ressources / revue-rh / archives

La gestion des changements organisationnels : intervention des professionnels RH et des gestionnaires

Pendant de nombreuses années, les organisations ont fait appel à des firmes-conseils pour la gestion de leurs changements. Au cours de la dernière décennie, on a constaté que plusieurs organisations désirent devenir autonomes à cet égard. L’internalisation de la pratique de gestion du changement devient donc un enjeu; d’ailleurs, les recherches récentes sur la question (Autissier et Moutot, 2010; Collerette, 2012) démontrent l’importance de cette tendance qui permettrait de réagir plus adéquatement à un environnement complexe (Rondeau, 2008).

6 octobre 2014
Nathalie Lemieux, DBA, CRHA | Geneviève Hervieux, CRIA, Ph. D.

Pour y parvenir, les services des ressources humaines doivent s’assurer du développement des habiletés en gestion du changement, de la maîtrise d’outils et de la disponibilité des experts-ressources en gestion du changement (Autissier et Moutot, 2010; Rondeau, 2008).

Un centre d’expertise RH : la gestion du changement
Contrairement au recours intensif, voire exclusif à des consultants externes, la mise en place d’une équipe interne de gestion du changement intégrée au service des ressources humaines favorise une appropriation et une structuration collective de la pratique et, conséquemment, un enracinement des savoirs dans les routines organisationnelles (Ben-Gal et Tzafrir, 2011; Vandangeon et Autissier, 2012). Comme le démontrent les recherches de Lemieux (2013), la mise en place d’une telle équipe vise alors plusieurs objectifs (voir encadré).

Objectifs associés à une structure interne dédiée à la gestion du changement
  • Développer la capacité organisationnelle, considérant l’augmentation du nombre de changements et leur complexité grandissante.
  • Créer une méthodologie, un référentiel, un coffre à outils et un langage commun adaptés à la réalité de l’organisation.
  • Développer les compétences des gestionnaires et des employés pour la gestion du changement.
  • Anticiper, réaliser et accompagner les projets de changement.
  • Responsabiliser les gestionnaires à l’égard de la gestion du changement.
  • Réduire les coûts de consultants.

(Lemieux, 2013)

L’atteinte de ces objectifs soulève toutefois deux défis de taille. Tout d’abord, l’équipe de gestion du changement doit proposer une méthodologie qui soit acceptée par les gestionnaires et qui leur soit accessible. Ensuite, elle doit assurer un soutien aux nombreux projets de changement, bien souvent simultanés. Pour y parvenir, elle doit adopter un rôle d’expert et de gardien d’une méthodologie.

Cependant, devant les multiples transformations organisationnelles, l’équipe de gestion du changement ne peut intervenir, seule et à parts égales, dans tous les changements et doit régulièrement faire appel à des consultants externes. Une alternative pour combler les besoins en gestion du changement est d’habiliter les gestionnaires dans le rôle d’agent de changement maîtrisant la méthodologie.

Le rôle des professionnels RH dans l’habilitation des gestionnaires
Dans un contexte de transformation, les gestionnaires sont considérés comme les relais entre la haute direction, l’équipe de projet et les destinataires du changement. Leur implication consiste généralement à participer aux divers comités et à diffuser des messages aux employés. Ce niveau d’implication est toutefois insuffisant si l’on désire que les gestionnaires soient les porteurs de leurs changements. Dans cette optique, le service des ressources humaines, par l’entremise de ses experts en gestion du changement, adopte alors un rôle d’accompagnement et de coaching auprès des gestionnaires. Quant aux consultants externes, leur apport devient ponctuel selon l’envergure et l’ampleur des transformations organisationnelles.

Comment alors réussir l’internalisation de la pratique de gestion du changement tout en habilitant les gestionnaires?

Les gestionnaires, porteurs de leurs changements
L’habilitation des gestionnaires dans un contexte d’internalisation de la pratique de gestion du changement suscite trois enjeux pour l’équipe de gestion du changement : (1) les gestionnaires doivent d’abord accepter le rôle de porteur du changement; (2) les gestionnaires doivent adopter, maîtriser et appliquer la méthodologie d’intervention qui leur est proposée; (3) les gestionnaires doivent être formés à ce rôle et à la méthodologie et accompagnés dans les projets de changement.

Accepter le rôle de porteur de changement
Le premier enjeu de l’équipe de gestion du changement est d’intervenir au niveau du rôle des gestionnaires. Pour la plupart de ces derniers, la gestion du changement relève du service des ressources humaines. L’équipe de gestion du changement doit donc dans un premier temps intervenir sur le rôle. Mais qu’est-ce qu’un rôle?

Allard-Poesi et Perret (2005) définissent le rôle comme un ensemble de comportements attendus qui s’élabore au fil des échanges, notamment en présence de confrontations de valeurs, de croyances et de schèmes. L’acceptation et l’adoption d’un rôle de porteur de changement par les gestionnaires soulèvent donc l’importance d’un processus construit collectivement dont l’équipe de gestion du changement doit tenir compte.

Un autre élément non négligeable à considérer est le double rôle paradoxal vécu par les gestionnaires en contexte de changement : d’une part, changer les pratiques et les habitudes des destinataires du changement (leurs employés); d’autre part, maintenir et même améliorer les opérations courantes tout en favorisant une performance optimale.

Que doit alors faire l’équipe de gestion du changement? Trois recommandations se dégagent de nos observations sur le terrain :

  • clarifier les rôles des divers intervenants;
  • statuer sur les termes à utiliser (ex. : champion, sponsor, porteur);
  • soutenir les gestionnaires (ex. : information régulière et transparente, disponibilité d’outils de gestion, service-conseil).
Adopter la méthodologie de gestion du changement
Le second enjeu pour l’équipe de gestion du changement réside dans l’adoption de sa méthodologie par les gestionnaires. À cet égard, la littérature sur le transfert des connaissances permet de mieux comprendre cet enjeu et de formuler des recommandations.

Il importe de s’interroger sur la réception des connaissances, sur l’adoption des connaissances et sur l’appropriation des connaissances. En ce qui concerne la réception des connaissances, l’équipe de gestion du changement doit trouver le moment opportun et surtout adapter les connaissances aux besoins des gestionnaires. Trop souvent, les gestionnaires disent recevoir un cours théorique non adapté à leur contexte plutôt que d’obtenir un soutien approprié de la part de l’équipe de gestion du changement.

Pour ce qui est de l’adoption des connaissances, l’équipe de gestion du changement doit axer ses interventions sur l’utilité perçue et instaurer des liens de collaboration étroits et continus entre elle et les gestionnaires. Finalement, sur le plan de l’appropriation des connaissances, l’équipe de gestion du changement doit tenir compte des connaissances déjà acquises, des savoir-faire et des expériences des gestionnaires.

L’équipe de gestion du changement doit considérer que le transfert de connaissances est un processus dynamique, complexe, imprévisible et s’échelonnant sur une période plus ou moins longue. Les recommandations à l’équipe de gestion du changement peuvent donc se formuler ainsi :

  • doser le partage de la méthodologie et des outils (les gestionnaires sont généralement peu intéressés à connaître toute la théorie);
  • choisir les bons formateurs/animateurs (ex. : des pairs accompagnés d’experts);
  • assurer une collaboration étroite et soutenue avec les gestionnaires (notamment par des rencontres statutaires et des ateliers successifs de travail).
Former et accompagner les gestionnaires
Les enjeux précédents soulèvent l’importance de la formation et des interventions concrètes à offrir aux gestionnaires. À cet égard, une citation d’Autissier et Vandangeon-Derumez (2007, p. 115) est fort appropriée : « C’est donc au niveau opérationnel que se joue la réussite des projets de changement, qui passe notamment par la capacité des managers de première ligne à s’approprier et déployer le changement dans leur environnement de proximité ». Pour ce faire, il faut s’assurer de l’efficacité de la formation et du développement des gestionnaires, soit l’acquisition de nouvelles compétences en contexte de changement, et ceci passe notamment par la nécessité de réduire l’ambiguïté de rôle et l’incertitude opérationnelle.

L’équipe de gestion du changement doit donc non seulement former les gestionnaires à la méthodologie, mais aussi les accompagner lors de leurs premiers projets de changement et ajuster leur accompagnement au fil des changements. Pour ce faire, plusieurs équipes de gestion du changement décident d’affecter un expert-ressource (un conseiller en développement organisationnel ou autre) à chaque secteur ou service de leur organisation.

Quant à la formation, comme nous l’avons mentionné, elle doit être adaptée au profil des gestionnaires et au contexte organisationnel. Ce qui apparaît prioritaire est une formule dans l’action, orientée vers un projet précis de changement et regroupant des pairs. Il est également recommandé de varier les formules (ex. : présentation de deux heures, Lunch & Learn, apprentissage en ligne). La tenue d’ateliers successifs semble alors une formule à privilégier; voici quelques balises et conditions de succès pour favoriser l’intérêt des gestionnaires lors de ces ateliers :

  • réunissant un groupe d’environ cinq gestionnaires (rencontre entre pairs);
  • des gestionnaires porteurs d’un changement avec des dates de démarrage similaires (intérêt commun);
  • atelier de démarrage orienté vers leur projet de changement (axé sur des objectifs instrumentaux);
  • succession d’ateliers au fil des jalons du projet (approche incrémentale axée sur les comportements);
  • ateliers dont le contenu inclut le transfert de connaissances, la résolution de problèmes, la planification et l’organisation d’activités de gestion du changement (soutien entre pairs permettant de réduire l’ambiguïté de rôle et l’incertitude opérationnelle).
 Conclusion
Devant la multitude de changements simultanés, le service des ressources humaines, par l’entremise de ses experts en changement, devient le gardien de la méthodologie de gestion du changement tout en réalisant une veille stratégique dans le domaine. Selon les projets en cours, son intervention ira d’un accompagnement ponctuel à l’affectation de ressources spécialisées pour la durée du projet. Quel que soit le niveau d’intervention des professionnels en ressources humaines, la responsabilité du succès des changements concerne avant tout les gestionnaires, car ils sont responsables de la performance de leur unité de travail de même que du bien-être des employés.

Nathalie Lemieux, CRHA, M. Sc., DBA, professeure, Département d’organisation et ressources humaines, ESG-UQAM
Geneviève Hervieux, CRIA, M. Ps., Ph.D., professeure, Département d’organisation et ressources humaines, ESG-UQAM

Source : Effectif, volume 17, numéro 4, septembre/octobre 2014.


Références

  • Allard-Poesi, F. et Perret, V. (2005), Rôles et conflits de rôles du responsable projet, Revue Française de Gestion, 31 (154), 193-208.
  • Autissier, D et Moutot, J.-M. (2010), Méthode de conduite du changement : diagnostic, accompagnement et pilotage, Dunod, 246 pages.
  • Autissier, D. et Vandangeon-Derumez, I. (2007), Les managers de première ligne et le changement, Revue Française de Gestion, 5(174), 115-130.
  • Ben-Gal, H.C. et Tzafrir, S.S. (2011), Consultant-client relationship: one of the secrets to effective organizational change?, Journal of Change Management, 24(5), 662-679.
  • Collerette, P. (2012), Pour une gestion disciplinée dans l’administration publique In Bareil, C. et Aubé, C., Changement et développement organisationnel : faire évoluer la pratique, Collection Gestion et Savoirs, 86-111.
  • INSPQ (2009), Animer un processus de transfert des connaissances : bilan des connaissances et outil d’animation, Gouvernement du Québec, 69 pages.
  • Lemieux, N. (2013), Création et adoption de pratiques pour la conduite du changement : une démarche évolutive au sein d’une entreprise québécoise, Question(s) de management, 3, 67-79.
  • Olsen, T. H. et Stensaker, I. (2013), A change-recipient perspective on training during organizational change, International Journal of Training and Development, 18(1), 22-36.
  • Rondeau, A. (2008), L’évolution de la pensée en gestion du changement : leçons pour la mise en œuvre de changements complexes, Télescope, automne, 1-12.
  • Rondeau, A. et Bareil, C. (2010), Comment la direction peut-elle soutenir ses cadres dans la conduite d’un changement majeur? Gestion, 34(4), 64-69.
  • Vandangeon, I. et Autissier, D. (2012), Les réseaux apprenants comme facilitateurs du changement, Question(s) de Management?, septembre, 57-76.

Author
Nathalie Lemieux, DBA, CRHA Professeure ESG - UQAM

Geneviève Hervieux, CRIA, Ph. D. Psychologue du travail, Professeur agrégé au Département d'Organisation et ressources humaines ESG-UQAM