Dans ce contexte, plusieurs situations difficiles attendent le consultant. Si elles constituent des défis, elles peuvent aussi devenir des pièges. Pour éviter ces pièges, un objectif général guide l’exécution de chaque mandat : l’efficacité de la consultation. Voici trois caractéristiques d’une consultation efficace…
- Les capacités du consultant : celui-ci définit la situation et intervient, établit une alliance de travail productive, choisit les stratégies, les méthodes et les outils de façon à assurer la qualité de sa démarche d’intervention et à l’adapter au milieu organisationnel qu’il considère dans sa totalité.
- L’appropriation par le client de la situation problématique, du changement et du suivi : le consultant favorise cette appropriation pour ainsi garantir un résultat à plus long terme.
- Les résultats obtenus : ceux-ci correspondent aux objectifs fixés dans un rapport entre les coûts et les bénéfices acceptable pour les deux parties, satisfont le client et le consultant, permettent à l’organisation d’améliorer sa performance et augmentent sa capacité à résoudre des problèmes similaires.
En résumé, le consultant évitera certains pièges s’il est attentif à sa propre compétence, au fait que le client assume son rôle pour atteindre les résultats organisationnels en lien avec la problématique et s’il cible ses actions en fonction de l’atteinte de résultats, de l’évolution et de la satisfaction des parties impliquées.
Explorons maintenant trois situations concrètes et spécifiques en vue de fournir des moyens ou une réflexion qui aideront le consultant à les prévenir et à les gérer : le client rejette ou modifie un rapport diagnostic; le consultant constate qu’il ne peut plus prendre ou poursuivre le mandat; le consultant découvre que le client a omis de lui fournir des informations pertinentes.
Le rapport diagnostic, une fois remis au client, tout comme la problématique et le résultat obtenu après une intervention organisationnelle appartiennent au client, qui est responsable auprès de son organisation des résultats obtenus à la suite de son recours à un consultant. De son côté, ce dernier a une part de responsabilité à l’égard des résultats, mais uniquement à travers son rôle principal, c’est-à-dire celui de gérer les processus d’intervention, relationnel et décisionnel propres au mandat. Dans ce contexte, si le consultant ne veut pas que le rapport soit placé sur une tablette, il doit s’assurer que le client l’approuve et qu’il en est satisfait de sorte qu’il l’utilisera par la suite pour intervenir dans la situation. On peut en conclure que le client peut faire ce qu’il veut avec le rapport. Mais le consultant ne veut pas que son rapport soit utilisé de façon inappropriée. Il a une responsabilité professionnelle à l’égard du contenu du rapport, soit celle de transmettre une information juste et complète qui reflète la réalité et qui vise un résultat positif pour toutes les parties impliquées, dans le respect de la confidentialité.
Pour éviter les problèmes et les surprises de dernière minute, voici quelques suggestions…
- Discuter des modalités (forme et contenu) du rapport avant même de faire l’intervention pour clarifier le mandat, entendre ce que souhaite le client comme impact et conséquences, savoir ce qu’il compte faire du rapport et à quelles fins, orienter le choix du processus de consultation (les participants et les moyens) et décider si on accepte ou non ce mandat.
- Avant d’écrire et de déposer le rapport, sans dévoiler les données recueillies, tester oralement certains contenus délicats qui pourraient apparaître dans le rapport. Il ne s’agit pas d’inscrire uniquement ce que veut le client, mais de connaître sa réaction, ce qu’il fera du contenu et les messages qui lui tiennent à cœur. Donner aussi au client l’occasion de se préparer et d’envisager sa réaction lors du dépôt du rapport. Lui demander par exemple : comment réagiriez-vous si, dans le rapport, on remettait en cause la compétence de certains de vos directeurs?
- Dans le cas où la transmission des rapports se fait de façon informatisée, fournir le document dans un format sécurisé (PDF) pour éviter que le client puisse le modifier.
- Bien informer le client, dès le début, que cette démarche de diagnostic peut mener à des messages qu’il ne veut pas entendre et qu’elle crée des attentes chez les employés.
- Soumettre un rapport diagnostic au contenu solide parce qu’il a été effectué dans les règles de l’art à partir d’informations factuelles analysées selon des grilles d’analyse reconnues.
- Choisir des mots que le client n’aura pas envie de changer, qui sont utilisés dans cette culture organisationnelle, qui n’attaquent personne en particulier et qui limitent le sentiment de menace ressenti par le client.
- Distinguer deux formes de rapport, ce qui s’écrit et ce qui se dit.
Il peut arriver que le client demande tout de même au consultant de changer le contenu du rapport. Si ce dernier n’est pas d’accord, il doit expliquer à son client les avantages et les inconvénients de ce changement dans le rapport et son impact sur les employés lorsqu’ils n’y reconnaîtront pas (en tout ou en partie) ce qu’ils ont dit. Ils pourront discréditer non seulement le rapport, mais aussi toute l’intervention. Les capacités du consultant à influencer le client et la relation de confiance établie avec lui seront alors des atouts majeurs. Si, malgré ces précautions, le client modifie le rapport, le consultant devra notifier à qui de droit (conseil d’administration, dirigeant, bureau syndical) qu’il retire sa responsabilité du contenu de ce rapport et devra sans doute se retirer du mandat. C’est une solution de dernier recours.
Refuser ou interrompre un mandatPlusieurs informations permettent au consultant de prendre cette décision cruciale. Elles relèvent essentiellement de sa capacité à réaliser le mandat, de ses valeurs personnelles, de la légitimité et des conditions de succès du mandat. Il est toutefois difficile de prendre rapidement cette décision après une ou deux rencontres avec le client. La qualité et la quantité des indices et des informations obtenus sont alors souvent insuffisantes. C’est donc au cours de l’intervention que les doutes du consultant concernant la légitimité et le succès du mandat se confirment ou non. Il peut tout de même décider d’accepter un mandat malgré les risques soupçonnés. D’autant plus, qu’avant de refuser définitivement un mandat, il peut aussi choisir de négocier les modalités de réalisation avec le client, recadrer la demande ou prendre le temps d’instaurer les conditions gagnantes et un contexte favorable.
Le refus catégorique d’un mandat est rare, mais il ne faut pas hésiter à y recourir si nécessaire. Choisir ses clients et ses mandats est un devoir et un droit fondamental du consultant. Toutefois, il n’est pas toujours facile de le faire surtout devant la perspective de certains mandats ou devant certains clients. Bien qu’elles soient de nature différente, plusieurs raisons d’accepter un mandat font pression sur le travailleur autonome. C’est pourquoi l’indépendance financière et morale du consultant lui est nécessaire pour avoir cette liberté de choisir ses mandats et ses clients. Dans la situation où on doit dire non, il faut :
- idéalement, en venir à un accord avec le client sur l’interruption (ou le refus) du mandat;
- expliquer les raisons de son refus, tout en respectant la position du client; dire non sans explication risque de provoquer l’élaboration d’hypothèses plus ou moins près de la réalité et plus ou moins avantageuses pour le consultant;
- fournir des motifs qui ne laissent pas entendre qu’on a une perception négative du client : jugement, incompétence, évaluation peu flatteuse de sa personne ou, carrément, désapprobation du client et de ses choix;
- être honnête et faire valoir son souci des intérêts du client; lui présenter les faits, les limites et les conséquences négatives de la poursuite du mandat; présenter une solution gagnante ou des étapes préalables à la reprise du mandat;
- formuler ses arguments de façon non menaçante pour le client : par exemple, le consultant ne sera pas en mesure de rendre le service; dans l’intérêt du client, il vaut mieux qu’il fasse affaire avec une autre personne; c’est un mauvais moment pour ce type d’intervention; sa disponibilité ou sa charge actuelle de travail ne lui permettent pas d’accepter le mandat; son champ d’expertise ne couvre pas la problématique en question;
- fournir au client des noms de consultants qui pourront assumer ce type de mandat dans ce contexte.
Finalement, lorsque le consultant a entrepris le mandat et souhaite l’interrompre parce que certaines informations (auxquelles il avait accès dès le début) l’amènent à envisager cette option, il lui faudra aussi se justifier et admettre ne pas avoir vu ou ne pas avoir considéré ces renseignements à leur juste valeur avant d’entreprendre le mandat.
Si j’avais su…Des renseignements que le client fournit lors de sa première rencontre avec le consultant découlent les décisions du consultant pendant tout le processus. Pourtant, il arrive que le client ne livre pas à cette occasion toute l’information pertinente au mandat. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation; par exemple, le client ne sait pas ce qu’il est pertinent de dire; il se sent menacé par les questions du consultant; il craint un jugement sur ses compétences ou il tente de se faire valoir par ses réponses; il est peu volubile de nature; il a des préjugés qui altèrent les réponses; il est lui-même mal informé et se base sur des rumeurs; il veut tester le consultant ou il veut simplement filtrer les informations.
La principale stratégie permettant de contrer cette situation consiste à établir une relation de confiance avec le client. De fait, au moins trois rencontres sont nécessaires pour établir cette « alliance de travail ». Il est donc réaliste de penser qu’on ne dispose pas de toute l’information utile, peu importe le client, après une seule rencontre. Par ailleurs, il est essentiel de faire des efforts conscients pour établir cette relation de confiance le plus rapidement possible.
Une deuxième stratégie est d’améliorer son habileté à questionner le client, pour obtenir le plus de renseignements possible, même les plus délicats. Certaines questions et l’ordre du questionnement jouent un rôle majeur dans ce dévoilement. Au cours des entretiens, une attitude axée sur la compréhension de la situation du client limitera le sentiment de menace que peut représenter un consultant.
Comme troisième stratégie, le consultant peut démontrer au client l’importance d’avoir des informations complètes afin de pouvoir lui proposer une intervention adaptée à sa situation; les avantages de la transparence envers le consultant, même sur les sujets délicats ou qui lui paraissent anodins; son rôle et celui du consultant ainsi que les règles de confidentialité. Une autre piste consiste à faire une lecture du contexte de cette demande pour anticiper les motifs d’un client à réserver certains renseignements de façon à trouver des moyens de le convaincre de parler ou à les obtenir autrement.
Mais voilà, il est trop tard. Le consultant a entrepris la démarche et le chat sort du sac. Il doit d’abord découvrir le niveau d’intentionnalité et les motifs du client pour ne pas lui avoir fourni toute l’information. Une discussion avec le client sera nécessaire pour trouver des solutions à la situation ainsi créée.
Ces trois défis que le consultant peut avoir à relever sont quelques exemples parmi beaucoup d’autres. Par contre, les suggestions proposées peuvent s’adapter à d’autres situations. La profession de consultant se construit ainsi au fil des expériences vécues et de leur partage.
Francine Roy, M. Ps., Ph. D., professeure, département de psychologie, FLSH, Université de Sherbrooke
Source : Effectif, volume 12, numéro 2, avril/mai 2009.