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Action collective : Risques et solutions RH

10 avril 2016
Vincent de l'Étoile <br/>Catherine Galardo, CRHA

Oiseaux en papiersL’action collective (nommée auparavant recours collectif) existe au Québec depuis près de quarante ans. Ce véhicule juridique à grand déploiement est toutefois en constante évolution et en quête de renouveau, en ce qui concerne tant ses caractéristiques que les industries, les secteurs d’activité et les pratiques envers lesquels il est employé. Les enjeux de gestion des ressources humaines au sein de l’entreprise n’y font pas exception…

Cherchant à éviter une discussion de nature juridique et technique sur l’action collective, cet article aborde les concepts essentiels de l’action collective et l’incidence qu’elle peut avoir sur la gestion des ressources humaines.

L’action collective peut viser pratiquement n’importe quelle dimension de l’entreprise. Tous produit ou service, pratique de commerce, procédé et action de l’entreprise peuvent en théorie faire l’objet d’une action collective, et ce, que l’on soit en présence d’un comportement systémique ou d’un événement unique.

Généralement réservée aux produits et services de consommation et aux événements affectant la vie en société sous toutes leurs déclinaisons, l’action collective connaît un essor progressif en droit de l’emploi dans des domaines relevant traditionnellement des ressources humaines et des relations du travail.

Des justiciables québécois tentent de plus en plus fréquemment de faire valoir les droits et réclamations d’employés envers leur employeur par l’entremise d’une action collective. C’est une façon de faire notamment influencée par des initiatives entreprises aux États-Unis et dans d’autres provinces canadiennes. Le gestionnaire des ressources humaines doit être informé de ce risque pour l’organisation dans la gestion des effectifs, dans l’implantation de nouveaux procédés ou le traitement des conditions de travail des employés.

Qu’est-ce que l’action collective?

Une action collective est un recours judiciaire permettant à une personne – le représentant – de poursuivre une entreprise ou un individu pour le compte d’un groupe de personnes étant dans une situation identique ou similaire à la sienne – les membres –, sans toutefois obtenir leur accord ou leur autorisation.

Ainsi, une seule personne s’estimant lésée peut saisir les tribunaux pour tenter d’entreprendre une action collective et potentiellement exposer l’entreprise à des répercussions financières, humaines, médiatiques et juridiques considérables.

Le déroulement de l’action collective

Pour instituer une action collective, on doit absolument obtenir l’autorisation d’un juge de la Cour supérieure du Québec. Cette étape de vérification et de filtrage est communément appelée « étape de l’autorisation ».

Les critères permettant à la Cour d’autoriser une action collective sont les suivants :

  • Les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes. Ce critère requiert la démonstration que les questions en litige donnent lieu à un traitement collectif, de sorte que l’admission de ces questions pour le représentant bénéficiera à tous les membres, sans qu’il soit nécessaire de répéter l’analyse. Ce critère requiert aussi une définition appropriée du membre du groupe visé par l’action collective, de façon à ce que chacun puisse aisément savoir dès le départ qu’il est concerné par le recours.
  • Les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. Ce critère requiert la démonstration que le représentant bénéficie d’une apparence de droit ou présente une cause défendable, sans qu’il soit nécessaire d’évaluer les chances de succès du litige.
  • La composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’obtention d’un mandat de chacun des membres ou la réunion de plusieurs recours individuels. Ce critère requiert la démonstration qu’il existe un nombre suf­fisant de membres dans l’action collective proposée.
  • Le membre auquel on entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

Ce critère requiert la démonstration que le représentant sera à même de mener l’action collective à bon port. Ce critère est aisément satisfait si le représentant a une cause d’action, a les capacités pour entreprendre le recours et n’est pas en situation de conflit d’intérêts.

De façon générale, le test de l’autorisation vise à assurer que l’action collective proposée n’est pas frivole et qu’un défendeur ne sera pas poursuivi sans fondement. L’absence de l’un ou l’autre des critères fera obstacle à l’autorisation d’exercer l’action collective et, incidemment, entraînera le rejet du recours.

Inversement, et sous réserve de droits d’appel, la satisfaction des quatre critères d’autorisation emportera l’autorisation d’exercer l’action collective. Le recours mènera alors à un procès collectif, dans lequel le débat sur la situation du seul représentant pourra engager la responsabilité de l’entreprise à l’endroit de tous les membres visés par l’action collective.

Par ailleurs, à l’ère de la mondialisation, on assiste plus souvent à des actions collectives intentées simultanément contre une même entreprise dans plusieurs provinces ou encore à une action collective visant à inclure des membres situés dans des provinces différentes.

Usuellement, le délai entre le dépôt de l’action collective et le jugement d’autorisation va de un à trois ans, en fonction de la complexité des enjeux et du nombre de parties. Si l’action collective est autorisée, son déroulement jusqu’à l’obtention d’un jugement final pourra s’étaler sur plusieurs années, chaque cas demeurant un cas d’espèce.

L’action collective en droit de l’emploi

Par nature, chaque employé de l’entreprise présente des caractéristiques différentes, considérant notamment ses fonctions, son ancienneté, son contrat et ses conditions de travail, son lieu de travail et une panoplie de facteurs individuels qui lui sont propres.

La présence de considérations intrinsèquement individuelles faisait naturellement obstacle à la possibilité d’entreprendre une action collective. En effet, le traitement de la réclamation d’un individu pouvait difficilement être transposé à un autre individu sans nécessiter de répéter l’analyse factuelle et juridique sous-jacente au recours.

Ainsi, les actions collectives en droit de l’emploi s’intéressant à des pratiques de gestion des ressources humaines ont rarement été tentées, et rarement été autorisées par les tribunaux. La subjectivité de la situation vécue par chaque employé et sa réalité unique étaient de nature à justifier autant de procès qu’il existe de membres, ce qui est l’antithèse de l’action collective.

Toutefois, avec la libéralisation de l’étude des critères d’autorisation, la souplesse du régime québécois et la propension des tribunaux à autoriser l’exercice de l’action collective, il devient désormais possible d’entreprendre une action collective pour tenter de sanctionner une pratique, un événement ou la modification du traitement affectant un groupe d’employés.

Un survol de la jurisprudence nord-américaine permet de conclure que les pratiques suivantes, notamment, pourraient mener à une action collective en droit de l’emploi :

  • empêchement systémique à l’avancement pour des groupes d’individus;
  • disparités de traitement pour des employés effectuant de mêmes tâches;
  • modification unilatérale des conditions et modalités d’emploi de travailleurs (lors d’une restructuration ou d’une réaffectation des ressources par exemple);
  • traitement irrégulier de bénéfices aux employés (gestion des heures supplémentaires, paiement de commissions ou autres éléments de rémunération);
  • modification unilatérale de régimes d’assurance, de régimes de retraite ou d’autres avantages sociaux.

Sans être alarmiste, on peut affirmer que la possibilité de faire face à une action collective visant des pratiques ou politiques de l’organisation ou des modifications aux conditions de travail devrait être considérée comme un risque réel; la matérialisation de cette action pourrait en effet devenir un lourd fardeau pour l’entreprise, freiner son évolution ou mettre en péril ses plans de développement.

Le gestionnaire des ressources humaines a ainsi avantage à veiller au respect de la législation et des politiques de l’entreprise qui s’appliquent aux employés et à s’assurer de la validité de toute modification projetée à leurs conditions de travail. De même, il doit demeurer à l’affût d’indices qui révèlent la présence d’une problématique systémique pouvant avoir des répercussions pour plusieurs employés.

Toutefois, et bien que chaque cas demeure un cas d’espèce, il se pourrait que les enjeux en milieux syndiqués ne puissent pas être visés par l’action collective, en raison de la compétence exclusive de l’arbitre de grief sur les relations du travail.

Des développements à suivre

L’action collective demeure en constante évolution, sujette à de nouveaux raffinements et prompte à l’émergence de nouvelles tendances. Notamment, le 1er janvier dernier, à l’occasion de l’adoption du Nouveau Code de procédure civile, de nouvelles dispositions régissant l’action collective ont modifié le déroulement de l’action collective et donneront certainement lieu à des développements jurisprudentiels intéressants.

L’action collective est néanmoins bien implantée au Québec, et il existe peu de limites à son emprise, incluant la gestion des ressources humaines.

Source : Revue RH, volume 19, numéro 1, janvier/février/mars 2016.


Vincent de l'Étoile
Catherine Galardo, CRHA