En quoi consiste le talent?
Selon Lawler (2008) et Silzer et Dowell (2010), le talent dans les entreprises peut correspondre à trois notions :
- le savoir-faire, les compétences et les capacités – soit les talents – d’un employé, ce qu’il a réalisé antérieurement, ce qu’il est capable de faire pour l’organisation dans l’avenir;
- l’employé lui-même, ce qui signifie habituellement qu’il possède des connaissances, des compétences et des capacités particulières dans un domaine très précis;
- un groupe d’individus dans une entreprise.
Le groupe peut être un bassin d’employés dont les connaissances, les compétences et les capacités sont exceptionnelles dans un secteur technique précis, où ils démontrent une caractéristique particulière (l’esprit innovateur par exemple), ou encore dans un domaine plus général (notamment la gestion ou les qualités de leadership).
Il n’est ni souhaitable ni approprié que tous les postes de l’organisation soient pourvus par des employés à haut potentiel ou talentueux. En effet, si la gestion des talents vise tous les membres du personnel (au rendement tant satisfaisant qu’exceptionnel), il est difficile de la distinguer de la gestion traditionnelle des ressources humaines.
Quelques auteurs affirment que seulement 20 % à 30 % des employés d’une organisation peuvent potentiellement être qualifiés de haut potentiel ou de talentueux. Un tel postulat soulève plusieurs questions importantes en gestion des ressources humaines : dans quelle mesure les membres de l’entreprise sont-ils prêts à accepter une telle distinction culturelle entre les employés talentueux et les autres? L’organisation doit-elle implanter des pratiques de gestion des ressources humaines distinctes pour chacun des groupes d’employés? L’entreprise doit-elle développer le potentiel de tous ses employés? Comment gérer les attitudes et les comportements des employés qui ne sont pas considérés comme étant des individus talentueux ou à haut potentiel?
Le système de gestion des talents doit commencer par la détermination systématique des postes stratégiques qui contribuent de façon particulière à assurer un avantage concurrentiel durable à l’entreprise. Il existe une tendance grandissante qui prône une plus grande différenciation des rôles au sein des organisations. Pour que ces postes stratégiques aient un impact spécifique sur la performance organisationnelle de l’entreprise, il importe de les confier à des employés au rendement supérieur et à potentiel élevé. Il est donc nécessaire d’implanter une structure distincte de pratiques de gestion des ressources humaines, afin de faciliter la sélection des candidats talentueux pour ces postes stratégiques et d’entretenir l’engagement de ces joueurs clés envers l’entreprise. La sélection des candidats talentueux exige notamment une appréciation du potentiel des employés en milieu organisationnel.
Qu’est-ce que le potentiel humain en milieu de travail?Il existe plusieurs façons de définir le potentiel élevé d’un employé :
- capacité d’occuper des postes généraux de direction ou de cadre supérieur;
- capacité d’occuper des postes de cadre intermédiaire ou sur le plan technique ou fonctionnel;
- capacité d’offrir un rendement de grande valeur : l’employé très prometteur doit être gardé en poste; il faut veiller à son développement pour élargir son champ de responsabilités; l’employé peut également présenter un dossier impeccable témoignant d’un rendement exceptionnel en tout temps;
- possibilité de perfectionnement : l’employé reste au même niveau, mais sa tâche s’enrichit, il peut être qualifié de collaborateur clé;
- possibilité de maîtrise : l’employé reste au même niveau et effectue la même tâche; il pourrait être appelé professionnel de premier ordre ou expert de grande valeur.
Toutes ces définitions – sauf celle qui porte sur le rendement – tentent de décrire à quoi peut servir le potentiel… Dans chaque cas, on indique le but ultime : assumer des fonctions de cadre supérieur, prendre en charge des tâches générales de direction, contribuer à des rôles stratégiques précis ou démontrer des habiletés particulières au sein de l’entreprise (par exemple : démarrer une entreprise, gérer un groupe de développement de produits, chapeauter un virage organisationnel ou diriger une équipe de recherche à la fine pointe).
Silzer et Church (2009b) ont effectué une synthèse conceptuelle de la notion de potentiel à partir de trois principaux types de dimensions (présentée à la page suivante).
Structure des dimensions du potentiel | |
Dimensions fondamentales Constantes et stables, peu susceptibles de se développer ou de changer | |
Style cognitif |
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Personnalité |
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Dimensions liées à la croissance professionnelle S’intensifient lorsque la personne a des intérêts marqués dans un secteur, a l’occasion d’approfondir ses connaissances dans ses champs d’intérêt et évolue dans un milieu où on l’appuie et l’encourage | |
Apprentissage |
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Motivation |
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Dimensions liées à la carrière Premiers indices des compétences actuelles pour la trajectoire future de la carrière | |
Qualités de gestionnaires |
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Rendement actual |
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Connaissances, valeurs |
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Le potentiel est associé à des possibilités professionnelles dans l’avenir. Tandis que le rendement actuel représente un indice valable au moment de l’appréciation du potentiel, une telle caractéristique est insuffisante au moment de l’analyse du potentiel de l’employé. Les gestionnaires doivent éviter de basculer dans le paradoxe rendement / potentiel.
Quelques auteurs offrent un modèle conceptuel des caractéristiques supplémentaires qui orientent l’identification du potentiel :
- Les attitudes et les comportements de l’employé illustrent-ils la mission, les valeurs et la culture organisationnelle? L’employé contribue-t-il à renforcer la culture organisationnelle?
- Le rendement de l’employé dépasse-t-il largement et régulièrement les attentes et ses obligations envers l’organisation? L’employé obtient- il des résultats impressionnants? L’employé appuie-t-il de façon tangible ses collègues de travail? A-t-il une influence positive et constructive sur les membres de l’organisation?
- L’employé démontre-t-il une préoccupation soutenue à l’égard de son développement personnel et professionnel?
L’observation rigoureuse des comportements passés est nécessaire lors de la revue exhaustive du talent de l’employé. Par ailleurs, il est approprié d’apprécier également les dimensions sombres de la personnalité de l’employé au moment de l’exploration de son potentiel. Il est important de rappeler que l’identification du véritable potentiel de l’employé ne repose pas sur une seule réalisation impressionnante, mais plutôt sur une observation de longue durée d’une multitude de situations associées à son travail. Enfin, l’identification du potentiel ne doit pas se concentrer exclusivement sur le dépistage des employés ayant une forte personnalité. Si la personnalité est une composante essentielle du potentiel, il est pertinent de reconnaître qu’il y a des employés plutôt réservés qui peuvent être qualifiés de haut potentiel.
Principes qui orientent l’application du système de gestion des talents
Le système de gestion des talents doit se concentrer sur les employés qui, ayant un rendement exemplaire et présentant un potentiel très élevé, pourraient exercer un rôle stratégique.
Il y a généralement une prédisposition managériale à présumer que tout le personnel d’une organisation est géré en fonction d’un seul modèle de pratiques de gestion des ressources humaines. Ces pratiques visent souvent la justice et assurent le même traitement à tous. La définition de la gestion du talent reconnaît l’importance d’une structure différenciée des ressources humaines, qui rend compte de la contribution supérieure de certains groupes d’employés à la performance de l’entreprise. Une telle architecture des ressources humaines facilite le choix de candidats à haut potentiel ou talentueux aux postes stratégiques et veille à ce que ces employés modèles maintiennent leur engagement envers l’organisation.
Pour constituer une réserve de talents…Les facteurs suivants sont essentiels à la constitution efficace d’une réserve de talents. D’abord, les entreprises doivent alimenter la réserve de talents par un heureux mélange de développement interne et de recrutement externe; il est ainsi plus facile de gérer les risques associés au nombre, c’est-à-dire que l’entreprise doit avoir assez d’employés de talent pour satisfaire ses besoins sans pour autant en avoir trop et risquer de gaspiller ses ressources humaines. Ensuite, il est évident que, pour les entreprises, il est plus efficace de développer des talents pour satisfaire aux besoins généraux de l’organisation, plutôt que pour assurer la relève à des postes précis; ainsi, les organisations ne forment pas des employés dans le seul but de les confiner à des rôles spécialisés très spécifiques, mais elles leur permettent plutôt d’enrichir leurs champs de compétence pour qu’ils soient à même de jouer divers rôles le temps venu.
La constitution d’une réserve de talents doit mettre l’accent sur la gestion des risques reliés aux postes stratégiques, en l’occurrence les coûts associés aux résultats, lesquels sont difficiles à prédire. Parmi les principaux risques, il y a la possibilité de mal apparier le potentiel des employés, les compétences et les postes stratégiques.
On pourrait être porté à croire que ce sont les entreprises comptant le plus d’employés de talent qui l’emportent haut la main. Toutefois, elles ne peuvent tout simplement pas se permettre d’avoir des employés talentueux à tous les postes, compte tenu des ressources nécessaires pour attirer, choisir, développer et fidéliser ces employés. Ce sont les entreprises qui ont le juste pourcentage de talents qui gagnent. Les entreprises doivent adopter une approche à paliers pour gérer leur main-d’œuvre : elles confient les postes stratégiques à la crème de leur personnel; les postes de soutien stratégique et les postes de soutien organisationnel sont confiés aux autres employés selon leur rendement et leur potentiel. Les entreprises se départissent des employés dont le rendement est vraiment insatisfaisant. Elles éliminent également les postes sans valeur ajoutée. L’attribution des postes repose donc sur une analyse préalable et minutieuse du rendement et du potentiel des employés.
Il importe de bien souligner que les postes stratégiques n’ont aucun rapport avec la hiérarchie de l’entreprise; ces postes se trouvent à tous les échelons de l’organisation et peuvent correspondre à des tâches relativement simples, mais qui doivent cependant être exécutées avec créativité et en harmonie avec la stratégie de l’entreprise, de manière à la faire progresser. Actuellement, la documentation scientifique ne fournit pas une démarche complète sur la façon de définir les postes stratégiques, les postes de soutien stratégique et les postes de soutien organisationnel.
Il est difficile pour une entreprise d’assurer sa pérennité ou son succès à long terme sans une intégration réussie de la gestion des talents dans son modèle d’affaires. Elle doit donc attirer, sélectionner et fidéliser les employés de choix. Il ne suffit plus de compter parmi les meilleurs employeurs.
Denis Morin, CRHA, Ph. D., professeur agrégé en gestion des ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal
Source : Effectif, volume 13, numéro 2, avril/mai 2010.
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