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La santé organisationnelle : tendances et défis

La santé et la sécurité du travail, à l’instar de tout ce qui concerne la gestion de la présence au travail, sont des dimensions de la gestion des ressources humaines appelées à connaître un repositionnement stratégique important au cours des prochaines années.

23 septembre 2008
Yves Couturier

En effet, l’intérêt croissant des organisations pour la santé de leur personnel et la perception de plus en plus répandue que la santé organisationnelle est tributaire de celle des employés ouvrent de nouvelles perspectives. La santé au travail et, plus spécifiquement, le concept de santé globale sont en voie de faire partie des nouvelles stratégies de gestion des ressources humaines visant à accroître le pouvoir d’attraction et de conservation du capital humain et à faciliter l’engagement des employés. Toutefois, l’investissement en promotion de la santé peut s’avérer très important, sur les plans tant humain que financier. La démonstration de la rentabilité de l’investissement est donc un défi qui doit être relevé avec succès pour assurer la pérennité des interventions dites de santé globale.

De quoi parle-t-on?
L’expression « santé organisationnelle » réfère à un ensemble complexe de variables qu’une organisation peut influencer ou contrôler à divers niveaux. Ainsi, une bonne santé organisationnelle se traduit généralement par un faible nombre d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, un taux élevé de présence au travail associé à un présentéisme bas ou nul, un petit nombre d’invalidités non professionnelles liées notamment à des problèmes de santé mentale, en raison d’un niveau de stress moins élevé. De plus, la gravité (durée) des invalidités est faible, on note peu ou pas d’absences occasionnelles ainsi qu’un indice de climat de travail positif, un fort engagement du personnel et une productivité accrue.

Les interrelations sont à la fois nombreuses et diversifiées, et les degrés de corrélation entre les différentes variables peuvent évoluer dans le temps, d’où la complexité de les mesurer. Ainsi, à titre d’exemple, une modification de l’âge moyen de l’effectif peut avoir des effets importants sur les divers indicateurs utilisés. En fait, le niveau de risque d’affaires peut varier de manière significative en fonction des caractéristiques du personnel de l’organisation.

Un bilan de santé organisationnelle positif qui résulte d’un milieu sain et sécuritaire de travail se traduit globalement par une réduction des coûts de main-d’œuvre et des régimes de protection du revenu. L’organisation se dote ainsi d’une offre d’emploi à valeur ajoutée qui améliore son pouvoir d’attraction et de fidélisation de la main-d’œuvre.

De l’intervention de gestion à la mesure
Les approches de santé globale visent à susciter chez les employés des changements dans leurs habitudes de vie afin de promouvoir un meilleur état global de santé. Il importe donc de connaître le point de départ afin d’être capable, le moment venu, de mesurer l’amélioration de l’état de santé après l’adoption de comportements et de conditions de vie plus saines découlant des programmes de promotion de la santé offerts par l’organisation.

Les tableaux de bord doivent être conçus sur mesure, en fonction des caractéristiques propres au profil santé du personnel, et ils doivent aussi couvrir un continuum allant de la détermination de l’état de santé de départ jusqu’à la mesure précise des changements sur certains indicateurs des coûts de main-d’œuvre. Cette dernière partie intéresse particulièrement la haute direction et constitue un élément clé dans la décision initiale et le maintien de l’investissement dans les stratégies relatives à la santé organisationnelle.

L’intervention de gestion visant la promotion de la santé ou du mieux-être en milieu de travail doit donc s’appuyer sur des indicateurs précis, valides et fiables qui permettront de cibler les efforts et d’optimiser les résultats ultimes sur les risques d’affaires et sur les coûts de main-d’œuvre. De plus, le meilleur des tableaux de bord sera inutile et ne saura retenir très longtemps l’attention de la haute direction s’il ne conduit pas à la mise en place de stratégies et de pratiques de gestion des ressources humaines. Dans cette perspective, la promotion de la santé sera considérée comme une dépense plutôt qu’un investissement. Le défi consiste donc à mesurer pour mieux connaître les interrelations entre les variables significatives (quantifier ce qui compte vraiment) et être ainsi en mesure d’optimiser les interventions (programmes, activités, pratiques, etc.) et de démontrer l’influence sur l’évolution de certains résultats de l’organisation.

Il ne faut pas perdre de vue que des variations sur certains indicateurs de performance ou sur les coûts de main-d’œuvre résultent parfois de variables qui n’ont rien à voir avec les stratégies de santé organisationnelle. La méthodologie de mesure adoptée devra donc être en mesure d’isoler ces facteurs extrinsèques qui affectent l’interprétation des résultats. Enfin, il faut comprendre que la promotion de la santé ne génère pas toujours des résultats immédiats sur les indicateurs d’affaires, compte tenu de la chaîne de changements de comportement qui doit s’opérer.

Une chaîne logique implacable
L’expérience démontre que gérer la santé organisationnelle et, plus précisément, intervenir sur la santé des individus doivent suivre un ordre logique qui peut être comparé à une chaîne composée d’étapes bien définies auxquelles la stratégie de mesure doit être adaptée (voir tableau ci-dessous).
 
La chaîne des résultats en promotion de la santé
  • Mesure initiale de l’état de santé des individus et du risque d’affaires.
  • Degré de participation aux activités du programme de promotion de la santé et niveau de satisfaction.
  • Changements observables et mesurables dans les comportements (habitudes de vie).
  • Changements observables et mesurables dans l’utilisation des divers régimes de protection du revenu.
  • Mesure de l’impact sur les coûts de main-d’œuvre pertinents et lien avec des indicateurs clés de performance de l’organisation (mesures de rendement de l’investissement).

Il y a une séquence de changements qui doit s’opérer préalablement et qui s’apparente à un processus classique de gestion du changement. Il faut amener les individus à prendre conscience de leur état de santé et convertir cette connaissance en une volonté de changer leurs habitudes de vie. Vient ensuite l’étape de la traduction de la volonté de changer en action concrète. L’organisation doit faciliter ce passage crucial à l’action en dépit d’un contrôle limité.

Bref, la promotion de la santé n’aura de résultats tangibles pour l’organisation que dans la mesure où les employés sont réellement prêts à changer leurs habitudes de vie.

Il y a une forte corrélation entre le degré de pénétration de l’idée de modifier les habitudes de vie au sein de l’effectif, la décision de participer aux programmes de promotion de la santé offerts par l’employeur, celle d’adopter réellement de nouveaux comportements et l’obtention de résultats significatifs quant aux risques d’affaires associés à la santé des individus et aux indicateurs de mesure des coûts de main-d’œuvre.

La stratégie de mesure à l’aide d’indicateurs doit donc couvrir l’ensemble de la chaîne et ne pas être limitée à certains indicateurs clés de performance de l’organisation. La rigueur s’impose tout au long de la construction de la stratégie d’intervention et du système de mesure qui y sera associé. Il n’y a pas de place pour l’improvisation. Des erreurs pourraient conduire l’organisation à prendre des décisions cruciales sur la foi de données erronées, non probantes ou non soutenues par les faits.

Santé organisationnelle et mesure : perspectives
Une limite importante des tableaux de bord et des indicateurs de gestion est qu’ils sont restreints aux frontières de l’organisation. À titre d’exemple, on obtient un résultat x pour l’indice d’invalidité en santé mentale, mais comment sait-on s’il s’agit d’une très bonne performance? Que signifie ce chiffre? Doit-on pavoiser ou au contraire s’inquiéter? Parler de performance, c’est ouvrir la porte à la comparaison. C’est ici que le bât blesse pour beaucoup d’organisations. Dans bien des cas, on ne peut que se comparer à soi-même et il devient alors extrêmement difficile, sauf intuitivement peut-être, d’apprécier la performance et, conséquemment, d’ajuster les stratégies, les programmes et les pratiques de gestion. C’est d’ailleurs souvent à ce moment que commence à vaciller la flamme de l’intérêt pour la mesure et, pire, pour la poursuite de l’investissement dans la santé organisationnelle.

L’avenir de la mesure passe donc par une capacité accrue de se comparer avec son secteur d’appartenance (industrie, groupe d’entreprises comparables, secteur d’activité économique, etc.) tout en reconnaissant les caractéristiques démographiques spécifiques à l’organisation afin de pouvoir donner tout son sens à l’expression « être performant ». On comprend que les stratégies de gestion ne seront pas les mêmes selon que l’organisation est très performante ou sous-performante. Une stratégie de gestion dite de maintien d’une bonne performance en santé organisationnelle ne s’appuie pas sur les mêmes cibles et les mêmes pratiques de gestion qu’une stratégie de redressement.

En conclusion
Dans un marché d’employés plutôt que d’employeurs, la santé au travail, l’intérêt manifesté envers le mieux-être en milieu de travail ainsi que l’amélioration de la santé individuelle constituent des vecteurs très intéressants pour favoriser l’attraction et la fidélisation du personnel. Les employeurs doivent poursuivre leurs efforts pour améliorer leur image de marque et leurs propositions d’emploi à valeur ajoutée.

Voilà pourquoi nous observerons au cours des prochaines années une amplification des efforts visant à comparer les indicateurs et à rechercher de nouvelles façons de quantifier les résultats et à mieux mesurer la performance réelle obtenue. Comme toutes les organisations ne partent pas du même point et que les caractéristiques de la main-d’œuvre sont généralement différentes, la mesure en matière de santé organisationnelle requiert une approche personnalisée, fondée sur la connaissance et la compréhension de l’organisation et des caractéristiques de son capital humain.

Une nouvelle fenêtre de possibilités s’ouvre donc en matière de santé organisationnelle et pourrait permettre un repositionnement majeur pour le secteur de la santé et de la sécurité du travail. Le succès des initiatives tient à la capacité des gestionnaires des ressources humaines de mesurer la performance de l’organisation en matière de santé, puis d’indiquer les pistes d’intervention propres à avoir des répercussions non seulement sur les dimensions intangibles comme le climat de travail et l’engagement, mais aussi sur les données quantitatives liées aux répercussions financières qui permettront de mesurer le rendement de l’investissement.

Pierre Joron, CRHA, MAP, vice-président, Aon Capital humain, et Yves Couturier, FICA, vice-président principal, Aon Santé globale

Source : Effectif, Volume 11, numéro 4, septembre/octobre 2008


Yves Couturier