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Harmonisation travail/vie personnelle : une reconnaissance publique

Depuis une dizaine d'années, la conciliation travail-famille est devenue un sujet incontournable dans les entreprises qui veulent attirer et surtout conserver des employés talentueux. À cet égard, le gouvernement du Québec n’est pas en reste…

7 mai 2013
Etienne Plamondon Emond

Il a en effet lancé deux programmes importants visant l’équilibre entre le travail et la vie familiale, soit les services de garde à contribution réduite et le Régime québécois d’assurance parentale. Mais l’action gouvernementale va encore plus loin. Il existe plusieurs autres programmes visant à favoriser la conciliation travail-vie personnelle, en particulier la Loi sur les normes du travail, le programme Aide aux devoirs et le crédit d’impôt remboursable pour frais de garde.

Une des dernières actions en date est la norme Conciliation travail-famille, implantée par le ministère de la Famille en avril 2011, qui précise les exigences permettant d’obtenir une certification du Bureau de normalisation du Québec (BNQ).

L’obtention de cette certification exige l’engagement de la direction de l’entreprise, le respect des lois et règlements relatifs au travail et la mise en place d’un comité de conciliation travail-famille. Les entreprises accumulent ensuite des points selon le type et le nombre de mesures en place, qu’elles concernent la gestion même de la conciliation travail-famille, l’adaptabilité de l’organisation du travail, l’aménagement des horaires, les congés, la flexibilité du lieu de travail et les services ou biens offerts dans l’entreprise. À noter que la norme est évolutive; elle comporte en effet quatre niveaux établis en fonction du nombre de points obtenus; certaines mesures sont plus « payantes » que d’autres dans le calcul des points.

Sur le terrain
Frima Studio, une firme de Québec spécialisée dans le divertissement numérique et les jeux vidéo, devenait en avril 2012 la première entreprise à obtenir la certification en conciliation travail-famille. Elle demeure à ce jour la seule grande entreprise à détenir une telle reconnaissance. Dès 2008, l’entreprise a mené une réflexion sur des mesures concrètes pour favoriser l’équilibre travail-vie personnelle. Des journées de maladie supplémentaires ont été allouées et l’entreprise ferme entre Noël et le Nouvel An. L’entreprise rembourse également aux employés le coût d’un titre de transport en commun, privilège qui peut être transféré à un membre de leur famille s’ils ne l’utilisent pas. Mais la plus grande innovation réside probablement dans le système baptisé « Points Frima », imaginé par le président Steve Couture. Chaque employé reçoit des points selon son rendement ou ses bons coups. Ces points peuvent être échangés contre divers services domestiques ou ménagers (cuisine, entretien de la pelouse, rénovation, ménage, gardiennage, etc.). Le but : faire en sorte que les salariés, durant leurs congés ou leurs fins de semaine, puissent consacrer du temps à d’autres activités que les corvées domestiques.

Si chez Frima Studio, le brassage d’idées a été amorcé par la direction, chez Hydro-Québec, où près de 85 % des salariés sont syndiqués, la plupart des mesures d’équilibre travail-vie personnelle sont issues de négociations collectives. Horaires flexibles en début et fin de journée, horaires de quatre jours, congés sabbatiques allant jusqu’à deux ans, prélèvement à la source de montants versés dans une fiducie pour assurer un revenu lors de congés et consultations auprès d’un psychologue aux frais de l’employeur sont autant de mesures obtenues par les employés à l’aide de revendications syndicales. « Les syndicats voient les mesures accordées ailleurs dans le marché et ils en font la demande, constate Yann Calloc’h, conseiller en rémunération et avantages sociaux à la vice-présidence RH d’Hydro-Québec. C’est plus organisé que quand c’est juste un employé qui demande quelque chose à un patron. »

Des mesures parfois plus difficiles à implanter
Maxime Roussel, CRHA, directeur des ressources humaines chez Frima Studio, admet que certaines mesures ne peuvent pas, pour l’instant, être implantées dans son entreprise. Les horaires hebdomadaires comprimés, par exemple, peuvent difficilement cadrer avec les besoins de cette entreprise de services. Le télétravail aussi ne peut pas, pour l’instant, être proposé dans un contexte où « dans un projet, il y a environ dix corps de métiers différents qui doivent interagir pour faire avancer le travail ».

La diversité des secteurs d’activité, des tâches et des types d’emplois chapeautée par une grande entreprise complexifie d’ailleurs la démarche. Chez SPI Santé Sécurité, le télétravail et les horaires comprimés ont été accordés, mais pas nécessairement dans toutes les divisions. « Au centre de distribution, on ne peut pas permettre à tout le monde de partir le vendredi. Ils n’ont pas l’horaire d’été à cet endroit-là, mais on a compensé par autre chose », explique Kim Lévesque, CRIA, directrice des ressources humaines. Pour ses différentes initiatives, SPI a reçu en 2012, le prix Reconnaissance conciliation travail-famille, donné par le gouvernement du Québec en collaboration avec le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec.

La première initiative de SPI Santé Sécurité avait été la création d’un comité de qualité de vie au travail, transformé peu de temps après en comité de conciliation travail-famille. Kim Lévesque indique également que l’entreprise embauche des gestionnaires ouverts aux besoins des employés. La direction des ressources humaines les forme d’ailleurs à demeurer à l’écoute des travailleurs, afin de tenir compte de leurs contraintes familiales ou personnelles.

Gestion ouverte et flexible
Cette ouverture des gestionnaires est encore plus nécessaire dans de très grandes entreprises telles que le Mouvement Desjardins, qui emploie près de quarante-cinq mille personnes. Bien qu’on y ait instauré des mesures accessibles à l’ensemble des salariés (aménagement du temps de travail, horaires compressés, congés flexibles, télétravail sous certaines conditions), la politique à ce sujet demande aux employés de faire part de leur besoin à leur gestionnaire et de participer activement à la recherche de solutions ; elle invite aussi les gestionnaires à être réceptifs aux demandes des employés. « Chez Desjardins, 78 % de nos employés sont des femmes. On sait qu’aujourd’hui encore, la plus grande part de la responsabilité familiale repose sur leurs épaules. Ça exige une certaine ouverture, puisque ça amène plusieurs demandes de diverses natures », observe Réal Cassista, directeur, assurance collective et gestion de la santé.

Pour ses trois mille gestionnaires, le Mouvement Desjardins a créé « une bonne structure d’accompagnement », assure monsieur Cassista, soulignant l’importance du rôle joué par le conseiller en gestion de la santé, complémentaire à celui du conseiller en ressources humaines. « On s’est doté de ce type de fonction en 2005. Ce sont des personnes qui ont des compétences plus pointues par rapport à l’accompagnement des gestionnaires dans cette sphère d’activité. »

Chez Hydro-Québec, les conseillers en ressources humaines accompagnent leurs clients-gestionnaires dans la résolution des requêtes reliées à la conciliation. De plus, un intranet permet de consulter en permanence les mesures implantées à la société d’État. Là aussi, les gestionnaires ont une latitude pour répondre aux besoins particuliers de leurs employés en ce qui concerne l’équilibre travail-famille, mais « il faut qu’on reste dans les paramètres négociés, rappelle M. Calloc’h, en lien avec le cadre syndical. De façon générale, cela ne cause pas trop de problèmes. Il n’y a pas souvent de frictions ou de griefs à ce sujet ».

Véritable avantage concurrentiel
Les avantages de mettre en place des pratiques favorisant la conciliation travail-famille sont doubles. D’une part, elles améliorent la qualité de vie au travail et augmentent la disponibilité des employés pour leur famille. D’autre part, elles permettent à l’employeur d’attirer et de conserver des employés de qualité. « Le taux de roulement a diminué de façon significative », signale Kim Lévesque.

Pour Frima Studio et SPI Santé Sécurité, dont la réputation ne les précède pas comme chez Hydro-Québec ou Desjardins, les mesures de conciliation travail-famille représentent une façon de se distinguer comme employeur de choix. Maxime Roussel croit que les initiatives de l’entreprise à cet égard ont « vraiment contribué à la notoriété de Frima Studio auprès des travailleurs disponibles. Les gens d’ici en parlent à leurs amis. Notre système de recommandation est très fort, parce que les gens ont vraiment un puissant sentiment d’appartenance ». Un avantage non négligeable dans l’industrie du jeu vidéo, où règne une compétition féroce pour attirer la main-d’œuvre qualifiée.

Développer l’offre de services
Certes, la certification décrochée par Frima Studio lui donne une bonne image, mais Maxime Roussel considère que cette reconnaissance envoie aussi à ses employés le message que l’équilibre travail-vie personnelle sera encore amélioré. « Nous, on est au niveau 1, donc le niveau d’entrée, mais on aimerait atteindre les autres niveaux. » Plus de flexibilité et d’avantages sont déjà envisagés pour les employés qui ont des enfants. Ainsi, par cette certification, non seulement l’organisation met en place un projet mobilisateur, mais elle donne aussi l’assurance que la direction est déterminée à mettre en œuvre des pratiques organisationnelles favorables à la conciliation travail-famille.

Si une structure d’offre de services est déjà bien implantée chez Frima Studio, il s’agit du prochain cheval de bataille au sein de SPI Santé Sécurité. « On a déjà un service de changement de pneus sur les lieux de travail pour éviter les déplacements chez un concessionnaire ; mais on veut augmenter le nombre de services, pour proposer par exemple un service de nettoyeur, qui viendrait ramasser les vêtements sur place et les rapporterait une fois nettoyés, ou une popote roulante, qui pourrait préparer des repas pour la soirée. »

Même objectif chez Desjardins où, en ce moment, on analyse sérieusement de créer une coopérative de services, afin de répondre aux mêmes besoins.

Chez SPI Santé Sécurité, qui bénéficie actuellement d’une subvention du ministère de la Famille pour instaurer de nouveaux projets, on table sur l’organisation d’un salon dans l’entreprise, où les employés pourraient magasiner, durant leurs heures de travail, certains services comme ceux d’un conseiller financier. Cependant, l’entreprise ne vise pas pour l’instant la certification délivrée par le BNQ, cherchant d’abord à répondre aux demandes de sa main-d’œuvre. « On a fait un sondage interne récemment, seulement sur la conciliation travail-famille, et les résultats sont assez clairs : ce qui manque aux gens, ce sont des heures pour des choses qui ne sont pas nécessairement reliées au travail. On veut essayer de répondre à ce besoin », conclut Kim Lévesque.

Le site web du ministère de la Famille contient de nombreux documents pour aider les entreprises à mettre en place des mesures de conciliation travail-famille, dont une série de fiches et d’outils, le Programme de soutien financier aux milieux de travail en matière de conciliation travail-famille (Volets Entreprises et Associations) et la norme Conciliation travail-famille (BNQ 9700-820).

Etienne Plamondon Emond, journaliste indépendant

Source : Effectif, volume 16, numéro 2, avril/mai 2013.


Etienne Plamondon Emond Journaliste indépendant