Il y a bien des années, les consultants animaient des consolidations d’équipe. Les gens disaient qu’ils allaient mettre leurs tripes sur la table… Ils n’avaient pas tout à fait tort dans le sens où on faisait en sorte que les équipiers se connaissent mieux, s’expriment avec plus d’ouverture, osent s’opposer, mais sans trop savoir dans quel but. Ce qui est novateur dans l’accompagnement ou le coaching d’équipe, c’est la complémentarité entre deux axes d’intervention, c’est-à-dire que l’on apprend à se relier pour collaborer plus efficacement à un projet commun mobilisateur, dont l’enjeu est crucial et dont on désire ardemment la réussite. C’est le caractère commun du projet qui rend la démarche pertinente. On ne crée pas une alliance si on n’a rien à faire ensemble.
Qu’est-ce que le co-coaching?Ce qui rend le co-coaching si judicieux en cette ère de transformation profonde, et ce en quoi il se différencie du coaching d’équipe, c’est qu’il vise chez les gestionnaires l’acquisition et le développement de la posture et des compétences de coach par l’expérimentation d’un processus d’accompagnement spécifique où chacun est alternativement client et coach. Le co-coaching se différencie également du codéveloppement par le contenu des étapes et la mise en mouvement du client en séance, qui teste ses intuitions, explore, expérimente, ose s’aventurer vers le non connu, avec ses peurs et ses résistances.
Le co-coaching doit partir d’un projet organisationnel à fort enjeu et bénéficier d’alliés internes qui portent la démarche. Au centre de la situation apportée en séance, le client est en contact avec ses représentations et ses émotions et entre dans une dynamique d’utilisation de ses ressources, ce qui lui permet de renforcer sa confiance en soi, de faire des choix, de développer son leadership.
Voici en quoi consiste la démarche de co-coaching :
- des gestionnaires (6 à 8 par groupe) sont volontaires pour apprendre ensemble et réaliser le projet de manière performante; ils sont de niveaux similaires, mais proviennent de services, de secteurs d’activité, voire de pays différents;
- ils ont un objectif précis discuté avec leur supérieur et qui est en lien direct avec leur contribution dans le projet organisationnel;
- ils se réunissent régulièrement et assidument, pendant 6 à 8 mois;
- ils sont en quelque sorte en « laboratoire » pour expérimenter le changement, de nouveaux comportements;
- ils forment aussi des binômes pour travailler ensemble entre les rencontres, créant ainsi une nouvelle complicité entre des secteurs qui n’étaient pas nécessairement reliés et qui perdure après le co-coaching.
Le co-coaching est pertinent lorsque :
- l’entreprise est en changement de stratégie, de culture, de pratiques;
- l’incertitude liée à l’inconnu, la perte de repères ou l’émergence de nouveaux métiers créent une ouverture d’esprit propice à la nouveauté;
- le style de gestion doit évoluer;
- de hauts potentiels ou la relève doivent être développés pour mener le changement en mode d’apprentissage collectif.
Le cas de Swarowski |
L’exemple de Swarovski est intéressant. En 2010, l’entreprise de 26 000 employés connaissait une croissance fulgurante avec le développement de son réseau de distribution. La culture de l’entreprise changeait; mis au défi par leurs équipes, très exigeantes, les gestionnaires avaient besoin d’être accompagnés. Il fallait un style de gestion moins paternaliste pour les soutenir dans leur développement professionnel et personnel. À cela s’ajoutait l’exigence de rentabilité dans un contexte économique européen tendu et incertain. La directrice des ressources humaines, Sandrine Guétin, avait déjà participé à un co-coaching. Pour elle, cela avait été une expérience hors du commun qui lui avait permis de prendre du recul par rapport à sa fonction et à son quotidien. Ce fut un moment qui lui permit de poser un regard différent sur la manière dont elle appréhendait ses projets. Sandrine Guétin se positionna donc comme une réelle partenaire d’affaires auprès de la direction générale. Elle avait décidé qu’il fallait accompagner son entreprise avec une stratégie de croissance et de changement. L’idée était d’attirer, de conserver et de développer les gestionnaires en mettant l’accent sur la gestion de la performance et le développement de leurs compétences. Plus précisément, Swarovski avait besoin d’accompagner différemment ses gestionnaires pour que ceux-ci :
Les résultats |
Conditions de réussite du co-coaching
Au départ, il faut expliquer aux futurs participants et à leurs supérieurs en quoi consiste le co-coaching. C’est la plus grande difficulté... On doit les amener à entrer dans une démarche innovante, très différente d’une formation classique, qui demande une implication dans le temps, le respect de la confidentialité et un fonctionnement en réseau et non plus de façon cloisonnée. La capacité d’adaptabilité est donc l’un des enjeux primordiaux du co-coaching.
Le risque le plus important, c’est que la volonté stratégique ne soit plus là et qu’il y ait un revirement de la part de la direction en termes de mode de fonctionnement. Il est donc fondamental que le comité de direction définisse un lien d’affaires stratégique avec le service des ressources humaines et le contexte dans lequel se positionnera la démarche. Celle-ci doit s’articuler avec la stratégie de l’entreprise.
Pour leur part, les gestionnaires doivent souhaiter la démarche et démontrer de la maturité et une ouverture d’esprit. Il faut qu’ils soient prêts à s’engager de façon continue pour une période de six mois.
Essentiellement, les résultats qu’on peut attendre du co-coaching sont les suivants:
- des pratiques et des compétences de gestion plus évoluées pour mener les projets avec la participation active des équipes;
- du leadership pour prendre des décisions partagées et éclairées, c’est-à-dire dotées d’une vision plus systémique et de recul;
- un réseau d’apprentissage solidaire et décloisonné qui perdure;
- le partage d’une méthode et de règles communes qui deviendront un référentiel à partager;
- de l’autonomie et de la créativité.
Les gestionnaires sont confrontés au quotidien aux contradictions de leur environnement, aux contraintes de temps et de moyens qui les entraînent souvent à renforcer des comportements qu’Argyris appelle des « routines défensives ». Or, les changements sont des occasions de revisiter des pratiques devenues inadaptées, de faire évoluer les rôles managériaux, de faire autrement et d’encourager les initiatives individuelles et collectives, sources d’engagement et de plaisir.
La mise en place des groupes de co-coaching est un levier d’apprentissage collectif du changement et de l’innovation dans la mesure où les décideurs, la hiérarchie et les participants volontaires à ce type de démarche sont prêts à faire évoluer la culture de gestion en s’y impliquant, chacun à leur niveau. Investir dans le co-coaching, c’est saisir la chance de tester des nouvelles manières de faire et d’être, de sortir des modèles. C’est aussi, miser sur la puissance des intelligences réunies en vue d’augmenter la performance et l’engagement au service de la stratégie.
En un mot, on ne peut plus se contenter d’ajuster. Il est temps de s’aventurer vers le non-connu et de prendre plaisir à la confrontation fertile. C’est ainsi que la dimension émotionnelle prend tout son sens dans un groupe. Et ce qui est formidable avec le co-coaching, c’est qu’on aborde les personnes et leurs défis organisationnels, dans une dynamique collective qui représente la réalité, avec toute sa complexité et son mouvement dans le temps.
Le rôle du facilitateur en co-coaching |
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Guylaine Grenier, CRHA, coach PCC, présidente, G2 Consultants inc., et Chantal Victor, coach PCC, formatrice, International Mozaik et Mozaik Québec
Source : Effectif, volume 16, numéro 4, septembre/octobre 2013.
Chantal Victor est la créatrice de la méthode co-coaching. Guylaine Grenier, CRHA a été formée par madame Victor.