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Gestion de la performance : comment transformer ce levier de démotivation en levier de performance

On évalue qu’entre 75 % et 90 % des entreprises ont un programme de gestion de la performance. Si ce processus est jugé si essentiel par la plupart des dirigeants et des experts RH, c’est que sa finalité ultime est intimement liée au succès de toute organisation. En effet, le programme de gestion de la performance permet, en principe, de contribuer à la réalisation du plan d’affaires de l’entreprise, en s’assurant que chacun de ses membres atteint les meilleurs résultats, le plus efficacement possible.

6 décembre 2015
Jacqueline Codsi, CRIA

Des systèmes de performance qui ne livrent pas leurs promesses…

1re promesse : Des résultats exceptionnels en poussant les individus et les équipes au dépassement

Soyons lucides, le processus de gestion de la performance tel qu’il est actuellement articulé au sein des organisations, ne permet souvent pas de motiver les employés à l’atteinte de résultats exceptionnels.

Contrairement aux effets escomptés, il n’accélère pas l’amélioration des performances individuelles et collectives et ne diminue pas nécessairement le temps perdu à ne pas être efficace.

2e promesse : Une source d’informations valides et essentielles à des décisions RH cruciales

Par ailleurs, en se basant sur les cotes de performance/rendement et l’évaluation de l’atteinte des objectifs des individus et des équipes, les professionnels RH dégagent des renseignements essentiels à plusieurs décisions majeures en matière de rémunération, de bonification, de gestion de la relève, de promotions… Toutefois, selon des recherches récentes, la très grande majorité des dirigeants RH remettent profondément en question la validité des cotes de performance générées par les gestionnaires, invoquant leur manque de précision et même leur iniquité. Elles sont pourtant utilisées pour prendre des décisions qui influencent l’avenir de chaque employé. Sachant que la perception de manque d’équité met les personnes dans un état défensif, on peut facilement anticiper l’impact négatif sur l’engagement et sur le climat organisationnel.

L’impact du gestionnaire : Positif ou négatif?

Selon le Corporate Leadership Council, non seulement les gestionnaires n’améliorent pas nécessairement la performance individuelle, mais ils peuvent même lui nuire, en faisant des changements fréquents aux projets et aux mandats ou en ayant une approche qui met l’accent sur les faiblesses ou qui est trop directive.

Encore aujourd’hui, et malgré les formations reçues, les gestionnaires démontrent certaines pratiques qui nuisent à la justesse des cotes de rendement. En voici trois exemples courants :

  • ne pas se « mouiller » ou manquer de courage : la tendance à coter la majorité dans la moyenne : ce qui avantage les moins performants et désavantage les plus performants;
  • mettre l’accent sur les problèmes et sur le négatif  : très grande importance accordée aux erreurs et aux problèmes plutôt qu’aux succès; donc, un manque de reconnaissance des bons coups;
  • faire erreur sur la personne : attribuer une mauvaise cote de performance pour des éléments hors du contrôle de la personne évaluée.

De nos jours, et plus particulièrement en contexte de pénurie de talents, les employés ont en général des attentes élevées concernant le sens de leur travail et leurs possibilités de développement. Ils sont sensibles à la façon dont se déroule le processus d’évaluation du rendement et désirent être traités équitablement. C’est souvent après une rencontre d’évaluation malheureuse qu’ils en viennent à la décision de quitter l’organisation, s’étant senti démobilisés par l’approche utilisée, par le manque de reconnaissance de leurs supérieurs ou par leur perception d’un manque d’équité.

D’ailleurs, le manque de courage de plusieurs gestionnaires pourrait s’expliquer en partie par la prise de conscience que leur message pourrait avoir un effet démobilisant pouvant contribuer au départ d’employés de talent.

Pourquoi ça ne fonctionne pas?

Typiquement, selon les meilleures pratiques, on recommande à tout gestionnaire de suivre une recette à la fois simple et complexe… Après avoir identifié les objectifs à fixer à chaque membre de son équipe (en fonction de la vision et du plan d’affaires qu’il s’est engagé à livrer), il devrait suivre le cycle annuel de gestion de la performance (voir figure 1).

La réalité organisationnelle est souvent toute autre. Pour plusieurs gestionnaires, cela se résume à établir des objectifs plus ou moins imposés en début d’année et à effectuer un suivi en fin d’année afin d’octroyer une cote de performance qui influencera la rémunération globale et les possibilités d’avancement de l’employé pour l’année à venir. Le coaching, le soutien et la rencontre de mi-année sont souvent plus ou moins escamotés, par manque de temps ou de doigté du gestionnaire. L’approche se concentre sur l’évaluation des résultats obtenus, en insistant sur les problèmes à corriger.

Une étude menée auprès de 19 000 gestionnaires en 2007 par le Corporate Leadership Council a comparé l’efficacité d’une centaine d’approches de gestion de la performance. On y conclut que :

  • une emphase sur les faiblesses a un impact négatif sur la performance (-30 %);
  • un accent sur les forces, ne serait-ce que durant les entretiens d’évaluation, augmenterait la performance de 34 %;
  • augmenter le nombre de rencontres d’évaluation formelles (donc les cotes données), faire du micro-management ou miner la confiance de la personne évaluée seraient des pratiques directement liées à une diminution de la performance.

Le regard positif d’autrui sur la performance et le succès

Plusieurs phénomènes bien documentés permettent de remettre en question l’emphase que l’on met souvent sur les « lacunes à corriger ». Pensons à l’effet placebo ou à l’effet Pygmalion où l’on a démontré clairement que le regard positif ou négatif d’un enseignant ou d’un gestionnaire a tendance à avoir une influence importante sur le niveau de succès et de performance. Donc, si l’on traite quelqu’un comme un haut potentiel, il a tendance à améliorer sa performance; par contre, si on le traite comme un employé problématique, il a aussi tendance à se conformer au jugement de son gestionnaire.

Il est pertinent de remettre en question certains fondements sur lesquels s’appuient les approches traditionnelles d’amélioration de la performance. Par exemple, peut-on croire qu’en fournissant systématiquement une rétroaction sur les faiblesses d’un employé, on augmente la probabilité d’améliorer ses résultats? Peut-on aussi affirmer que la correction systématique des faiblesses ou des lacunes mène au succès?

Pistes pour passer de la démobilisation à la performance

Comment susciter chez les employés la confiance nécessaire pour augmenter leur capacité à accueillir la rétroaction et devenir plus performants? Comment éviter de mettre les membres de son équipe en mode défensif?

1. Réviser le rôle des gestionnaires dans l’amélioration de la performance

Le défi consiste à minimiser l’importance de l’évaluation (cote, rang, faiblesses), en misant plutôt sur les forces des membres de son équipe. Un bon gestionnaire doit être en mesure de bâtir une relation de confiance avec chaque membre de son équipe. Il doit connaître ses employés suffisamment pour trouver la recette gagnante afin de réveiller leur capacité de succès. Plus précisément, le gestionnaire devrait agir comme un coach et un allié plutôt que comme un évaluateur.

2. Une pratique essentielle : la bonne personne au bon poste, en fonction de ses forces

En prenant soin d’octroyer un rôle et des mandats correspondant aux forces ou talents naturels de chacun, le gestionnaire peut faire expérimenter le succès à chaque membre de son équipe. Il évite ainsi d’avoir à les critiquer continuellement, ce qui mine leur confiance.

Le défi du gestionnaire consiste à faire en sorte que chacun assume un rôle essentiel au succès de l’équipe. Ainsi, chaque employé utilise ses forces ou ses talents, satisfaisant ainsi son besoin d’être valorisé en ayant du succès. Le gestionnaire devrait également soutenir ses employés dans la satisfaction de leur besoin de développement pour des mandats compatibles avec leur potentiel. Dans cette optique, il est pertinent de s’appuyer entre autres sur un questionnaire permettant d’identifier les forces spécifiques de chacun (exemple Gallup Strengths’ Finder, les forces Via character).

3. L’importance d’intégrer trois processus souvent distincts

Pour redonner du sens au processus de gestion de la performance en mobilisant la personne évaluée, il est très pertinent d’y intégrer le processus de développement des compétences ainsi que les conversations abordant la gestion de carrière. Cette démarche combinée permet d’éviter de trop miser sur la cote de rendement et les besoins organisationnels. L’employé peut ainsi saisir qu’il investit en lui-même, qu’on lui donne du soutien pour qu’il se développe, car son gestionnaire a à cœur son cheminement professionnel.

Il serait aussi judicieux de remettre sérieusement en question le lien trop évident entre l’évaluation de la performance et les augmentations salariales, entre autres parce que les informations ainsi obtenues ne sont pas valides la plupart du temps.

4. S’inspirer de l’enquête appréciative et de la psychologie positive

Afin de susciter l’ouverture de l’individu à s’améliorer en évitant qu’il se mette dans un état défensif, il est impératif de partir de ce qui fonctionne bien pour parler de ce qui pourrait être amélioré. En effet, en ne mettant pas d’emblée l’emphase sur les faiblesses à corriger, cette approche augmente la confiance de l’individu dans ses capacités et l’encourage à identifier sa propre vision de la situation désirée ainsi que sa recette personnelle pour y arriver.

Jacqueline Codsi, CRIA, M. Ps.org., ASC, ACC, vice-présidente partenariats d’affaires RH et coach exécutif, Leader conseil

Source : Effectif, volume 18, numéro 5, novembre/décembre 2015.


Références bibliographiques

  • Buckingham, M. et D.O. Clifton (2001). Now, discover your strengths, The free Press.
  • Codsi, J. (2011). « Le dilemme du développement des leaders : maximiser les forces ou combler les faiblesses? », Le coin de l’expert, Portail RH.
  • Codsi, J. et N. Langis (2013). « Le neuroleadership démystifié », Le coin de l’expert, Portail RH.
  • Adapté de T. G Gutteridge, Z. B. Leibowitz et J. E. Shore. Organizational Career Development: Benchmark for Building a World Class Workforce, San Francisco, Jossey-Bass, 1993 .
  • Corporate Leadership Council research, 2007: Improving Talent Management. Outcomes, Key Findings.
  • Csíkszentmihályi, Mihály (1998). Finding Flow: The Psychology of Engagement With Everyday Life, Basic Books. (ISBN 0-46502-411-4)
  • Csíkszentmihályi, Mihály (2003). Good Business: Leadership, Flow, and the Making of Meaning, New York, Penguin Books. (ISBN 0-14200-409-X)
  • Dubreuil, P., J. Forest et F. Courcy (2012). « Nos forces et celles des autres », Revue Gestion.
  • Rock, D., J. Davis et B. Jones (2013). One simple idea that can transform performance management, Research Corner.
  • St-Onge, S. (2012). Gestion de la performance, Chenelière éducation.
  • 12 questions to gauge Employee Engagement.
  • Rock, D., J. Davis et B. Jones (2014). “Kill Your Performance Ratings Neuroscience shows why numbers-based HR management is obsolete”, PWC Strategy + Business, ISSUE 76 AUTUMN 2014

Jacqueline Codsi, CRIA Vice-présidente, consultante, coach exécutif JC LEADER CONSEIL
Au cours de sa carrière, Jacqueline Codsi, CRIA a assumé des fonctions de direction en gestion des ressources humaines, en gestion des talents et en développement organisationnel au sein de grandes sociétés, notamment dans le milieu financier et au réseau de la santé et des services sociaux. Certifiée en gouvernance de sociétés, elle possède également une riche expérience en consultation dans les secteurs public et privé, essentiellement dans l’accompagnement d’équipes de direction, dans le cadre de démarches de gestion du changement, de planification stratégique du capital humain et de gestion/développement des talents et de la relève. Elle œuvre aussi comme chargée d’enseignement universitaire auprès de gestionnaires, comme conférencière/panéliste, tout en siégeant à divers conseils d’administration.