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À la recherche de l’alignement parfait

10 avril 2016
Joseph Anstett, CRHA

Parler de carrière, de nos jours, c’est porter un regard aiguisé et incisif sur l’odyssée humaine vécue dans le tumulte des trente dernières années, alors que le tissu social et économique des pays industrialisés passait par un malaxeur social qui a modifié à tout jamais la relation liant les individus et les générateurs d’emplois.

La carrière est une réalité, une constante, elle est au cœur de notre vie et de nos préoccupations fondamentales. De tous temps, la carrière a permis de servir les ambitions de l’être, tout autant qu’elle a fait perdre des illusions.

Que veut dire carrière, plutôt que travail? Il y a là une mesure d’intensité, celle que nous mettons à obtenir du travail plus que l’essence de celui-ci. Nous savons qu’au-delà du salaire, il y a le miroir des ambitions et de la réussite qui sont des amplificateurs à forte résonance sociale et personnelle. Pouvons-nous dire que, sans le travail, il n’y a point de salut? D’où nous vient donc cette notion sophistiquée appelée carrière?

L’historique économique et social

La référence à l’an 1981 s’impose, car l’économie mondiale avait pris cette année-là un tournant inattendu. D’une force insoupçonnée, elle se démarquait par une grande sous-utilisation de la capacité de production mondiale. La crise économique allait se maintenir, ne laissant aucun espoir de retour à la normale à courte échéance; l’économie était clairement en récession. Face à cette réalité, le monde industriel a dû réagir en utilisant des avenues nouvelles et des modèles de réductions d’effectifs articulés et structurés. En premier, il y eut des départs volontaires au sein de la strate d’employés s’approchant de la retraite. Puis, la situation de crise dicta l’approche par réduction massive d’effectifs – le monde industriel venait ainsi d’innover avec le licenciement massif. Devant ce maelstrom économique, le monde des affaires passa du licenciement massif à la restructuration des modèles d’affaires, à l’adaptation des structures organisationnelles aux modèles d’affaires. Le mouvement s’amplifia avec la venue d’un nouveau concept de croissance organisationnelle appelé « fusions et acquisitions ». Dans cette tourmente complexe à dimensions variables, les notions de loyauté, de pérennité, de carrière et d’employabilité furent hautement malmenées.

Dans le modèle économique d’avant 1981, la gestion de carrière reposait sur la pérennité des entreprises, sur la durabilité des emplois et sur la loyauté; « du berceau au caveau », c’est ainsi qu’on qualifiait ce modèle ancestral. Désormais, l’emploi ne trouverait plus son refuge dans la pérennité.

Dossiers variés, même type de questions

Lorsqu'il est question de la carrière, trois questions essentielles permettent de mettre les choses en perspective :

  • Quel est mon doute existentiel ou ma satisfaction en regard de ma carrière?
  • Comment naviguer et aboutir en carrière?
  • Pourquoi est-ce exigeant, compliqué?

Quatre professionnels, quatre réflexions sur leur carrière

  1. Anne-Marie, vice-présidente à l’exploitation; Processus de revue de carrière et de positionnement
    Question soulevée : « Je suis une femme et j’ai le doute de l’imposteur! Comment croire à mon leadership? »
  2. Jean-Pierre, directeur principal en marketing; Processus de revue de carrière et positionnement
    Question soulevée : « À l’âge de 55 ans, ma carrière est-elle en fin de parcours? »
  3. Daniel, chef des services informatiques; Processus de revue de carrière et positionnement
    Question soulevée : « Puis-je changer de carrière? »
  4. Marguerite, conseillère en ressources humaines, partenaire d’affaires; Développement de sa carrière
    Question soulevée : « Dois-je changer d’entreprise, car mon développement personnel y est limité? »

Un nouveau modèle

La nouvelle mouvance économique modifia le tissu social et fit disparaître la notion d’entreprise providence. Les entreprises allaient payer une note salée pour avoir contribué à la dévalorisation de la notion de loyauté. Les générations successives en porteraient les stigmates et développeraient des réflexes nouveaux dans les rapports sociaux propres à la carrière et aux générateurs d’emplois.

Trente années ont passé... Le licenciement technique demeure un outil de gestion des effectifs, ainsi que l’adaptation des structures organisationnelles aux modèles d’affaires. De nos jours, on licencie aussi pour « incompatibilité » de vision ou de complicité stratégique, l’apanage des hautes sphères organisationnelles. L’outil « fusions et acquisitions » est une panacée pour gagner des parts de marché, se diversifier et soutenir la croissance de l’avoir des actionnaires.

Darwin a bien dit que les espèces doivent s’adapter pour survivre. C’est l’une des grandes prémices de l’évolution de toute espèce. L’individu a fini par fourbir ses nouveaux outils et ajuster son modèle comportemental pour gérer sa carrière. Le milieu des affaires demeure un grand terrain de jeux pour lui, là où il peut alimenter ses ambitions, découvrir son potentiel de réalisations, développer ses expertises et son leadership latent. Alors, qu’en est-il de cette évolution?

L’individu est devenu plus autonome. Il cherche un rapport social-travail plus équilibré, demande que la relation se rapproche du partenariat, exige de la formation, des occasions de développement et du respect. Sa loyauté est désormais à l’aune de sa satisfaction au travail, il cherche principalement la reconnaissance. De plus en plus d’entreprises évaluent annuellement la satisfaction organisationnelle auprès du personnel pour mesurer la « température ambiante ». L’individu, l’être humain en entreprise, exige sa place, le droit à la parole; il sait qu’il peut quitter son employeur s’il le désire. Il est aussi sollicité de l’extérieur. En effet, le milieu de travail n’est plus imperméable, les médias sociaux privés et d’affaires apportent des ouvertures nouvelles et des modes de fonctionnement qui transcendent les barrières physiques. La législation enrichit le bagage humain, le droit de la personne, la confidentialité, l’équité et le respect, le chemin vers un équilibre travail-famille se trace. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres : l’individu doit poursuivre son émancipation, gérer son risque et manifester ses choix, maintenant son offre de service toujours à jour. L’étendue de la carrière s’étire désormais vers un horizon de cinquante années, selon Peter Drucker dans Managing oneself.

Le produit

La gestion de carrière suggère que l’individu se considère comme un produit à la recherche d’un marché. Le produit étant l’ensemble des éléments qui permet de cerner la valeur marchande de la personne et de son potentiel de commercialisation. Communément, on trouve dans cette enveloppe les expertises, les préférences, les attentes, les compromis personnels, les ambitions, les expériences, et les objectifs personnels et professionnels. Amener de l’éclairage sur le contenu de l’enveloppe est une tâche rigoureuse et ardue et nécessite un bon degré d’authenticité, comme regarder le composite humain et professionnel avec un sens critique et de l’humilité. L’éminente Marie Curie disait en son temps : « Nous devons croire que nous sommes doués pour quelque chose, et que ce quelque chose, peu importe le prix, doit être identifié et réalisé. » Quelle maîtrise dans la pensée, la sagesse et le sens de la réalité.

La première pierre

La première pierre est celle qu’il faut déposer pour planifier sa carrière, que ce soit au début ou chemin faisant; l’individu doit donc identifier en quoi il est doué, ensuite identifier les activités qui lui tiennent à cœur, car la réussite en carrière repose sur l’alliage de choses qu’on aime faire et celles pour lesquelles on est doué. Nous appelons cela « l’alignement parfait ».

Il faut savoir se prêter à la rétroaction, à l’évaluation de son potentiel, demeurer critique envers soi-même, apprendre à construire à partir de sa réalité, faire des choix réalistes empreints de plaisir, ne pas demeurer dans l’antichambre des mythes socioculturels.

La particularité de chacun

En gestion de carrière, il faut régulièrement débroussailler le chemin, interpréter les passages antérieurs et les résultats obtenus. Il y a aussi la nécessité de revoir et de questionner son identité professionnelle et personnelle, et ceci, avec des outils appropriés. Le travail de validation est fondamental, qu’il concerne l’entreprise et le poste occupé ou le marché externe. Il faut constamment être à l’affût des indices de référence proposés par le marché. Savoir si son produit est compétitif, si on devrait faire des mises à jour, si on a fait grandir sa richesse, son savoir-être et son savoir-faire, si on a atteint un point de saturation dans l’entreprise.

La mise en marché

À l’instar des produits et services de consommation, l’individu a compris qu’il avait intérêt à utiliser les mêmes outils pour se « commercialiser ». Il comprend que sa carrière est désormais entre ses mains.

De leur côté, les entreprises ont commencé à mettre en place des approches de gestion de carrière reposant sur un axe fondamental : l’employé est responsable du développement de sa carrière, l’entreprise sera un facilitateur de processus par l’entremise de gestionnaires-coachs. Approche encore peu répandue, le modèle prend cependant sa place au cœur des entreprises, révèle L’étude Odyssée, réalisée en 2014 par Optimum Talent auprès de douze entreprises au Québec. Celles qui emboîtent le pas font la promotion de cette culture de développement. Les effets sont mesurables : la satisfaction des employés et une performance accrues sont au rendez-vous, le service à la clientèle s’accroît, la responsabilisation des partenaires est mise en examen, la haute direction est omniprésente. Le modèle crée un avantage compétitif indéniable, il porte de grandes promesses pour la carrière et la satisfaction au travail.

Savoir cibler

La focalisation est essentielle. L’individu, fort de son identité professionnelle et personnelle, devra décider ou se rendre. Il a la capacité et les outils pour valider et comparer, possède une conscience, qui est sélective, et doit se questionner sur les expériences passées, les bons choix. Encore une fois, il s’agit d’utiliser sa réalité, son identité professionnelle. Il faut fouiller pour bien cibler, ne pas se laisser charmer, mais plutôt être curieux face à la sollicitation et demeurer pragmatique. L’individu doit se demander pourquoi une entreprise ainsi que sa culture organisationnelle et d’affaires lui conviendraient.

Dans la gestion de carrière assistée par des professionnels, les éléments ci-dessus seront examinés à la loupe et des outils seront développés : un curriculum vitæ, un plan d’action, une formation en entrevue. Il faudra maîtriser des outils de recherche ou de réseautage comme LinkedIn. La démarche peut se faire sans aide, pourvu que la personne y mette l’énergie nécessaire, de la méthode et de la détermination.

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Source : Revue RH, volume 19, numéro 1, janvier/février/mars 2016.


Références bibliographiques
  • Trente années de licenciement, Joseph Anstett, Toile des recruteurs, 2014
  • Managing oneself, Peter Drucker, extrait publié en 1991, voir le livre
  • L’étude Odyssée, Optimum Talent 2014, auprès de 12 entreprises au Québec. Étude privée
  • La finalité de l’œuvre, Joseph Anstett, Toile des recruteurs, 2014
  • De Lidère à la notion de leadership, Toile des recruteurs, 2014

Joseph Anstett, CRHA