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La recherche sur les groupes de codéveloppement professionnel : en émergence

Publié et mis de l’avant à la fin des années 1990 par Adrien Payette et Claude Champagne, CRHA, le groupe de codéveloppement professionnel est une méthode d’apprentissage par l’expérience qui s’avère jeune, en ce qui concerne tant le raffinement du savoir professionnel disponible que les connaissances scientifiques découlant de son étude.

20 mars 2014
Nathalie Lafranchise, Ph. D. | Maxime Paquet, Ph. D.

En effet, malgré la popularité de la démarche dans diverses entreprises québécoises, peu d’études ont été réalisées sur le processus ou les impacts réels reliés à la tenue de groupes de codéveloppement, sur les plans individuel et organisationnel (Vachon, 2009).

Le codéveloppement est une méthode d’apprentissage par l’expérience généralement appréciée des participants. Il est quand même légitime de se demander s’il est possible de réaliser des études permettant de décrire et de mesurer systématiquement des indicateurs individuels et organisationnels, en vue de fournir aux décideurs des données probantes quant aux retombées des groupes de codéveloppement professionnel.

Ce questionnement s’est trouvé au cœur de deux projets de recherche exploratoires à propos du codéveloppement. Voici un survol des conclusions de ces travaux.

Que peuvent retirer les organisations et les personnes de par leur participation?
D’entrée de jeu, il importe de souligner que la participation à un groupe de codéveloppement professionnel nécessite la mobilisation de ressources, autant pour les individus participants que pour leur organisation. Néanmoins, l’investissement dans l’accompagnement et la tenue de tels groupes peuvent comporter des avantages et des retombées significatives.

Un projet de recherche mené par l’un des auteurs de cet article (2012-2013) a permis de relever des retombées perçues par des participants œuvrant dans un CSSS en tant qu’intervenants psychosociaux. Les conclusions présentées au tableau ci-contre découlent d’une analyse qualitative réalisée à partir d’un entretien de groupe et des retranscriptions de neuf séances de codéveloppement.

Un autre projet de recherche, mené par le CRISO (Conseil, recherche et innovation en santé des organisations) entre 2008 et 2012 a permis de constater deux principales tendances sur le plan des acquis, qui vont dans le même sens que les conclusions tirées de la recherche mentionnée précédemment. Cette fois-ci, les participants étaient des gestionnaires d’un hôpital québécois.

  • Les gestionnaires nouvellement arrivés en poste ont présenté des acquis en termes de changements identitaires. Ils se sont servis du codéveloppement pour consolider leur identité professionnelle, explorer leur rôle et leurs responsabilités et lâcher prise sur des aspects incontrôlables de leur travail. Cette facilitation dans la consolidation du rôle a même contribué au maintien en poste de deux participants.
  • Le codéveloppement a aussi permis à ces personnes de créer et d’exploiter un nouveau réseau au sein de l’établissement. Elles pouvaient alors se servir d’outils de communication et de négociation acquis lors des rencontres de codéveloppement.
Un programme de recherche pour approfondir les impacts des groupes de codéveloppement
Quoiqu’intéressants, ces résultats sont embryonnaires et leur portée limitée, puisqu’ils sont issus d’un nombre restreint de groupes (six groupes du réseau de la santé) et de devis d’analyse exploratoires.

La poursuite des recherches est donc impérative, dans le but de répondre aux questions suivantes :

  • Les conclusions des recherches peuvent-elles être généralisées à un plus grand nombre d’adeptes du codéveloppement?
  • D’autres retombées individuelles peuvent-elles être recensées et mieux comprises?
  • Au-delà des retombées individuelles, est-il possible d’observer et de mesurer des retombées organisationnelles reliées à la tenue de groupes de codéveloppement?
  • Comment pourrait-on faciliter la mise en place de ces conditions par un accompagnement des organisations et des animateurs de groupes de codéveloppement?

Ces questions seront d’ailleurs abordées dans un nouveau programme de recherche subventionné, qui s’intitule Impacts individuels et organisationnels d'une démarche d'accompagnement socioconstructiviste visant l'optimisation des groupes de codéveloppement professionnel. Le projet réunit une équipe de chercheurs provenant de trois universités, d’intervenants de deux milieux associatifs et de trois organisations du réseau de la santé.

En somme, le groupe de codéveloppement professionnel est une méthode d’apprentissage qui mérite une plus grande attention, autant de la part des chercheurs que des praticiens. Importantes, ses retombées individuelles peuvent profiter aux organisations. En effet, qu’il s’agisse du développement de capacités, d’habiletés, de connaissances, d’attitudes ou du développement professionnel (identité professionnelle, réseaux, etc.), ces aspects peuvent être mis en lien avec le développement de compétences. Cependant, il importe de poursuivre les efforts de recherche en vue de mieux comprendre les processus et les conditions du codéveloppement professionnel et d’en mesurer les retombées. Les groupes de codéveloppement s’avèrent donc un objet de recherche émergent fort pertinent ainsi qu’une pratique prometteuse.

Apprentissages réinvestis dans la pratique selon cinq dimensions
Dimension Retombées dans la pratique professionnelle
Capacités Capacité accrue à tolérer l’incertitude (ne pas être seul à avoir des doutes ou des questionnements).
Capacité accrue à prendre sa place au sein d’un groupe et à s’affirmer. La démarche encourage l’expression des opinions, de manière structurée et respectueuse.
Plus grande confiance en soi et en ses interventions.
Habiletés Développement d’habiletés d’écoute, particulièrement utiles pour bien comprendre la réalité des patients, des équipes ou des partenaires.
Accroissement de la réflexivité dans la pratique professionnelle (prendre plus de recul dans les situations complexes et systématiser ses questionnements sur la pratique contribue à une meilleure performance).
Attitudes Reconnaissance de la force du client/patient, de ses capacités et de son rôle potentiel dans l’épisode de soins (attitude humaine).
Attitude d'ouverture, de non-jugement et de neutralité (dans l’accueil de l’autre, de différents points de vue, adoption d’une posture d’apprenant et voir ainsi les autres comme des apprenants).
Connaissances Utilisation ultérieure de la méthode du codéveloppement pour atteindre différents objectifs (résolution de problème, développement professionnel, etc.).
Meilleure connaissance de soi (forces, limites et développement de stratégies pour prendre soin de soi dans le travail).
Développement professionnel Consolidation de l’identité professionnelle et de sa pratique (validation de son cheminement); les dialogues formalisent des apprentissages autrement intuitifs et peu structurés.
Apprentissages sur la collaboration (réflexe de demander l’aide de collègues plutôt que de travailler en solo, création de réseaux).

Maxime Paquet, Ph. D., chargé de cours, UQAM et professionnel de recherche
Nathalie Lafranchise, Ph. D., professeure, UQAM

Source : Effectif, volume 17, numéro 1, janvier/février/mars 2014.


Bibliographie

  • Lafranchise, Nathalie. Étude du cheminement des groupes de codéveloppement et des personnes participantes, dans le contexte d'un CSSS (2012-2013).
  • Payette, A. et C. Champagne (1997, 2010). Le groupe de codéveloppement professionnel, Québec, Presses de l’Université du Québec.
  • Programme #RC2-1779 Recherche, échange et impact pour le système de santé (REISS – 2008-2012), Stabiliser les équipes cliniques et améliorer la sécurité et la qualité des soins en intervenant directement auprès des leaders responsables d’assurer le développement d’environnement psychosociaux et de systèmes fonctionnels générateurs d’excellents soins de santé.
  • Vachon, B. (2009). Étude de l’utilisation d’une approche réflexive pour intégrer les évidences scientifiques dans la pratique de l’ergothérapie en réadaptation au travail, Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke.

Author
Nathalie Lafranchise, Ph. D. Professeure titulaire, Département de communication sociale et publique UQAM

Nathalie Lafranchise, Ph.D., professeure et chercheure au Département de communication sociale et publique de l'Université du Québec à Montréal, détient un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et une maîtrise en communication (profil psychosociologie) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle est responsable du programme court de 2e cycle en mentorat de la faculté de communication de l’UQAM. Elle est également coprésidente, depuis 2010, de l’organisme Mentorat Québec. Ses travaux de recherche portent sur l’accompagnement sous différentes formes, notamment le codéveloppement et le mentorat. Depuis 1999, elle agit également à titre de consultante-accompagnatrice et formatrice auprès de différents milieux de l’éducation, de la santé, communautaires et associatifs, dans l’élaboration et la mise en œuvre de programme d’accompagnement professionnel (mentorat, codéveloppement, parrainage). Elle a présenté de nombreuses communications au Québec, en France, en Suisse et à Cuba.


Author
Maxime Paquet, Ph. D. psychologue – professeur agrégé – Département de psychologie UdeM
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