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Travailleurs étrangers temporaires : bien comprendre et bien gérer les risques

Pendant des années, le gouvernement fédéral a facilité l’embauche des travailleurs étrangers temporaires. Il a maintenant changé de cap pour rendre leur embauche plus difficile, en quadruplant les frais d’accès au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), en créant des conditions plus restrictives, en se dotant d’un droit d’inspection sans mandat et en imposant de lourdes sanctions aux employeurs qui ne sont pas conformes. Ce virage politique survient après quelques cas bien médiatisés d’abus de l’ancien programme. Le gouvernement reprochait également à de nombreux employeurs canadiens de faire des travailleurs étrangers temporaires le fondement de leur modèle de recrutement. Avec la refonte de ce programme, le gouvernement fédéral cherche à s’assurer qu’il servira seulement de dernier recours et veut ainsi mieux protéger les marchés du travail locaux et régionaux.

6 juillet 2015
Timothy Morson | Tania Friedrich, CRHA

Sigles

PTET – Programme des travailleurs étrangers temporaires

EIMT – Étude d’impact sur le marché du travail

PMI – Programme de mobilité internationale

Renforcer les mesures coercitives et alourdir les peines sont un but explicite des réformes pour décourager le recours aux travailleurs étrangers temporaires et privilégier la main-d’œuvre canadienne. Des sommes considérables sont promises pour son système d’inspections, qui a débuté en mars 2015 et qui visera annuellement un employeur sur quatre embauchant des travailleurs étrangers.

En plus d’accroître considérablement le nombre d’inspections, le gouvernement a récemment élargi les pouvoirs des enquêteurs pour que ceux-ci soient mieux outillés « pour prendre au collet les employeurs qui enfreignent les règles », selon ses propres mots. Ainsi, les enquêteurs pourront désormais effectuer des visites sur les lieux de travail sans mandat, interroger des travailleurs étrangers temporaires et vérifier les salaires, les conditions de travail et les emplois qui leur sont offerts.

À des fins administratives, l’ancien programme des travailleurs étrangers temporaires a été scié en deux. Le nouveau PTET est maintenant uniquement voué au traitement des demandes d’Étude d’impact sur le marché du travail (EIMT, anciennement l’Avis relatif au marché du travail) qui relèvent de la juridiction d’Emploi et Développement social Canada et de Service Canada. Le nouveau Programme de mobilité internationale (PMI) dessert ceux qui demandent une exemption du processus d’EIMT ou une dispense du permis de travail, une compétence qui relève de Citoyenneté et Immigration Canada.

Ces modifications obligeront les employeurs à implanter de nombreuses mesures pour s’assurer de demeurer conformes, faute de quoi ils pourraient se voir imposer des amendes allant jusqu’à 100 000 $ et se faire exclure du programme.

Le Québec et les réformes fédérales
Au Québec, où il existe un processus simplifié pour les demandes d’EIMT, les modifications au PTET par le fédéral ont été dénoncées à la fin d’avril 2015 par la ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Mme Kathleen Weil, faute d’arriver à une entente sur leur mise en œuvre. Craignant que les changements nuisent aux entreprises et aient un impact économique négatif, Québec a demandé à Ottawa de surseoir à l’implantation des réformes, qui était prévue le 30 avril lors de la rédaction de cet article. Des modifications pourraient avoir été apportées depuis. Le gouvernement fédéral, pour sa part, avait déjà indiqué que les réformes s’appliqueraient partout au pays dès le printemps 2015. Plusieurs aspects du PMI sont en vigueur depuis 2014.

Le PMI est quand même le plus important des deux programmes au Québec. En 2013, l’année la plus récente pour laquelle des statistiques sont disponibles, 26 755 permis de travail avec une exemption de l’EIMT ont été octroyés à des travailleurs étrangers destinés au Québec, contre 13 780 permis émis sur la base d’une EIMT. On peut s’attendre à ce que le nombre de demandes d’EIMT pour des employés à rémunération peu élevée chute de près de 50 % d’ici 2016, selon les prévisions du gouvernement fédéral.

La rémunération comme point de référence
Dans un premier temps, la rémunération devient le point de référence principal pour les deux programmes, le PTET et le PMI (sauf dans le cas de demandes faites sous un accord international comme l’Accord de libre-échange nord-américain - ALENA), plutôt que la Classification nationale des professions. Cela permet aux agents d’analyser de façon plus objective les besoins sur le plan des compétences et de la main-d’œuvre dans un secteur donné. Ainsi, le PTET fera une distinction entre les travailleurs étrangers recevant un salaire inférieur au salaire médian provincial, soit les travailleurs à rémunération peu élevée, et ceux qui reçoivent un salaire équivalent ou supérieur au salaire médian, soit les travailleurs à rémunération élevée. Au Québec, le salaire médian est de 20 $ l’heure.

Un employeur qui compte dix employés ou plus sera limité à partir de 2016 à 10 % de travailleurs étrangers à rémunération peu élevée pour chaque lieu de travail. Des provisions intérimaires ont été introduites pour permettre aux employeurs qui dépassent cette limite de réduire graduellement leur effectif étranger.

Congédiement et réduction des heures de travailleurs canadiens
Un employeur qui congédie des employés canadiens ou réduit leurs heures de travail dans un lieu de travail où l’on a embauché des travailleurs étrangers temporaires pourrait enfreindre le nouveau règlement. Il est donc primordial de gérer la main-d’œuvre canadienne et étrangère de façon à ne pas mettre à risque le complément étranger.

Pièges coûteux
  • Mal documenter une demande d’EIMT.
  • Croire que la conformité des contractuels et sous-traitants sur les lieux de travail de l’employeur n’est pas de sa responsabilité.
  • Ne pas suivre les exigences en matière de salaires.
  • Changer les responsabilités principales, les heures ou le salaire d’un travailleur étranger temporaire après son embauche et sans l’autorisation préalable d’Emploi et Développement social Canada (EDSC).
  • Mal documenter le recrutement.
  • Ne pas donner suite à un plan de transition.
  • Mal gérer les cas de santé et sécurité ou des plaintes de harcèlement.
  • Ne pas consulter EDSC ou Citoyenneté et Immigration Canada avant d’apporter des modifications dans un plan de transition.
  • Ne pas communiquer les responsabilités en matière d’immigration aux gestionnaires de l’entreprise.

Demande d’Étude d’impact sur le marché du travail (EIMT)
Emploi et Développement social Canada s’engage à traiter dans un délai de dix jours ouvrables les demandes d’EIMT pour les métiers spécialisés en forte demande, les professions les mieux rémunérées et les emplois de courte durée (120 jours ou moins) pour qui les renouvellements ne seront pas autorisés, sauf exception. Dans tous ces cas, la demande de l’employeur doit réussir l’examen rigoureux de tous les éléments d’une EIMT.

L’EIMT est un processus plus complet et rigoureux par rapport à l’ancien Avis relatif au marché du travail. Avec l’EIMT, les employeurs doivent démontrer qu’ils ont fait des efforts considérables et sincères pour recruter ou former des Canadiens et qu’ils n’ont pas réussi à trouver des Canadiens pour répondre à leurs besoins de main-d’œuvre et de compétences.

Recrutement
Les postes à pourvoir doivent être affichés pendant au moins quatre semaines avant de pouvoir entamer une demande d’EIMT, et les postes doivent demeurer affichés jusqu’à ce que la demande soit approuvée. Au minimum, le poste doit être affiché sur le Guichet-Emplois du Canada ou Emploi-Québec, et sur au moins deux autres sites ou plateformes conformes à la méthode de recrutement pour la profession en question et dont une doit être de portée nationale. Lors de la demande, l’employeur doit fournir des renseignements sur ses efforts de recrutement de Canadiens, sur le nombre de Canadiens qui ont posé leur candidature à chaque poste pour lequel il désire recruter un étranger, sur le nombre de Canadiens rencontrés en entrevue et tous les justificatifs démontrant pourquoi leur candidature n’avait pas été retenue.

Plan de transition pour les postes à rémunération élevée
Pour embaucher un travailleur étranger temporaire à rémunération élevée, les employeurs auront à fournir un plan de transition avec leur demande d’EIMT pour garantir qu’ils prennent des mesures pour réduire leur dépendance aux travailleurs étrangers et pour aider des Canadiens à acquérir les compétences recherchées. Les employeurs auront donc à investir dans la formation, à embaucher plus d’apprentis ou à aider un travailleur étranger spécialisé à obtenir sa résidence permanente ainsi qu’à entreprendre des activités de recrutement additionnelles auprès de groupes sous-représentés. Les autorités pourraient demander à un employeur de rendre compte du succès de son plan de transition lors d’une inspection ou d’une demande d’EIMT supplémentaire.

Conformité avec les lois provinciales
L’employeur est tenu non seulement de se conformer aux règlements en matière d’immigration, mais aussi aux lois et aux règlements fédéraux et provinciaux régissant le travail et le recrutement de main-d’œuvre dans la province où l’étranger travaille. Cela veut dire qu’un employeur qui déroge à ses responsabilités en matière de santé et de sécurité, par exemple, pourrait se voir interdire d’embaucher des travailleurs étrangers.

Nouvelles procédures pour le Programme de mobilité internationale
Jusqu’à tout récemment, les décisions de délivrer un permis de travail avec une dispense d’EIMT étaient prises en grande partie à la frontière et sans grande formalité. Tout cela a changé le 21 février 2015 avec la mise en place d’un nouveau système de surveillance de la conformité des employeurs qui demandent de telles exemptions. Dorénavant, les employeurs doivent fournir à Immigration Canada des renseignements sur leurs activités et un nouveau formulaire d’offre d’emploi, en plus de payer des frais de traitement de 230 $ par personne, et ce, avant l’arrivée de l’étranger au Canada.

Mutation interne de travailleurs spécialisés
Aucune EIMT n’est requise pour muter un travailleur spécialisé à l’intérieur d’une société qui est le ressort du Programme de mobilité internationale. Ce principe est entériné dans plusieurs accords internationaux, y compris l'ALÉNA. Les connaissances spécialisées sont par définition uniques, rares et détenues par un petit nombre d’employés d’une entreprise donnée. Le salaire serait généralement supérieur à la moyenne.

Intérêts canadiens
Le règlement 205 autorise un agent à délivrer un permis de travail à un étranger sans EIMT si le travail pour lequel le permis est demandé permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents. Il revient à l’employeur de démontrer avec preuve à l’appui et à la satisfaction de l’agent que ces avantages sont bien réels. En 2013, 46 700 étrangers ont pu bénéficier de ce règlement pour obtenir un tel permis de travail.

Conclusion
Les réformes du PTET et du PMI créent une panoplie de défis pour les employeurs. Il ne faut surtout pas prendre ces réformes à la légère. Les responsables des ressources humaines et de l’immigration doivent s’assurer de bien comprendre ces réformes, de les communiquer partout dans leur entreprise et de mettre en place un système qui ne laissera rien au hasard afin de bien protéger les intérêts de l’employeur, du gestionnaire et des employés.

L’expérience du Cirque du Soleil
Au Cirque du Soleil, la majorité des demandes de permis de travail pour des artistes et des employés spécialisés se fait dans le cadre du programme de mobilité internationale et est donc exemptée de l’EIMT. Le Cirque a cependant dû mettre en place des protocoles et des procédures pour s’assurer qu’il est conforme et que toute la documentation liée au recrutement des étrangers et les demandes de permis de travail sont archivées selon les règlements.

Timothy Morson, consultant règlementé en immigration canadienne (CRIC), directeur de l’immigration, Cirque du Soleil
Tania Friedrich, CRHA, directrice principale, personnes et organisation – spectacles, Cirque du Soleil

Source : Effectif, volume 18, numéro 3, juin/juillet/août 2015.


Timothy Morson

Tania Friedrich, CRHA Directrice Principale ressources humaines GIRO