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Le tandem de cogestion dans le réseau de la santé : promis à un bel avenir!

L’univers organisationnel se caractérise maintenant par une complexité accrue et, surtout, par une augmentation de la quantité d’informations à considérer et l’accélération de leur circulation. L’incertitude liée à un environnement économique instable et incertain requiert en outre une capacité d’adaptation sans précédent. Les entreprises sont donc plus que jamais à la recherche de l’agilité qui leur permettra d’anticiper les menaces et les occasions de développement afin de prendre plus rapidement les décisions appropriées.

7 juillet 2014
Pierre Joron, CRHA

Dans un univers aussi complexe que celui d’un établissement de santé, l’agilité organisationnelle passe par la mise en place de structures collaboratives et par l’engagement des médecins dans leur gestion. Rappelons que les médecins ne sont pas des employés ni des gestionnaires de l’établissement. Ils n’ont pas un lien de subordination direct avec la direction d’un établissement. Ils ont des privilèges d’hospitalisation et leur encadrement relève du conseil des médecins, pharmaciens et dentistes (CMDP) de l’établissement. C’est là une particularité qui distingue les établissements de santé des autres organisations des secteurs privé, parapublic ou public où tous les membres de l’organisation (exception faite de certains membres du conseil d’administration) sont des employés salariés.

D’une structure hiérarchique verticale à une structure matricielle et transversale
L’implantation de la cogestion médico-clinico-administrative s’effectue généralement en simultané avec l’implantation de continuums de soins et de services. Ces continuums traversent toutes les cloisons verticales de spécialisation de l’organisation tout comme les différentes fonctions administratives connues (ressources humaines, finances, services techniques, etc.). Dans son ouvrage intitulé Collaboration, paru en 2009, Morten T. Hansen parle de structure organisationnelle en T (T shaped management) pour illustrer la rencontre entre la gestion traditionnelle verticalisée et la gestion transversale. On entre alors dans une structure dite matricielle où l'on retrouve à la fois une autorité hiérarchique et une autorité fonctionnelle. L’ère du patron unique semble révolue.

On peut aisément comprendre que la structure matricielle, justement à cause de cette double hiérarchie, est de gestion délicate. Le risque de conflit de rôles et de responsabilités augmente significativement avec l’arrivée d’un mode d’organisation matricielle. Par contre, il s’agit là, devant la complexité des nouvelles situations de gestion et des problèmes à résoudre, d’une meilleure réponse en terme de structure organisationnelle que celle proposée par les modèles traditionnels, au fonctionnement du « haut vers le bas ».

Il est important de mentionner que la gestion transversale est essentielle au fonctionnement optimal d’un continuum de soins et de services pour le patient. En effet, le patient ne devrait plus s’apercevoir qu’il y a des frontières entre les différents services et missions de l’établissement lors de ses divers épisodes de soins. Les Américains parlent de « seamless organization » pour désigner ces modèles organisationnels qui se caractérisent par une fluidité de l’expérience de soins et de services pour le client.

Cogestion : de quoi s’agit-il?
Le terme cogestion peut faire peur et certains penseront immédiatement à la cogestion patronale-syndicale. Ce n’est toutefois pas là notre propos. La cogestion médico-clinico-administrative réfère à un nouveau modèle de partenariat de gestion entre un médecin et un gestionnaire clinique et administratif (clinico-administrative) comme une infirmière-chef d’unité de soins, une coordonnatrice de programme-clientèle, etc. Ce n'est ni plus ni moins que la création d’un tandem de gestion, une association à deux pour gérer les destinées d’un programme de soins et de services, d'un département, d'une unité de soins.

Pour réussir, le modèle requiert, en sus de la compatibilité des personnalités des membres du tandem, un départage clair et précis des rôles et des responsabilités entre le médecin et le gestionnaire clinico-administratif. Chacun a sa propre zone de responsabilité. Il est hors de question que le gestionnaire clinico-administratif se mêle de questions purement médicales pour lesquelles il n’a pas les compétences requises. Inversement, le cogestionnaire médical n’a aucun intérêt à se préoccuper, par exemple, de la gestion des ressources humaines au quotidien (établir les horaires de travail, assurer la supervision courante, régler les petits détails quotidiens liés aux relations du travail). Il s’agit donc de bien délimiter l’étendue de la zone commune de responsabilités qui constitue la zone de cogestion et de coresponsabilité.

La cogestion peut prendre place à plusieurs niveaux de l’organisation. Il y a, dans certains établissements, un niveau de codirection. Par exemple, la direction de la santé physique qui regroupe plusieurs programmes-clientèles associés au traitement des problèmes physiques, sera codirigée par un médecin (peut être le directeur des services professionnels) et un directeur clinico-administratif (par exemple: une directrice des soins infirmiers). C’est notamment le modèle qui prévaut à l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal.

Plusieurs combinaisons sont possibles. Ainsi, la cogestion peut se situer au niveau de la coordination de programmes-clientèles au sein d’une direction. La cogestion peut également se trouver au sein d’une unité de soins (urgence, bloc opératoire, soins intensifs, unités de chirurgie, etc.). Quel que soit le niveau, les caractéristiques propres au modèle de cogestion ne changent pas. Il s’agit toujours de l’exercice conjoint d’un leadership de gestion.

Précisons en dernier lieu que la cogestion ne consiste pas seulement à prendre ensemble des décisions, mais aussi à assumer ensemble la responsabilité des résultats. C’est sur ce dernier point que se fait véritablement le test de la solidité du modèle de cogestion et même du tandem de cogestion.

Est-ce que ça fonctionne?
Oui, ça fonctionne, mais pas sans poser des défis aux directions d’établissement et aux tandems de cogestion, ce qui est tout à fait normal. Comme dans toute innovation, tout ne fonctionne pas parfaitement du premier coup; il faut démontrer de la patience et surtout s’accorder le droit à l’erreur.

Il est certain que le fonctionnement en codécision peut poser un certain nombre de difficultés qu’on n’aurait pas éprouvées si on avait agi seul et non en tandem. Par contre, pour peu que l’on réussisse à exploiter davantage la richesse des différences plutôt que la pauvreté des conflits, le tandem de cogestion est promis à un bel avenir. La synergie de deux cerveaux, de deux expertises différentes et de deux points de vue ne peut que se traduire tôt ou tard par de meilleures décisions et même, pourquoi pas, par de l’innovation.

Plusieurs établissements de santé ont implanté ce modèle qui se traduit par une collaboration plus importante entre médecins et gestionnaires. Nous pensons, entre autres, à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, au Centre hospitalier universitaire de Québec. Quelques centres de santé et de services sociaux sont également en voie d’implanter un tel modèle organisationnel.

La cogestion médico-clinico-administrative ouvre la voie à l’augmentation de la capacité de synergie des administrations du réseau de la santé et des services sociaux. C’est un modèle de collaboration en rupture avec les deux solitudes (médicale et administrative) du passé. S’il est encore tôt pour en apprécier toute la contribution à l’amélioration de l’efficacité des organisations de santé, il y a déjà de belles promesses à l’horizon. Plusieurs expériences sont reconnues comme très positives et l’engouement pour ce type de modèle de leadership et d’organisation ne diminue pas.

Un dossier majeur de développement organisationnel
Il s’agit là d’un dossier de développement organisationnel dans lequel les directions des ressources humaines peuvent avoir un apport considérable. D’ailleurs, à plusieurs endroits, elles sont aux premières loges de l’implantation de la cogestion médico-clinico-administrative et du soutien à celle-ci. L’une des voies privilégiées pour faciliter la mise en place et le fonctionnement des tandems de cogestion consiste à offrir de la formation, puis du codéveloppement professionnel. Une telle stratégie permet de sécuriser les tandems et de leur permettre de développer plus rapidement leur capacité à exercer un leadership conjoint.

Par ailleurs, l’implantation de la cogestion médico-clinico-administrative s’effectue très souvent en simultanéité avec la mise en œuvre de projets dits de gestion allégée ou lean management. Modèle de gestion qui exige une collaboration sans précédent, le lean management introduit la participation de la base, c’est-à-dire de ceux et celles qui font le travail. ll s’appuie donc sur une philosophie de gestion qui mise sur l’engagement des employés et leur participation à l’amélioration des processus de gestion et de production, ainsi qu’à la résolution des problèmes qui y sont associés. Si l’entreprise s’engage dans la mise en œuvre de cette philosophie en transformant sa culture, ses chances d’en faire un mode de gestion durable seront meilleures.

Le lean management est tout à fait compatible avec le modèle de la cogestion. Le réseau de la santé est d’ailleurs à l’heure du lean healthcare, qui vise à optimiser les processus de prestation des soins et des services de santé afin d’assurer une plus grande accessibilité des soins et une meilleure continuité des services à la population.

En raison des compressions budgétaires annoncées, le réseau de la santé s’apprête à traverser une période de grande turbulence. Il semble toutefois mieux équipé avec un tel modèle collaboratif pour y faire face et ainsi maintenir une accessibilité maximale à des soins de santé de qualité et sécuritaires pour la population.

Pierre Joron, CRHA, MAP, président, Gestion Pierre Joron inc.

Source : Effectif, volume 17, numéro 3, juin/juillet/août 2014.


Bibliographie :

Denis, J., E. Gibeau, A. Langley et al. (2012). Modèles et enjeux du partenariat médico-administratif : état des connaissances, AQESSS, février 2012.

Gaudreau, Mireille (2006). Réussir la cogestion : une étude exploratoire des rôles au sein des tandems de gestionnaires, Mémoire de maîtrise, HEC Montréal.

Hansen, Morten T. (2009). Collaboration – How leaders avoid the traps, create unity, and reap big results, Harvard Business Press.

Langley, A. (2011). La cogestion médico-administrative : formaliser le leadership médical, Pôle santé, HEC Montréal.

Linden, Russell M. (1994). Seamless government – a practical guide to re-engineering in the public sector, Jossey-Bass.


Pierre Joron, CRHA