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Radiographie (préliminaire) des leaders RH

Qui sont les leaders RH? Quel est leur cheminement? Quel regard portent-ils sur leur parcours de carrière? Quelles leçons peuvent-ils partager avec les professionnels RH ambitieux de les remplacer?

10 avril 2016
Dominique Boutin, CRHA | Alain Gosselin, CRHA, Distinction Fellow

Récemment, les écrits traitant des leaders RH se sont multipliés. Plusieurs raisons expliquent cet intérêt accru pour ceux qui se situent au sommet de la profession. Le débat ouvert par Harvard Business Review dans son édition de juillet-août 2015 – It’s time to blow up HR and build something new. Here’s how – y contribue certainement.

Une étude pour mieux cerner ce groupe important dans la profession a été entreprise, en collaboration avec l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Bien que cette étude soit toujours en cours, il en ressort déjà quelques constats préliminaires qui semblent pertinents. Une autre publication présentant des résultats plus complets et définitifs suivra en cours d’année. Portrait des leaders RH québécois.

Que sait-on sur les dirigeants RH?

Peu de chose en fait. Les textes sur le sujet sont rares et pas toujours récents. Bien que le moment, le lieu et la méthodologie divergent, nous avons retenu deux études comme base afin d’apprécier l’évolution du profil des leaders RH au Québec. Voici un bref tour d’horizon de chacune de ces études.

Première étude – Il y a plus de 25 ans, Roland Foucher et Su­zanne Cardin se sont intéressés aux caractéristiques démographiques des personnes à la tête d’un service des ressources humaines, à leur choix professionnel et à leur type de progression de carrière. Ils ont interrogé, par questionnaire postal, 220 directeurs des ressources humaines (DRH) de la région de Montréal (avec un taux de réponse de 44 %). Leur étude couvrait un large spectre quant à la taille de l’organisation et au secteur d’activité. En fait, plus de 60 % des répon­dants provenaient du secteur privé et d’entreprises de moins de 500 employés. Dans l’ensemble, leur étude a bien démontré qu’au début des années 1990, les DRH ne constituaient pas un groupe homogène et que leur itinéraire professionnel était varié.

Deuxième étude – Plus récemment (2009), Patrick M. Wright et Mark Stewart ont documenté le profil de plus d’une centaine de dirigeants RH américains provenant de grandes entreprises (For­tune 500). Pour ce faire, ils ont utilisé deux moyens : recueillir les informations disponibles à partir de sources publiques sur le web (biographies, communiqués de presse, rapports annuels, etc.) et un sondage sur leur cheminement de carrière.

Notre étude

Nous avons contacté par courriel un échantillon de leaders RH (directeurs, vice-présidents) d’entreprises québécoises ayant plus de 500 employés, afin de les inviter à nous transmettre leur curriculum vitæ. Une approche intensive a été privilégiée : outre le profil démographique, la formation, l’expérience, la durée des emplois, nous avons documenté en particulier chacun des mouvements de carrière (promotion, rétrogradation, déplacement latéral dans ou hors de la fonction et changement d’employeur).

Au besoin, nous avons communiqué avec les répondants afin de compléter l’information manquante. Ensuite, un bref questionnaire en ligne nous a permis d’évaluer leurs stratégies de gestion de carrière ainsi que leur jugement sur leur progression, leur sentiment de réussite professionnelle et leur réalisation au fil des années. Enfin, chacun des répondants a fait part de trois recommandations qu’il souhaite faire aux professionnels RH en progression.

Jusqu’ici, le parcours de 52 dirigeants RH a été documenté, soit un taux de participation de 60 % parmi les individus contactés. Toutefois, il faut souligner que l’échantillon ne contient qu’une faible pro­portion (10 %) de représentants du secteur public et parapublic.

Quelques résultats dignes d’intérêt

La durée de la carrière des dirigeants RH ayant participé à l’étude varie de 20 à 43 ans avec une médiane à 29 ans. Fait à noter, seulement 20 % d’entre eux ont moins de 20 ans d’expérience en gestion des ressources humaines (le minimum se situant à 10 ans). Il s’agit donc d’un groupe véritablement expérimenté sur le plan professionnel.

1er constat – La fonction RH semble avoir pratiquement atteint la parité

Les leaders RH constituent probablement le contingent le plus en voie d’atteindre l’équilibre hommes/femmes parmi les membres des comités de direction des entreprises, puisqu’il est composé à 48 % de femmes. Ce taux est légèrement supérieur à celui observé chez les dirigeants RH américains (44 %). Par contre, il faut souligner l’immense progression des femmes au sommet de la fonction ressources humaines au cours des dernières années. En effet, leur taux de présence n’était que de 22 % selon l’étude réalisée au Québec au début des années 1990.

Une donnée nous permet de prédire que l’écart hommes/femmes restant au Québec (2 %) devrait être vite comblé – sinon dépassé –, car les leaders RH féminines ont environ 10 ans de moins (elles ont majoritairement entre 46 et 50 ans) que les hommes de notre échantillon (qui ont plutôt entre 56 et 60 ans).

Pour les professionnels RH en progression, il est intéressant de constater que l’âge médian des dirigeants RH de notre étude est de 53 ans, ce qui correspond exactement à celui qui est observé au sein du contingent américain. Il est difficile de déterminer si cet âge varie à la hausse ou à la baisse dans le temps, car cette donnée n’est pas disponible dans la première étude.

2e constat – Une solide formation s’impose

La presque totalité (98 %) des leaders RH de cette étude détient un diplôme universitaire, dont une majorité au premier cycle (60 %). Il s’agit d’une nette amélioration de la situation observée il y a 25 ans, puisque 20 % des dirigeants RH avaient alors un niveau de scolarité inférieur au baccalauréat.

Soulignons cependant que la proportion actuelle de leaders RH québécois ayant un diplôme de maîtrise (36 %) n’est pas significativement supérieure à celle du début des années 1990 (30 %). De plus, ce taux reste passablement plus bas que celui des dirigeants RH américains (58 %). Considérant l’ampleur des défis à venir, on peut s’inquiéter de cette situation.

Autre donnée intéressante : 30 % des dirigeants RH américains ont opté pour une formation de deuxième cycle en gestion (MBA), alors que les leaders RH québécois ont plutôt privilégié des études supérieures en gestion des ressources humaines ou en relations industrielles (plus de 70 %). Notons que le MBA est aussi un choix relativement populaire parmi les leaders RH d’ici (plus de 25 %). L’écart entre les deux groupes quant au domaine d’études supérieures peut en partie s’expliquer par le nombre limité de programmes de maîtrise spécialisée en gestion des ressources humaines aux États-Unis, comparativement au Québec.

3e constat – Il est encore possible de faire toute sa carrière en ressources humaines

Il existe présentement un débat concernant l’importance de consacrer une partie de sa carrière hors de la fonction RH afin d’atteindre un poste de direction. Selon certains, ce choix stratégique permettrait au leader RH d’acquérir une meilleure compréhension des opérations de l’entreprise tout en gagnant une certaine crédibilité auprès des autres membres du comité de direction.

Il y a 25 ans, la première étude révélait que seuls 37 % des répondants avaient travaillé uniquement dans la fonction ressources humaines. La proportion observée dans notre étude est de 56 %, ce qui est aussi nettement supérieur au taux de 40 % observé chez les dirigeants RH américains. Fait à noter, parmi les leaders RH québécois affirmant n’avoir pas œuvré seulement en ressources humaines, 14 % ont aussi affirmé que leur séjour hors de la fonction RH se limitait à une période de trois ans et moins. Fait intéressant, pour une majorité des répondants à cette étude, le fait de passer l’essentiel, sinon la totalité de leur carrière dans la fonction RH n’a pas été une barrière à leur progression.

4e constat – Les dirigeants RH analysés ont beaucoup bougé au cours de leur carrière

Les participants à cette étude occupent leur poste actuel depuis cinq ans en moyenne, une donnée qu’il faut interpréter avec précaution. En effet, cinq d’entre eux occupent leur fonction depuis 14 à 20 ans. En fait, la médiane, qui se situe à trois ans, reflète mieux la situation observée. Elle est aussi similaire à celle des dirigeants RH américains. Donc, une majorité des leaders RH de cette étude sont assez nouveaux à leur poste.

Une question intéressante découle de cette observation : ont-ils été promus de l’interne ou proviennent-ils de l’extérieur de l’organisation? Les données recueillies montrent que 60 % des leaders RH proviennent de l’externe, un taux deux fois plus élevé que celui observé dans le contingent américain. La fonction RH serait-elle un cordonnier mal chaussé faisant la promotion du développement de la relève dans l’entreprise, mais négligeant d’avoir les mêmes exigences pour elle-même? Serait-il difficile, pour un professionnel RH en progression, de faire reconnaître sa valeur et sa contribution dans sa propre organisation?

Les données collectées indiquent que les 52 dirigeants RH ont en moyenne effectué huit mouvements de carrière chez cinq employeurs différents avant d’atteindre leur poste actuel. Ils ont donc été particulièrement actifs dans la gestion de leur évolution professionnelle. Beaucoup reste à dire sur la nature de leurs mouvements de carrière de même que sur le regard rétrospectif qu’ils portent sur leur progression.

Dans un texte ultérieur, nous poursuivrons l’étude du cheminement des leaders RH québécois vers l’atteinte du sommet. Nous nous pencherons aussi sur le regard qu’ils portent sur leur parcours professionnel.

  • 29 ans
    Durée médiane de la carrière des leaders RH interrogés
  • 3 ans
    Durée médiane d’occupation d’un poste de leader RH
  • 60 %
    proviennent de l’extérieur de l’organisation ou d’une autre fonction de l’organisation

Source : Revue RH, volume 19, numéro 1, janvier/février/mars 2016.


Références bibliographiques

  • Charan, Ram; Dominic Barton & Dennis Carey, «People Before Strategy: A New Role for the CHRO», Harvard Business Review, July-August 2015, p. 63-71.
  • Duyck, Jean-Yves (2005). « Le DRH de demain: d’où vient-il? », Management & Avenir, vol. 2, no 4, p. 201-220.
  • Foucher, Roland et Suzanne Cardin (1992). « Les cheminements de carrière des directeurs de ressources humaines », Info Ressources Humaines, vol. 16, p. 24-26.
  • Wright, Patrick M. & Mark Stewart, «What does today’s CHRO look like?» dans Patrick M. Wright (ed.) et al., The Chief HR Officer: the New Role of Human Resource Leaders, Jossey-Bass, 2011.
  • Zenger, Jack & Joseph Folkman, «What Separates Great HR Leaders from the Rest», Harvard Business Review on line, August 17, 2015.

Dominique Boutin, CRHA Directrice des ressources humaines Topring

Author
Alain Gosselin, CRHA, Distinction Fellow Professeur émérite HEC Montréal.
Complice de longue date des activités et projets de l’Ordre, Alain Gosselin, Ph.D., Fellow CRHA est professeur honoraire à HEC Montréal. Il intervient également à l’École des dirigeants (HEC Montréal) dans les programmes en leadership, en développement organisationnel et en gestion des talents. Il agit aussi comme directeur du module Collaborative Mindset du programme EMBA McGill-HEC Montréal. En 2007, HEC Montréal lui a décerné son Grand prix de pédagogie et, en 2012, le prix Esdras-Minville qui souligne la contribution exceptionnelle d’un professeur au rayonnement de l’École par ses activités et ses réalisations dans les sphères universitaire, professionnelle et publique. Alain est coauteur du livre « Paroles de PDG : comment 75 grands patrons du Québec vivent leur métier », paru en 2014 aux Éditions Rogers. Les médias font souvent appel à son opinion et à sa vision du leadership, de la collaboration et des talents.