Des entreprises constatent avec dépit les efforts démesurés et les coûts engendrés par le climat de tension qui perdure depuis des années au sein de certaines équipes de travail. C’est malheureusement le cas de nombreuses organisations. Pour comprendre cette réalité, voici un exemple fictif, d’un réalisme peu commun.
Un cégep est aux prises avec de nombreux conflits de clans dans les diverses équipes. Un leadership d’évitement a été exercé pendant de nombreuses années par les dirigeants de l’établissement. Quand une nouvelle direction prend les commandes, plusieurs conflits d’équipe éclatent au grand jour. Les relations du travail se corsent. Les délégués syndicaux s’affairent, mais ne collaborent pas avec les membres de la direction. Ils sont tiraillés par les nombreuses demandes de leurs membres. La directrice des ressources humaines, en collaboration avec les gestionnaires d’équipe, consacre la majorité de son temps à éteindre des feux. Happés dans le tourbillon des conflits et occupés à gérer les crises, directrice RH et gestionnaires ne sont plus capables d’agir en prévention. Le sentiment d’essoufflement est généralisé, d’autres conflits se font jour et s’intensifient. Il leur est de plus en plus difficile d’arrêter l’hémorragie. Certains employés plus usés que d’autres au contact de climats malsains partent en congé maladie. D’autres abandonnent tout simplement le navire pour offrir leurs services à d’autres institutions. La crédibilité des leaders est mise rudement à l’épreuve.
Comment renverser la dynamique dans un contexte aussi alarmant? Quelles ont été les décisions de la directrice des ressources humaines pour endiguer ces nombreuses difficultés?
Le premier réflexe de chacun serait de porter assistance aux équipes en souffrance et aux gestionnaires. C’est ce que la directrice RH a fait, mais elle ne s’est pas limitée à ce seul niveau d’intervention. Une réflexion stratégique de la direction l’a conduite à se questionner sur l’importance de soutenir les gestionnaires dans leur rôle capital de gardien du climat de travail afin de minimiser les risques futurs de conflits pour les équipes qui ne sont pas en crise. Voici ce qu’elle a conclu.
- Investir dans la prévention est une nécessité incontournable. En plus de prévenir d’autres malaises, en investissant auprès des responsables d’équipe, elle évite de jouer le rôle de pompier auquel elle est malheureusement soumise. Trois journées de formation ont été offertes à tous les cadres de cet établissement sur les thèmes suivants : le travail d’équipe, la prévention et la résolution des conflits en assumant un rôle de facilitateur dans la gestion des différends.
- Comme plusieurs réalités échappent souvent aux gestionnaires parce qu’ils ne sont pas présents quotidiennement auprès des équipes, multiplier les gardiens du climat de travail constitue une autre façon de détecter une situation de conflit dès ses premières manifestations. Ainsi, il est plus facile de partager le rôle de prévention lorsque plusieurs y sont sensibilisés. La direction a donc offert les outils de médiation à l’ensemble des coordonnateurs. La présence des gestionnaires lors des ateliers offerts aux coordonnateurs leur a permis de se rapprocher d’eux et de connaître diverses préoccupations des équipes de travail. La réponse à cette initiative a été très positive. Plusieurs coordonnateurs ont manifesté le souhait d’obtenir d’autres outils pour exercer leur rôle de coordination et d’influence auprès de leurs équipes respectives. Cette initiative a augmenté le niveau d’engagement et de mobilisation de ces groupes de travail.
- Offrir du coaching aux leaders qui éprouvent plus de difficulté à gérer ces problèmes. Il faut éviter à tout prix de laisser des situations de conflit potentielles germer. Certains gestionnaires sont moins habiles devant un conflit. Les jumeler avec un professionnel RH ou avec un autre gestionnaire plus expérimenté assurera une certaine constance dans les actions qui seront effectuées. Cela a aussi un effet rassurant auprès des équipes de travail. Dans le cas qui nous intéresse, des initiatives prises par la direction ont permis d’identifier où se trouvaient les situations à risque et les personnes vulnérables.
- Le dépôt de griefs ne règle en rien les vieux conflits existants. Il faut engager un dialogue constructif entre la direction et le syndicat. Se concerter autour d’approches et de pratiques communes nécessite un temps d’adaptation. Sensibiliser les délégués syndicaux à l’importance de leur rôle et à la nécessité de se modeler sur la culture de prévention mise de l’avant est certainement une étape cruciale. Dans notre exemple, le travail sur cet objectif est en voie de réalisation. L’ancienne culture de conflit avait engendré des réflexes bien ancrés dont le déblocage a exigé plus de temps et d’efforts.
Le leadership exercé par la direction du cégep en question fait la promotion au sens large de la valeur de collaboration au sein de l’organisme. Par ses initiatives, la direction a démontré qu’en prenant le taureau par les cornes, elle peut remplacer des pratiques de gestion inappropriées par d’autres plus proactives. Non seulement l’environnement de travail s’est enrichi de valeurs organisationnelles positives et constructives, mais l’organisation a aussi fait le gain d’une forte mobilisation d’un plus grand nombre d’employés.
Il existe différentes manières d’intégrer des approches de médiation collaborative au sein d’une organisation ou d’une unité de travail. En voici quelques-unes.
Offrir de l’accompagnement aux gestionnaires dans leur rôle de gardiens du climat de travail
Outiller les gestionnaires et leur offrir un soutien continu permettent de les aider à agir en amont des situations et de faire plus de prévention. Les statistiques en santé et sécurité du travail l’ont démontré. La prévention est un investissement sûr pour diminuer les coûts d’absentéisme et de maladie.
Multiplier les médiateurs internes pour agir plus largement en prévention
Former des médiateurs internes (sorte de sentinelles) constitués de collègues de travail, de délégués syndicaux, de gestionnaires ou de professionnels RH qui agiront comme facilitateur auprès d’individus qui éprouvent des difficultés relationnelles. Ces médiateurs seraient en mesure d’intervenir sur une multitude de situations de conflits et d’aider leurs collègues à résoudre leur conflit avant qu’il ne perturbe le fonctionnement de l’équipe et le climat de travail. C’est exactement ce qui se pratique dans les écoles primaires. Pourquoi ne pourrions-nous pas transposer ce concept dans la réalité du travail?
Promouvoir la culture de collaboration là où c’est possible de le faire
Que ce soit lors de la planification stratégique, du renouvellement d’une convention collective ou de comités de travail, la collaboration devrait être au cœur des échanges.
Mettre à la disposition des employés une banque de ressources et des outils pour régler leurs différends
Faire connaître les ressources et moyens disponibles aux employés qui éprouvent une difficulté avant que la relation se détériore ou qu’un grief ou une plainte pour harcèlement psychologique soient déposés, en précisant :
- le nom des facilitateurs internes;
- le rôle des responsables d’équipe ou des délégués syndicaux dans la prévention des conflits;
- les autres ressources accessibles : séminaire, formation en ligne, programme d’aide aux employés, médiation;
- la politique institutionnelle sur le respect au travail.
Adapter les paradigmes, les pratiques de gestion et la structure organisationnelle en fonction de la réalité de travail
Penser globalement nécessite de sortir du paradigme conventionnel en vertu duquel un problème égale un expert. Repenser la structure en ne faisant pas porter toute la responsabilité des problématiques liées au climat de travail et à la gestion des conflits sur une seule personne, comme c’est le cas des responsables de la politique institutionnelle sur le respect ou le harcèlement psychologique au travail. Cette conception devrait être révisée en fonction des réalités complexes du monde du travail actuel.
Conclusion
La médiation collaborative ne devrait pas se limiter à un moyen ou à une technique de résolution de conflits ou de plaintes pour harcèlement psychologique pratiqués par des experts ou des professionnels détenant officiellement ce rôle dans l’entreprise. Elle devrait, selon nous, être le pilier d’une culture de travail axée sur la collaboration. En multipliant les médiateurs internes (former les gestionnaires et de nombreux facilitateurs), en offrant les outils de médiation à un plus grand nombre de personnes et en rendant disponibles à tous les membres du personnel les moyens de gérer leurs différends, toute entreprise sera en meilleure posture pour gérer efficacement les conflits au travail et intégrer la médiation collaborative.
Ghislaine Labelle, CRHA, M. Ps., CSP, psychologue organisationnelle, conférencière et médiatrice accréditée, Groupe SCO
Source : Effectif, volume 18, numéro 4, septembre/octobre 2015.