faire un CV pour une entreprise d’ici, faire un profil LinkedIn, comment se comporter lors d’une entrevue, etc. » Au SOIT, on offre même des services d’orientation : « On prend le temps de regarder la formation et l’expérience de travail, puis on tente de voir si, avec une simple mise à niveau ou une requalification, la personne pourrait occuper un emploi », indique Catherine Raymond.

Mais quel genre d’emploi ces réfugiés occuperont-ils? « Nous n’avons pas encore de portrait précis des familles de réfugiés qui arriveront, mais on nous a dit que la plupart des travailleurs sont issus des milieux de la construction ou de l’agriculture », souligne Carmen Gabriel. Au SOIT, on s’attend même à ce qu’environ 75 % des réfugiés syriens en âge de travailler aient l’équivalent d’un diplôme d’études postsecondaires. « Et l’intégration en milieu de travail tout comme l'apprentissage de la langue se font beaucoup plus facilement quand les gens ont déjà une certaine éducation. »

Des mesures gouvernementales

Le gouvernement du Québec n’a pas créé de nouveau programme pour soutenir l’intégration en milieu de travail des réfugiés syriens. On préfère miser sur des initiatives déjà en place et administrées par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, notamment le Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME). L’objectif de ce programme est de permettre aux nouveaux arrivants et aux personnes issues d’une minorité visible d’acquérir une première expérience de travail au Québec en offrant un soutien financier aux entreprises prêtes à les intégrer. Grâce au PRIIME, une organisation peut espérer une aide financière couvrant jusqu’à 50 % du salaire du travailleur, et ce, pendant une période de 30 semaines. Ce même programme prévoit aussi le remboursement d’une portion du salaire d’un accompagnateur (souvent un autre employé de l’entreprise), des coûts d'adaptation des pratiques et des outils de gestion des ressources humaines (activités d’accueil, formation pour le personnel d’encadrement, mise à jour du manuel de l’employé, etc.) et de certains frais de formation pour la mise à niveau du nouvel employé.

Tout en rappelant l’existence du PRIIME, l'ancien ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, et sa collègue Kathleen Weil, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, ont néanmoins annoncé, lors d’une conférence de presse le 8 décembre dernier, la mise en place d’une ligne téléphonique pour les entreprises désireuses de pourvoir certains postes : celles-ci peuvent communiquer les emplois disponibles dans leur organisation et, conséquemment, participer à cette grande démarche d’intégration. Des porte-paroles du Conseil du patronat du Québec, de la Fédération des chambres de commerce du Québec, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et des Manufacturiers et Exportateurs du Québec étaient aussi présents lors de l’annonce. Ils ont tous manifesté la volonté d’envoyer un message à leurs membres afin que ceux-ci répondent en grand nombre à l’appel et contribuent à l’intégration en emploi des réfugiés.

En date du 18 janvier, 65 entreprises des quatre coins de la province s’étaient manifestées : au total, ce sont 818 postes que ces divers employeurs cherchent à pourvoir. « Nous n’avons pas encore de données, à savoir s’il s’agit d’emplois à temps plein ou à temps partiel, mais nous savons qu’il y a là une offre très variée, de manœuvre en usine à représentant commercial, en passant par des postes de voituriers, de journaliers et de programmeurs », indique François Lefebvre, de la Direction des communications du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. « Il s’agira ensuite pour les personnes en recherche d’emploi de se rendre dans les Centres locaux d’emploi (CLE) qui mettront les gens désireux de travailler en relation avec les entreprises qui ont exprimé leur intérêt. » Car les CLE, sous la direction du Ministère, sont pour la plupart des nouveaux arrivants la porte d’entrée du marché de l’emploi au Québec.

La route peut être longue entre l’arrivée dans le pays d’accueil et l’obtention d’un poste intéressant, source de fierté pour le nouvel arrivant qui sera ainsi plus à même de s’intégrer à notre société. Mais l’objectif du ministre Hamad est clair : « Intégrer tout le monde, c’est ça le plan », a-t-il mentionné lors de sa conférence de presse du 8 décembre. Et à en croire les diverses personnes interrogées, il s’agit là d’une possibilité. « Mais la clé de la réussite, surtout dans le cas de réfugiés, c’est la patience, le temps. Avant d’en arriver à l’étape de l’employabilité, ça peut prendre un an, estime Catherine Raymond du SOIT. Mais nous avons une belle qualité de vie ici. Ils en sont conscients. Ils sont reconnaissants. Et surtout, ils sont motivés! On a une belle immigration au Québec. C’est une belle richesse. »

Ressources pour les employeurs

Désireux de signaler au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale des ouvertures de postes au sein de votre entreprise? Composez le 1 877 644-4545.

Pour plus de renseignements sur le Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME), visitez le site d’Emploi-Québec ou informez-vous auprès du CLE de votre région.

Source : Revue RH, volume 19, numéro 1, janvier/février/mars 2016.


Marie-Hélène Leboeuf